On n’a pas grand mérite à
prendre patience quand on est incapable d’un mouvement de colère…
Marcel Aymé, Lucienne et le boucher.
Parfois, l’écrivain se met en
colère.
Un écrivain qui se fâche peut
choisir de garder son mécontentement pour lui, bien caché à l’intérieur, de le
ruminer sans jamais laisser deviner sa mauvaise humeur et de mourir d’un
ulcère. Ou bien il peut choisir de l’exprimer au grand jour et de profiter de
son statut d’écrivain pour ça. Il publie alors ce qu’on appelle un pamphlet.
Pour qu’un pamphlet ait des chances
de faire parler de lui, il convient de choisir un sujet de mécontentement un
peu classe. C’est sans doute la raison pour laquelle aucun éditeur n’a accepté
le manuscrit de Jean-Baptiste Patafion, violent réquisitoire pour dénoncer les
files d’attente au Carrefour Market de Bures-sur-Yvette. S’il avait étendu sa
colère à toutes les files d’attente, à la file d’attente en soi, peut-être que
son essai aurait pu trouver preneur.
Il faut être un peu universel, quand
on écrit un pamphlet. Évoquer un grand sujet d’ampleur au moins nationale. Ce
qui marche bien : la censure, le racisme, l’antiracisme, la modernité, les
réactionnaires, le libéralisme, le nationalisme, l’Amérique, la guerre, la
pauvreté, la richesse, la mauvaise littérature, la malbouffe, la malbaise, la
psychanalyse, les prisons, la violence, la justice, l’école, la vie chère, le
recul de l’âge de la retraite, la France, la télévision, Internet, la
politique, etc.
Attention tout de même si vous
choisissez d’écrire un pamphlet pour dénoncer la censure : le simple fait
de parvenir à le publier tendra à prouver que finalement, la censure, il n’y en
a pas tant que ça…
Bon, mais d’où ça vient, le
pamphlet ?
On peut supposer qu’avant même de
savoir écrire, l’homme savait parfaitement se mettre en colère et refuser la
modernité (par exemple). Je vois très bien un homme des cavernes réac dénoncer
la maîtrise du feu : ce truc-là va nous attirer des problèmes, le confort
et la chaleur amollissent les corps et les âmes, rien ne vaut la viande crue,
et pourquoi ne pas inventer l’électricité, pendant que vous y êtes ?
Le mot « pamphlet » est
chargé d’ironie, puisque issu du latin pamfletus, qui trouve son origine
dans un poème du XIIe siècle intitulé Pamphilus, et que ce
nom est lui-même issu du grec pámphilos, qui signifie « aimé de
tous » !
Si l’on se replonge dans l’histoire,
les origines du pamphlet seraient à chercher du côté de Démosthène et de ses Philippiques.
Grand orateur malgré (ou grâce à) son bégaiement, Démosthène s’est violemment
opposé à Philippe II de Macédoine dans des discours polémiques restés célèbres
et auxquels Cicéron rendra hommage trois siècles plus tard en intitulant Philippiques
ses discours contre Marc-Antoine. Les hommes politiques, à l’époque, n’avaient
pas d’humour, et Marc-Antoine fera assassiner Cicéron. Rappelons que cela se
passait de nombreuses années avant les Guignols de l’Info.
Par la suite, le pamphlet a acquis
ses lettres de noblesse à travers la satire du théâtre d’Aristophane, les
fabliaux du Moyen Âge, jusqu’aux chansonniers et aux intellectuels de la
Révolution. L’homme de lettres est bien souvent un type que rien n’amuse tant
que de se dresser contre l’ordre établi, ou contre une quelconque tête de Turc,
puisée en général chez les puissants du temps. Il y a, évidemment, un peu plus
de noblesse à s’en prendre à Napoléon plutôt qu’à un obscur marchand de vin –
quand bien même celui-ci vous a vendu un infâme picrate tout juste bon à
dégraisser votre cuisine… Qu’il s’agisse de Calvin, La Boétie, Molière,
Boileau, Pascal, Voltaire ou Mirabeau, l’art pamphlétaire s’est exercé en
France avec virulence et joie au cours des siècles.
Aujourd’hui, le genre s’est un peu
perdu dans le ricanement des humoristes télévisés, et une certaine
bienveillance généralisée. Nos colères sont domestiquées, à tel point que
certaines maisons d’édition ont inclus l’art du pamphlet à leurs collections.
Souvenons-nous de la collection Lettre ouverte d’Albin Michel, par
exemple. Rien de tel, pour désamorcer un écrit polémique, que de l’insérer dans
une liste d’ouvrages du même tonneau. De toute façon, tout le monde est un peu
contre les hommes politiques, contre Sarkozy, contre la guerre, contre la
finance, contre tout. Avec ses Chroniques du règne de Nicolas Ier,
Patrick Rambaud n’a eu à craindre ni censure ni menaces physiques. Ce n’est que
lorsqu’un auteur décide de s’attaquer à ce que les médias considèrent comme la
norme du temps – en dénonçant, par exemple, l’immigration, l’antiracisme ou le
mariage gay – qu’il a de bonnes chances de finir au bûcher. Au bûcher
médiatique, bien sûr : pris au piège d’un tribunal improvisé qui tendra à
démontrer qu’un tel auteur, en 1941, aurait fait partie du camp de ceux qui
dénonçaient leurs voisins juifs. Alors qu’on n’en sait rien, au fond.
Mais maintenant qu’on n’a plus à
s’engager massivement dans des guerres mondiales, maintenant qu’on élit
démocratiquement nos crapules préférées, contre quoi voulez-vous qu’on
râle ? On est bien obligés de chercher la petite bête : la violence
urbaine (La France orange mécanique, Laurent Obertone), l’islamisation
de la France (Le Changement de peuple, Renaud Camus), l’antiracisme donc
(De l’antiracisme considéré comme terreur littéraire, Richard Millet),
etc.
Parce que, évidemment, vous
comprenez bien que si votre pamphlet est favorablement accueilli par la
critique, c’est que vous ne dénoncez que ce qu’il est convenu de dénoncer.
Aucun intérêt, donc…
2 commentaires:
L'écotaxe ? Les portiques ? A Laval on est un peu mi-chèvre mi-chou ...
Tu pourrais faire un pamphlet contre les chômeurs, je crois savoir que tu étais jusqu'à présent un expert es-qualités !
Maintenant que tu es fonctionnaire tu dois représenter le parti de l'ordre et de la morale.
The big Juldé est de retour ... attention les frères Cohen le bowling va être trop petit !
La vraie gloire c'est quand on écrit des pamphlets contre les auteurs consacrés ! Le "Contre Juldé" sera appelé à marquer les esprits ...
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