Jean-Baptiste Plancher se réveilla au beau milieu de l’après-midi ce premier janvier, un peu la tête dans les ordures, à quelques mètres de son lit. Sa chemise rouge épate-gonzesses était encore humide : sans doute un ami nocturne avait-il eu la charité d’éponger quelques régurgitations intempestives. Ou peut-être était-ce lui qui en avait encore eu la force, peu de temps avant de s’écrouler ? L’odeur de vomi était toujours présente, l’eau n’avait pas été de taille. La dernière chose dont il se souvenait, bizarrement, était d’avoir pris la résolution de réduire sa consommation d’alcool pour l’année nouvelle. Il l’avait dit très sérieusement, en trinquant les yeux dans les yeux avec cette splendide brune, comment s’appelait-elle déjà, aux épaules couvertes de taches de rousseur. Elle avait les yeux verts aussi profonds que son amnésie. Jean-Baptiste Plancher s’aperçut soudain qu’une partie de sa joue droite, sa mâchoire plus exactement, reposait sur sa pantoufle et, en levant un peu les yeux sans pouvoir remuer la tête d’un millième de millimètre, il vit une chaussette roulée en boule qui avait l’air de lui dire :
- Bonne année, Jean-Baptiste.
« Bonne année, chaussette », était-il incapable d’articuler. Visiblement, quelqu’un avait pris la peine de le déshabiller pour le mettre au lit. Avec un peu de chance, c’était la brune aux taches de rousseur, comment s’appelait-elle déjà, avec ce chemisier follement ouvert où il s’était imaginé entre deux verres que des spéléologues descendaient en rappel avec lampes frontales, casques et piolets, s’accrochant dans la mollesse de la peau, essayant de ne pas glisser au milieu, sachant qu’alors ils ne pourraient échapper à une mort atroce, coincés entre les seins énormes, sueur et dentelles, je ne m’en sortirai pas cette fois Charlie, dis à Rose et aux enfants que je les aime.
À bien y réfléchir, Jean-Baptiste s’était sans doute déshabillé tout seul. Si la brune l’avait fait, comment s’appelait-elle déjà, quelque chose comme Camille, non, Suzy, il semble qu’elle aurait pris la peine de le porter jusqu’à son lit. Or, il était visiblement allongé devant la porte de sa chambre et, même si sa position ne lui permettait pas de s’en assurer, tout le portait à croire qu’il possédait encore son pantalon blanc piège-à-meufs. Il espérait un peu avoir, malgré l’ivresse, ou grâce à elle qui sait, ramené cette brune, Christelle peut-être, et être parvenu à ses fins. Des copains lui ont dit que ça leur était arrivé, bourrés, de ramener des filles sans s’en souvenir le lendemain. Mais lui, Plancher, il aurait bien aimé s’en souvenir un petit peu quand même, de sa super nuit de super baise avec la brune, Adeline… Finalement, il valait mieux qu’il ne se soit rien passé, parce qu’il n’aurait sans doute pas été très glorieux, avec une chemise anciennement rouge qui sent le vomi, une pantoufle sous la joue et un seul pied nu, l’autre étant toujours enfoncé dans une Burlington ce-soir-je-vais-pécho qui était encore impeccablement cirée vingt-quatre heures auparavant. Jean-Baptiste Plancher n’avait pas vraiment de théorie à ce sujet, mais il était profondément convaincu qu’il y avait des moments dans la vie où un homme pouvait avoir la classe et d’autres où ça lui était plus difficile – et qu’à ce moment précis, par exemple, lui-même manquait un peu d’élégance.
Constatant qu’un filet de bave s’échappait, depuis quelques heures sans doute, de sa bouche entrouverte, il prit la décision de se lever.
Oui, cette décision, il la prit.
Bon. Ce ne serait jamais que la deuxième résolution de l’année à ne pas être suivie d’effet. La position verticale lui sembla soudain aussi impensable que l’Everest, aussi difficile à atteindre que cette brune, c’était quoi son nom bordel, Martine, non, Élodie. Quelque chose comme ça. Jean-Baptiste se serait bien gratté l’entrejambes, mais ses mains pesaient des tonnes. Il avait la douce sensation de s’enfoncer dans la moquette comme dans un bain moussant. Il y aurait bien passé sa vie. Ou du moins l’année qui commençait. Dire qu’il allait falloir en faire quelque chose, de cette année. Jean-Baptiste ne s’imaginait pas pouvoir tenir debout, même en février. Pas plus en mars ou en octobre. Depuis que sa femme était partie, trois mois auparavant, il ne savait plus trop ce qu’il faisait debout. Son patron non plus, d’ailleurs, puisqu’il l’avait viré quelques semaines plus tard. De toute façon il n’allait pas livrer du courrier toute sa vie : il était né pour de plus grandes choses… Attendez seulement que je me lève et vous allez voir…
D’un bond volontaire, Jean-Baptiste Plancher se retrouva accroupit et, sur sa lancée, se redressa brusquement. Déséquilibré, il heurta un petit secrétaire qui traînait là, je le voyais plus loin ce con-là, et tomba en arrière, de tout son long, sur une table basse, brisant une ou deux de ses côtes flottantes et un soliflore qui ne contenait plus de fleur depuis trois mois. Ah oui, voilà, j’y suis : Florence.
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Première publication le 16 janvier 2005 dans le blog Palindrome
22 commentaires:
Après le réveillon, la saint Sylvestre : la logique est l’apanage des grand scribes majestueux qui honorent une époque (et toujours cette joie qui n'appartient qu’à vous, ces personnages fringuant. Quel bonheur ! ( et quel film ça ferait !)
See you
Restif, l’âme alcoolisée,le verbe las.
C'est la folie ici !
Cotillons, lampions et pétards en attendant le mardi gras !
Aplatie comme un crêpe la critique bien-pensante, on dirait Yann Moix se faisant ramasser par Eric Naulleau !
Mais ? que les gens sont méchants... Jamais je n'ai eu de si noires intentions. JA-MAIS.
Restif, désabusé, l'âme écorchée
A ceci près que, contrairement à Moix, si un critique me dit un jour que mon oeuvre est "vide", je prendrai ça pour un compliment !
Bartleby un jour, Bartleby toujours !
Bravi Bartlebo !
iPidiblue
PS La fine allusion à Y.Moix était de moi ... tout le monde avait rajouté ma signature au beau débit de Blue.
Et la classe ouvrière, tu y penses de temps en temps à tes moments perdus ? le nihilisme petit-bourgeois n'a pas de limites, vraiment ...
iPidiblue, la lutte des classes élémentaires vaincra.
C’était donc l’azurin galapiat qui picoti-picotait anonyme l’infemme… Comment oser comparer un authentique condottiere de la béance, un Jason du phonème blanc tel Raphaël à moi-Moix, maquignon capable d’atteler au même joug le Claude François et l’Edith Stein…
Et Naulleau il péninsule correcte de l’édition , oh céruléenne mauvaise langue (numériquement s’entend…)
Restif, qui prefer no too approfondir certaines motivations…
Vaut mieux entendre cela que d'être dans une chambre sourde !
iPidi
Ta, ta, ta, vilain schtroumpf. Alors on réutilise les mêmes formules - on chambre-sourde chez l'écrivain en bâtiment et ici ? Je vais le dire à Juanito.
Restif et le concept ipidibluvien hyper up to date néo-supra-post moderne de répétition
Restif's Digest ou les commenticules élémentaires, mon best of favori !
iPidibluette fidèle
PS T'inquiète Half c'est toi mon foufounet d'amour !
^_^
r
Ps (Je suis pas une briseuse de ménage!)
Hé ho ! Les aguicheuses dehors !
iPidiblue forza Bartleba
Jalouse! ( Exquis Raphaël méfiez des pseudo amateurs possessifs aux petits nerfs grinçants...)
Restif qui connait les âmes (et les schtroumpfettes…)
Je propose un duel au bigoudi sur le pré pour savoir qui l'emportera de haute lutte dans le coeur de Raphaël !
iPidiblue enchapeauté
Rv à ma prochaine permanente !
Restif et le choix des armes :
http://www.priceminister.com/navigation/se/category/sa/kw/bigoudis
Vous devriez créer un blog en commun, tous les deux, vous avez l'air d'avoir des choses à (vous) dire... A force de vous voir discuter à bâtons rompus chez moi, les gesn vont s'imaginer que je vous paye à la ligne !
Vous ne m'aurez pas, avec vos texticules !
I would prefer no too...
R
I mean: i would prefer not to, too.
maybefor my wife? Who' know? (See : "My secret life")
Moreover, we need YOU!
Festif
La Belle au Bois dormant s'est réveillée ! cela valait le coup d'affronter tant de ronces et tant d'épines - tant de pines voulais-je dire !
iPidiblue Jésus la Caille
En tant que marxiste je regrette le réalisme social du "Journal de Juldé".
(D'ailleurs une brune couverte de taches de rousseur ne peut pas être "superbe", mais tout au plus "canon" ou "mignonne", voire bandante ; "superbe" trahit le penchant de l'auteur à s'emballer pour le moindre boudin pourvu qu'il soit aimable.)
En tant que non-marxiste je regrette le silence prudent du Lapinos !
iPidiblue pesant comme un dimanche anglais
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