jeudi 23 octobre 2014

L'image






« On reconnaît facilement le photographe professionnel au milieu d’un troupeau de touristes : c’est celui qui cache son appareil. »
Roland Topor

            « Moi, pour me faire lire un livre, il faut qu’il y ait des images ! »
            Combien de fois l’avez-vous entendue, cette phrase prononcée par un jeune imbécile ravi d’étaler au grand jour son ignorance, d’y mettre un joli ruban, de s’en faire un étendard ? Et vous, sautant sur l’occasion, vous le prenez au mot : un fin lettré amoureux de l’image, c’est une aubaine ! Vous allez pouvoir discuter avec lui des enlumineurs du Moyen Âge, peut-être connaît-il le De Laudibus Sanctae Crucis de Raban Maur et ses calligrammes extraordinaires ? Ou Opicinus de Canistris, le scribe fou, et ses cartes anthropomorphes ? Ou peut-être que lorsqu’il parle d’images, il veut parler de peinture ? Une belle monographie consacrée à un grand peintre de la Renaissance lui ferait certainement plaisir…
            Ou alors, mais bien sûr, où aviez-vous la tête ? Quand il vous parle de livres contenant des images, il pense plutôt, par exemple, à Un cœur simple, de Flaubert, où les affiches, les gravures, les portraits, les vitraux s’accumulent ! « Les deux panneaux en retour disparaissaient sous des dessins à la plume, des paysages à la gouache et des gravures d’Audran, souvenirs d’un temps meilleur et d’un luxe évanoui. […] À l’église, elle contemplait toujours le Saint-Esprit, et observa qu’il avait quelque chose du perroquet. Sa ressemblance lui parut encore plus manifeste sur une image d’Épinal, représentant le baptême de Notre-Seigneur. Avec ses ailes de pourpre et son corps d’émeraude, c’était vraiment le portrait de Loulou. »
            Ou peut-être aux livres de Jean-Jacques Schuhl, où les paysages et les portraits de toute sorte abondent, sur photographie, polaroïd, billets de banque, affiches, couvertures de magazine… « Il existe une photo de Marlene Dietrich qu’elle a donnée à Hemingway : elle y est toute en jambes, assise, comme dans la fameuse publicité qu’elle fera plus tard pour les fourrures Blackgammon, la tête est baissée, juste, en profil perdu, la ligne nez-bouche-menton : assez pour l’identifier instantanément comme on réagit à un logo, un sigle, un pictogramme, et, à côté de ses célèbres jambes nues croisées qui dévorent l’espace et que la Lloyd assurait cinq millions de dollars, elle a écrit : I cook too. » (Ingrid Caven)
            Non, évidemment. Ne vous faites pas plus idiot que vous n’êtes : vous savez très bien que lorsque Jean-Kévin déclare, avec un petit sourire arrogant, qu’il préfère les livres « avec des images », ce n’est pas de cela qu’il parle. Ce qu’il veut dire, c’est tout simplement qu’il n’aime pas lire, que tous ces mots agglutinés sur la page l’angoissent. Et après tout, on peut le comprendre : moi, ça me fait pareil avec les chiffres.
            Quand il parle de livre « avec des images », Jean-Kévin ne pense évidemment pas à des livres d’art ou à des manuscrits enluminés, qu’est-ce que vous croyez ? Pour lui, un livre d’images c’est, à la rigueur, un roman agrémenté de nombreuses illustrations, ou une bande dessinée.
            Ce que Jean-Kévin n’a pas l’air de comprendre (en plus du fait que c’est ridicule de porter un pantalon qui vous laisse la moitié du cul à l’air), c’est qu’il est tout aussi difficile de « lire » une image qu’un chapitre de roman. Notre jeune ami, ce qu’il aime, c’est « regarder » les images. « Moi j’lis pas, je regarde les images. » Mais non, même ça tu ne le fais pas. Tu ne sais pas regarder.
            Tu te dis : okay, une image, c’est simple à comprendre, y’a qu’à regarder. D’ailleurs, les premiers hommes, dans leurs cavernes à la con, ils ne savaient pas écrire, ils dessinaient. Ils faisaient du pochoir avec leurs mains sur les parois des grottes, et puis ils dessinaient des bisons. D’accord, mais qu’est-ce qu’elles veulent dire, ces mains négatives ? Et c’est quoi, ces bisons ? Ce n’est pas tout, de regarder, mon p’tit bonhomme : il faut aussi comprendre ce qu’on regarde. On s’en fout un peu, que tu trouves que L’Enlèvement des Sabines c’est « bien peint », ou que le Nu descendant un escalier c’est de la merde… Maintenant, il va falloir que tu nous expliques tout ça…
            Et d’ailleurs, il suffit qu’un professeur de français propose à ses élèves une séance d’« analyse de l’image » pour qu’il se rende compte assez vite que, malgré ce qu’ils pouvaient prétendre jusque là, ils ne sont pas beaucoup plus à l’aise face à l’iconographie qu’ils ne le sont devant le texte. « On n’y voit rien ! », cette exclamation que l’historien d’art Daniel Arasse avait choisie pour titre d’un de ses essais, a simplement remplacé « On n’y comprend rien ! » Et le gentil professeur d’évaluer, d’un regard vers la fenêtre, la distance qui sépare son corps du bitume de la cour. « Bon ! lance-t-il avec un sourire qui se veut débonnaire, eh bien nous allons commencer par apprendre à regarder, les enfants… » Et voilà des milliers de petits yeux jusqu’ici pleins d’innocence, définitivement assombris par la révélation soudaine que ce qu’ils croyaient savoir faire depuis toujours (« ben y’a qu’à ouvrir les yeux, quoi ! »), cela s’apprend aussi, comme tout le reste.
            « Ouais, bon, okay. Fais voir ce qu’il y a écrit, à côté de l’image, là ? »

3 commentaires:

Pierre Driout et les images pieuses a dit…

Moi je lis toujours les vignettes ! Si mon gros rouge est titré 12° c'est du bon (dubonnet) si c'est du 11° je crache dessus mais je le bois quand même parce que sinon c'est gâché ! Pour moi il n'y a qu'un saint dont je garde une image pieuse dans ma cambuse c'est Nicolas le caviste.

Pierre Driout et la gonzesse à Juju a dit…

Eh ! je veux pas dire Juju mais ta gonzesse Europe elle a la gueule qui se barre en couilles ! Faut la redresser ... à grands coups de lattes dans l'oignon s'il le faut ! Tu vois ce que je veux dire ...

Yfig a dit…

Faut pas écouter les conneries à Pidi ... surtout quand il picole comme Picrochole !