vendredi 6 avril 2012

Bag of Bones [épisode 4]


C’est vrai qu’on a un peu débarqué dans le monde du rock comme des danseurs de claquettes sur la lune. Pas un pour relever l’autre, aussi innocents que des chiards au biberon, j’avoue. Mais quand on s’y est mis, on s’y est mis. Tous les soirs après les cours, et avant de rentrer chez moi faire mes leçons (si on veut), j’allais faire une heure de batterie chez Florian. Le reste du temps, je potassais « La Batterie pour les Nuls » ou des trucs comme ça. Ça me changeait de Platon et des identités remarquables !

Un soir que j’étais chez Florian, il m’a appris que Steven avait eu une basse pour son anniversaire. Être un gosse de riches, c’est quand même le bon plan.

- Je l’ai pas vue, il m’a dit Florian, mais il paraît qu’elle est super classe. Il m’a dit que c’était une basse libyenne, j’crois bien.

- Ils font des basses, en Libye ? j’ai demandé. C’est quelle marque ? Genre Ibanez ?

- Ah oui, c’est ça : libanaise. Moi tu sais, la géo…

Des claquettes sur la lune, je vous dis !

Et alors tous les mercredis et les samedis après-midi, on répétait dans le garage de Florian. On pensait plus qu’à ça. On avait tapissé les murs du garage avec des boîtes d’œufs, comme on avait vu sur des photos de groupes. Ça empêchait pas le père de Florian de venir gueuler de temps en temps parce qu’on jouait trop fort (ou trop mal). Nous, on se prenait juste pour le meilleur groupe du monde. D’ailleurs c’est pas dur, citez-moi un seul groupe de rock actuel qui tabasse ?

Ah ! Vous voyez ?

Bon, comme on ramait un peu question rythmique, au début on a surtout bossé le concept. Il fallait qu’on se mette d’accord sur notre style. Niveau influences, dans le groupe, c’était un peu le bordel. Genre Florian, son truc c’était plutôt le rock pour dépressif en phase terminale. En gros, Marilyn Manson. C’est moi qui lui ai fait découvrir Joy Division ! Adrien est tombé dans le métal quand il était petit. Steven, je crois bien que son rockeur préféré, c’était Jean-Paul Sartre. Noémie, elle est si merveilleuse et tout que ses goûts musicaux sont forcément hyper pointus, et moi, je m’y connais pas mal dans tout ce qui fait du bruit et qui date, grosso modo, d’avant ma naissance. Je suis le vieux con du groupe.

Du coup, on s’est dit que Bag of Bones, ça devait refléter un peu tout ça, et on n’était pas beaucoup plus avancés. Mais quand même Adrien, qui dessine super bien, et pas que les guitares, avait fini par nous faire des putains de visuels. On n’avait pas de compos, on savait à peine jouer, on n’avait aucune idée de ce qu’on allait faire, mais on savait déjà à quoi ressembleraient les affiches des concerts. Tout à l’envers : c’était ça, notre style.

Tranzistor, n°46, printemps 2012.

1 commentaire:

Pierre Driout a dit…

Je me souviens ... comme répétait mille et mille fois Georges Pérec !

Je me souviens quand je me me moquais de Raphaël et que ses copains m'engueulaient !