jeudi 25 septembre 2014

Le retrait




C’est assez ! Je n’éprouve plus ce fanatisme à écrire que j’ai éprouvé toute ma vie. L’idée d’affronter encore une fois l’écriture m’est impossible !
Philip Roth, interview aux Inrockuptibles, octobre 2012.

            Un jour, il y en a qui décident d’arrêter d’écrire. Ils mettent le point final à leur dernier manuscrit, se reculent un peu sur leur fauteuil, se font peut-être même craquer les vertèbres, et décident que ce livre sera leur dernier. Et ce n’est pas une décision prise à la légère, sur un coup de cafard, le genre d’idée sur laquelle on va revenir dès le lendemain, parce que finalement la lumière a changé et qu’on a même entendu chanter un merle. Non, c’est mûrement réfléchi, on s’y tiendra, on l’a annoncé dans la presse, répété dans toutes les interviews : « Le Monde des nombrils sera mon dernier roman. »
            Moi, je peux comprendre tous les renoncements. L’art de laisser tomber. Personnellement, j’abdique tous les jours : c’est ma gymnastique à moi. Mais ça ne fait jamais partie d’un plan préétabli, plutôt d’un découragement subit, spontané. Oui, le renoncement, je le comprends ; c’est la prise de décision définitive qui me laisse pantois. Comment peut-on décider un beau jour qu’on a dit tout ce qu’on avait à dire, et qu’à partir de maintenant, on arrêterait d’écrire ? Et savoir que, même dans six mois, dans un an, on n’aura pas envie de revenir sur sa décision ? Vraiment, j’admire cette détermination dont je me sens parfaitement incapable. J’ai envie de renoncer tous les jours. Mais je suis sûr que si j’annonçais au monde entier (enfin, mettons dans le bulletin Côté Laval et sur France Bleu Mayenne, pour commencer) que j’ai décidé d’arrêter d’écrire… c’est à ce moment là que me prendrait vraiment l’envie de commencer.
            Il faut dire que ça a de la gueule, le retrait. La tentation du désert, du silence. Tout de suite, on passe pour une sorte de sage. Regardez tous ces joyeux lurons qui se « retirent de la vie politique » ! Si seulement, ces promesses-là, ils les tenaient… Mais non, ils disent ça sur le coup de la colère ou de la déception, après une chute vertigineuse dans les sondages, mais ils reviendront comme la grippe dès que le vent sera un peu plus favorable… Seulement, on est habitué aux mensonges politiques. Si ces gens-là se mettaient à faire réellement ce qu’ils disent, c’est là qu’on se sentirait arnaqués. En revanche, un écrivain nous a tellement habitué à ses fictions, à nous faire prendre ses récits pour des lanternes, que le jour où il nous dit : « J’arrête », on ne peut que le croire. Non, sans déconner : c’était François Busnel, en face de lui ! Tu vas pas mentir devant François Busnel, quand même ?
            Vous allez me dire : il y a bien des gens qui arrêtent de fumer, ou de boire. Pourquoi ne pas arrêter d’écrire ? Mais ces gens-là se font aider, justement ! Et ils ne se décident à arrêter que parce qu’ils sentent que leur santé en dépend. Alors qu’écrire ne nuit pas à votre santé ni à celle de votre entourage – enfin, pas directement, en tout cas… Oui, bien sûr, ça peut arriver quand même. Mais les écrivains n’arrêtent pas d’écrire pour se refaire une santé, en général. C’est plutôt comme un départ en retraite. Alors oui, je veux bien admettre qu’un auteur de quatre-vingts ans se dise qu’il est temps d’arrêter – mais le plus étrange, ce sont les auteurs plus jeunes qui, un jour comme ça, posent le stylo. E. M. Forster, c’est à quarante ans qu’il a décidé que plus jamais ça. Robert Walser, l’homme qui s’est promené jusqu’à la mort, n’a plus rien écrit durant les vingt-deux dernières années de sa vie. Mais c’est une période qu’il a passée à l’asile. Au fond, l’écrivain qui renonce à l’écriture, c’est peut-être justement celui qui se sent devenir fou… D’une mauvaise folie, une folie qui nuirait à leur création.
            Et bien sûr, vous croyez me voir venir de loin, avec mes gros sabots : « Il est en train de nous dire qu’il arrête La Bibliothèque de Jupiter. » En fait, vous ne voyez rien venir du tout : je n’ai pas prévu d’arrêter. Comme chaque semaine, j’ignore parfaitement sur quoi portera ma prochaine chronique, mais en voilà toujours une de plus de terminée. C’est tout ce que je peux dire pour l’instant. Je n’arrête pas, non, non : mais de là à dire avec certitude qu’il y aura encore une chronique la semaine prochaine, ouh là, pas si vite : une semaine, c’est long – ça fait sept jours de renoncements et de désertions en tous genres… Je ne sais jamais, à chaque fois, si j’aurais encore le courage de trouver un thème et de m’y tenir, la prochaine fois. Suspense, suspense…

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