jeudi 12 mars 2015

La police


L’imprimerie est à l’écriture ce que l’écriture avait été aux hiéroglyphes: elle a fait faire un second pas à la pensée.
Rivarol

Les écrivains se la jouent souvent jeunes rebelles (même quand ils sont vieux, comme si le fait d’être « contre » faisait office de cure de jouvence), anticonformistes, chevelus, « on ne me fera pas taire », c’est la faute à Voltaire, vous voyez le genre.
La vérité, c’est que les écrivains aiment la police. Ils travaillent même tous les jours avec elle.
Leur police, les écrivains, ils la préfèrent de caractère.
Le premier flic devant lequel les écrivains se sont agenouillés – à moins qu’ils ne se soient placés face au mur, les jambes écartées, prêts pour la fouille, je ne connais pas trop les coutumes – s’appelait Johannes Gutenberg. C’est lui, c’est ce mec-là, avec sa barbe à deux battants, qui, en inventant la typographie, a transformé les écrivains en artisans de la police. Il ne faut pas lui en vouloir, à ce petit imprimeur allemand du XVe siècle : il n’a fait que son travail, comme les administrateurs du régime de Vichy pendant l’Occupation... D’ailleurs, les Chinois utilisaient déjà des caractères mobiles en terre cuite qu’ils frottaient sur le papier pour les fixer. En Europe, avant Gutenberg, on utilisait du bois pour graver des pages entières. Lui décida tout simplement de fabriquer des caractères mobiles fondus avec un alliage de plomb, de fer, d’étain et d’antimoine.
Je suis navré, mais cet article étant entièrement basé sur un calembour pourri à propos de la police, je ne peux pas me permettre de vous en infliger un autre avec « antimoine ». J’ai déjà suffisamment honte.
Gutenberg s’adjoint les services du banquier Fust pour financer son projet et décide, pour être sûr que les tirages du premier livre imprimé couvriront les sommes engagées, de commencer par le best-seller de l’époque : la Bible. La Vulgate est imprimée à cent quatre-vingts exemplaires de six cent quarante et un feuillets, chacun d’entre eux présentant un texte en deux colonnes de quarante-deux lignes en caractères gothiques de type Textura. Ceci dit si vous voulez briller en société en sortant votre science. Hélas pour lui, Gutenberg connaîtra la misère de l’écrivain « à compte d’auteur » : la plupart de ses Bibles lui resteront sur les bras un bout de temps. Il aurait mieux fait d’inventer Facebook.
Je ne sais même pas pourquoi c’est ce terme de « police » qui s’est imposé pour désigner la forme, le style de ces caractères. En cherchant un peu sur Internet, je pourrais peut-être le découvrir, remarquez... En tout cas, il a fallu l’arrivée de l’imprimerie pour que les lettres sur la page se tiennent aussi droites, impeccablement alignées, comme pour une parade du 14 Juillet, sans la moindre tête brûlée pour rompre les rangs. On dit que le texte est « justifié ». Les écrivains ont toujours besoin de se justifier. Une telle rigueur dans la pose, un tel ordre dans la casse – pas étonnant que ça nous vienne d’Allemagne, si on y réfléchit bien...
Comme toutes les inventions révolutionnaires, il y a une part d’injustice : ce n’est que dans les toutes dernières années de sa vie que Gutenberg est anobli et qu’il peut enfin bénéficier d’une rente, mais il mourra dans l’indifférence générale, et en ignorant bien sûr le succès que connaîtra l’imprimerie après lui. À vous dégoûter d’inventer quoi que ce soit...
Tout aurait pu être uniformisé, mais non : chacun a voulu créer ses propres glyphes, sa propre police, donc, et c’est ainsi que des Claude Garamont, des Stanley Morison, des John Baskerville ou des Hermann Zapf se sont amusés à fignoler leurs propres caractères typographiques. Et maintenant, à cause de leurs excentricités, on se retrouve souvent forcés de se taper sur Internet des articles entiers en Comic Sans MS, en Calibri ou en Verdana... Je ne sais pas pour vous, mais en ce qui me concerne, je suis totalement allergique aux caractères sans empattement, vous savez, les lettres qu’on dit « à bâton » ou « sans sérif »... Je ne sais pas d’où ça vient, je vous jure que j’essaie de me soigner, mais quand je vois des textes écrits avec ce genre de police, je n’ai même pas envie de savoir si le type a réellement quelque chose à m’apprendre ou pas. Bizarrement, à l’écran, ça passe. C’est à l'impression que soudain, ça m’a l’air d’un travail d’amateur. Alors que bon, dès qu’il y a des empattements, je me sens mieux. Je ne suis vraiment pas difficile à contenter.


2 commentaires:

Pierre Driout et le doigt qui glisse sur le clavier a dit…

On sent toute la "tenure" du professeur titularisé ; le petit doigt sur la couture de la police du clavier ... à vos ordres écrivez !

...

Chef, j'ai glissé !

Pierre Driout dit le capo a dit…

Adujdant Juldé, à vos ordres !