jeudi 19 mars 2015

Les éditeurs


Un éditeur qui entre dans son bureau préfère y trouver un cambrioleur qu’un poète.
Jean Cocteau

            Il y a chez la plupart des écrivains de vieilles habitudes marxistes, ou anarchistes, qui les font renâcler devant toute forme d’autorité. Ni dieu ni maître, et surtout pas de patron ! C’est aussi l’une des raisons qui peuvent pousser un homme (ou une femme) à vivre de sa plume : ne plus avoir à pointer chaque jour au bureau pour subir les reproches et les ordres d’un chef.
            Normal, dans ces conditions, que beaucoup d’écrivains éprouvent une certaine animosité à l’égard de leur éditeur. Après tout, c’est lui le patron – c’est lui l’ennemi. On connaît les lettres rageuses que Céline envoyait à Gaston Gallimard, ou à Jean Paulhan, à l’époque directeur de la NRF… Il en fallait, du sang-froid, pour supporter ses insultes et ses éternels radotages : « Ah, si vous pouviez vous torcher avec mes “contrats” ! dans un joli mouvement de mépris !... me libérer de votre sale bouge !... Mais vous n’en ferez rien !... Votre sclérose est fixée à l’article : Contrats. (…) Bien amicalement à vous et à votre abrutie clique de cancres prétentieux ! » Les grands auteurs peuvent se payer le luxe d’être d’une ingratitude absolue : l’avenir verra même dans leurs emportements les moins justifiés une forme de génie… Et si en plus ils règlent leurs comptes directement dans leurs romans, alors là, il n’y a même plus de questions à se poser : c’est de la littérature ! « Je reviens à mon actualité, pas flambante ! à encore d’autres jours difficiles… surtout à cause de Brottin ! Brottin le maniaque gâcheur ! le philatéliste souillon ! Brottin plein de “Goncourt” plein sa cave !... plein de romans nuls, comme s’il les chiait !... vlaf ! vloof !... si vous le trouvez plus pénard l’œil encore plus merlan que coutume c’est qu’il est en train de réfléchir, cogiter, chier, son dix mille et treizième auteur, le Roi de l’Édition ça s’appelle ! »
            L’auteur aime bien rappeler qu’il vit dans la misère alors que son cochon d’éditeur passe ses vacances sur son yacht privé, sous un soleil privé, à nourrir ses orques privés. La réalité, c’est que si l’auteur perçoit une très petite partie des droits de son livre, l’éditeur n’est pas celui qui se met le magot dans les poches, puisque les parts sont redistribuées entre l’imprimeur, le diffuseur, le libraire… L’auteur qui se croit exploité par son éditeur est, au fond, un optimiste : il est exploité par beaucoup plus de monde que ça.
            L’histoire de l’édition en France est très récente : jusqu’aux années 1830, l’édition d’un ouvrage était assurée soit par les imprimeurs, soit par les libraires. La nécessité de développer le métier d’éditeur s’est révélée par l’augmentation considérable du nombre des lecteurs, mais aussi du nombre des auteurs, au moment même où l’imprimerie s’industrialisait et devait se spécialiser dans différents métiers : presse, affichage, etc. Les premières maisons d’édition sont donc majoritairement créées par des libraires, comme Ernest Flammarion ou Louis Hachette, ou par des imprimeurs.
            Voilà donc à peine deux siècles que l’édition est née, et déjà, la mode est à l’auto-publication. Avant elle, il y avait la publication « à compte d’auteur ». Ça concernait surtout les écrivains qui estimaient qu’ils ne se faisaient pas suffisamment avoir par les éditeurs, et qui trouvaient encore plus fun de publier leur livre à leurs propres frais, pour avoir ensuite la joie de voir leurs cartons d’invendus encombrer leur propre salon pendant des années. Chacun son truc. D’autres apprentis écrivains, qui ont peut-être un peu moins la vocation de martyr (on ne peut pas tout avoir), et qui étaient un peu plus débrouillards aussi, se sont donc lancés dans l’autoédition. Le développement d’Internet a considérablement favorisé ce phénomène, et aujourd’hui, on voit même des auteurs depuis longtemps implantés dans le milieu littéraire, opter pour l’autoédition après avoir rompu avec leur ancien éditeur. L’autoédition, plutôt décriée à ses débuts (puisque parmi ceux qui y avaient recours, il pouvait se trouver un bon nombre d’écrivains médiocres que les éditeurs avaient refusés pour de légitimes raisons), est en train de devenir un système alternatif de mieux en mieux organisé.
Tremblez, éditeurs ! Car vos murs d’encre et de papier sont en train d’être absorbés par… euh… le buvard des écrivains libérés !
Et là, franchement, si les éditeurs ne tremblent pas un peu, je ne sais pas ce qu’il leur faut.


3 commentaires:

Pierre Driout l'exploité a dit…

Salaud d'exploiteur ! C'est moi la petite main qui commente tes billets, patron de sous-prolétariat ! Où sont mes ronds ?

Pierre Driout s'en remet à Allah le miséricordieux a dit…

Négrier ! Inch'Allah on va régler nos comptes dimanche !

Pierre Driout open enfer a dit…

Je me rends au Hellfest pour te maudire, vil écrivain !