mercredi 11 mai 2011

Mon entretien avec Oussama Ben Laden

[Quelques jours après le 11 septembre 2001, j'avais rédigé un article dégoulinant de mauvais esprit dans lequel je m'imaginais interrogeant Oussama Ben Laden dans sa cachette. Je comptais publier cet "entretien" (le titre était un clin d'œil à André Suarès et à son "Entretien avec le Pape") dans le fanzine Bigorno que des amis venaient de créer quelques mois plus tôt. Mais il n'y a rien qui refroidisse plus vite que l'actualité, et j'ai finalement renoncé à faire paraître un texte qui serait déjà périmé au moment de sa sortie. Alors, je l'ai rangé dans un tiroir. Aujourd'hui, l'actualité est brûlante, et c'est Ben Laden qui est refroidi. C'est toujours un peu déprimant de ressortir les dossiers qu'on croyait classés, mais après avoir soufflé sur la poussière, j'ai trouvé plutôt amusant de retrouver, dix ans après, cet esprit de polémique confortable qui avait vu le jour devant nos écrans de télévision, sur nos canapés, pendant que l'ancien Nouveau Monde s'effondrait...]

Quelque part dans les montagnes qui bordent l'Afghanistan, le 25 septembre 2001...

Il m'en aura fallu, de la patience, avant d'atteindre ces reliefs sacrés qui cachent l'homme le plus recherché du monde, celui dont on ne peut prononcer le Nom sans sentir le sang se figer dans nos veines, celui qui a mis l'Amérique à genoux, et tout le monde occidental... C'est entouré d'une solide garde armée jusqu'aux dents et visiblement pas prête à plaisanter que je suis arrivé, après des heures et des heures de marche sous un soleil écrasant, dans cet endroit retiré, isolé du reste du monde, devant Oussama Ben Laden.

Son beau visage hâlé rayonnait dans le soleil couchant, sa barbe aux entrelacements sensuels frissonnait dans le vent frais du soir, et sa dextre terrible, négligemment, caressait le canon d'un pistolet mitrailleur comme elle l'aurait fait de la tête d'un chien docile et affectueux. Mes mots se figeaient dans ma gorge. Dans un anglais parfait, avec un calme olympien, inattendu de la part d'un homme conscient que le reste du monde ne désire rien d'autre que sa mort, il me fit signe de m'asseoir à ses côtés.

- Posez vos questions, je vous écoute...

Dès lors, je n'avais plus aucun doute : cet homme était un émissaire de Dieu ! Il savait que sa vie ne lui appartenait plus et sa force incroyable, sa force sublime, lui venait de cette certitude. Que peuvent les bombes américaines contre un homme qui a donné sa vie à Allah ? Après tout, même sous bonne garde, j'aurais pu piéger ce magnétophone que je posais délicatement sur la table, à quelques centimètres de sa main gauche, comme ses hommes l'avaient fait avec la caméra censée filmer le commandant Massoud, quelques jours plus tôt... Mais Ben Laden ne semblait ressentir aucune peur. Sans doute savait-il qu'un occidental était tout bonnement incapable d'accomplir un acte kamikaze. L'homme blanc n'a pas l'âme du sacrifice : il est tout juste bon à considérer comme un acte d'héroïsme le fait d'aller gagner sa vie huit heures par jour pour payer sa petite retraite et partir en voyage organisé... De son œil noir, Oussama Ben Laden me fit signe de commencer l'entretien.

- Que pensez-vous des représailles que les Américains ont engagées envers les talibans ?

- Les Américains recherchent un coupable. Ils se précipitent et désignent le coupable avant même d'entamer une quelconque enquête. Ma tête est mise à prix et ils espèrent m'effrayer, me faire sortir de ma cachette pour protéger mes hommes. C'est un comportement typique d'un peuple sans dieu.

- Les Américains sans dieu ? Un Américain ne se déplace jamais sans sa bible ! Il va à la messe tous les dimanches ! Il porte le nom de Dieu sur chaque billet de banque ! Et "Dieu bénit l'Amérique" !!!

- Outrecuidance américaine ! Comment Allah pourrait-Il bénir un seul peuple ? Et comment pourrait-Il choisir le peuple américain ? Allah est avec les humbles, avec les faibles... Je persiste à dire que les Américains, dans leur précipitation à se venger, se comportent comme un peuple sans dieu. C'est d'ailleurs là que l'on peut voir à quel point sont ridicules leurs constantes invocations à un Dieu qui serait à leur service ! Dieu n'est au service de personne ! C'est l'homme qui est à Son service... Les occidentaux se savent mortels, ils savent qu'ils n'ont que très peu de temps à vivre, parce que Dieu n'est pas là pour eux ! Aussi se pressent-ils de désigner les coupables et de leur donner la chasse. Mais ils craignent l'adversaire, car ils savent dans quel camp se trouve Dieu. Ils l'ont compris le 11 septembre dernier. Les talibans ne craignent pas la mort. Il n'est rien de plus terrible qu'un adversaire qui se bat pour le Nom d'Allah et sait que sa mort lui offrira une place près du Très-Haut, près de Celui dont grande est la Colère de voir ce que l'homme blanc a fait de Son Nom !

- Vous laissez entendre que les Américains ont été un peu trop vite en besogne en désignant les coupables. Avez-vous réellement commandité les attentats du 11 septembre ?

- Allah seul sait qui pilotait les avions le 11 septembre.

- Parlons d'autre chose. A propos du régime taliban, vous savez que les occidentaux s'insurgent contre ses pratiques qui lui semblent venir d'un autre âge... Vous excisez vos femmes, vous leurs faites porter un voile qui les avilit, les ramène à un rang inférieur à celui de la bête, vous les exécutez froidement si elles trompent leur mari...

- Et vous, chiens d'occidentaux ? Que faites-vous subir à vos femelles ? Vous n'y prêtez attention qu'à la condition qu'elles soient belles et désirables, vous leur donnez la parole mais en réprimant un léger ricanement - osez dire le contraire ! - comme pour dire qu'elles feraient mieux de rester dans leur cuisine ou de torcher leurs mômes plutôt que de venir ramener leur science... La femme occidentale n'a acquis que depuis quelques années une liberté qui n'est encore qu'apparente, de même que l'esclavage n'est aboli que depuis peu de temps... Vous avez beau jeu de critiquer nos pratiques, vous dont les femmes s'imposent des régimes qui sont de véritables tortures pour satisfaire leur mari et tenter de se rapprocher d'un idéal toujours plus inaccessible, toujours plus superficiel... Les pratiques de l'Islam intégristes peuvent vous paraître odieuses, elles ne sont que l'exagération de vos propres pratiques.

- Pour en revenir à ce qui s'est passé le 11 septembre aux Etats-Unis...

- Les Américains se croyaient puissants ! Ils érigeaient leurs tours vers les cieux, toujours plus haut, sans jamais songer qu'elles pourraient de cette façon prêter le flanc à une quelconque attaque aérienne. Protégés derrière leurs dollars, ils entendaient régir le monde entier, le maintenir sous leur botte étoilée, et faisaient souffrir des milliers de peuples sans craindre de représailles. Les attentats du 11 septembre ont vengé l'extermination des Indiens, les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki, la déforestation du Viêt-Nam. Cette catastrophe a remis le monde à l'endroit. Maintenant, le monde peut repartir à zéro : les Etats-Unis sont morts. Avouez, jeune homme, que même vous, en tant qu'Européen, vous vous sentez soulagé...

- J'avoue qu'en voyant les tours du World Trade Center s'effondrer, j'ai senti un frisson de joie m'envahir, oui. Et lorsque j'entends sur toutes les chaînes nos gouvernants répéter : "Nous sommes tous Américains", je me dis que c'était bien la peine de lutter contre les Allemands en 39...

- Vous voyez ! Aujourd'hui, l'Amérique est redevenue un pays du Tiers-Monde comme les autres. Vous aurez remarqué qu'il a été très peu question des quelques 5000 morts des attentats, mais surtout de l'orgueil meurtri de l'Amérique. L'orgueil ! Toujours l'orgueil ! Allons, un Dieu réellement juste, réellement bon, ne pouvait pas se trouver du côté de ce peuple ignoble...

- Comptez-vous (si vous avez commandité les attentats) prévoir d'autres actions terroristes contre le monde occidental ?

- Il se fait tard. Cet entretien est terminé. Ravi d'avoir fait votre connaissance, jeune homme. Faites attention si vous prenez l'avion pour rentrer chez vous : les vols ne sont pas sûrs, de nos jours...

Alors, avec l'élégance d'un lion, Oussama Ben Laden se leva de la chaise de bois qui supportait sa force latente et lentement, sans se retourner, pénétra dans une pièce annexe où devait se trouver sa chambre. Avec une étrange impression de plénitude, je suivis machinalement les gardes qui me guidaient vers le chemin du retour.

2 commentaires:

iPidiblue et le petit vingt-et-unième illustré a dit…

Je t'approuve ! Tu as bien fait d'interwiever Oussama Ben Laden avant qu'il ne fasse des glous-glous incompréhensibles au fond de l'Océan Indien !

Finalement tu es notre Tintin de Laval !

Raphaël Juldé a dit…

Eh bien, Ipidiblue ? C'est quoi, ce commentaire qui apparaît puis disparaît ? On n'assume plus ? Je ne suis plus votre Tintin de Laval ?