« Il est plus facile de faire la
guerre que la paix. »
Georges Clémenceau, Discours de
Verdun, 14 juillet 1919.
Parmi les
sujets les plus couramment explorés par la littérature, il y a l’amour et la
guerre. L’amour étant de loin le plus déprimant des deux, nous allons parler de
la guerre.
À
la seule pensée que sans la guerre, nous ne connaîtrions ni Homère, ni la Chanson de Roland, ni Shakespeare, ni
Tolstoï, ni Chateaubriand, ni Stendhal, ni Céline, ni Barbusse, ni… enfin,
bref, que la littérature n’existerait tout simplement pas, on est tenté d’y
réfléchir à deux fois avant d’entonner le refrain pacifiste de
circonstance !
La
vie offre parfois l’occasion aux jeunes hommes qui n’ont pas connu l’amour de
connaître la guerre. Depuis les années 60, il est de bon ton d’opposer les
deux : « Faites l’amour, pas la guerre ! » Comme si l’un
empêchait l’autre… D’ailleurs, l’amour et la guerre ont de nombreux points
communs : il est toujours question de conquêtes… Dans les chansons de
geste et le roman arthurien, les chevaliers se battent souvent pour libérer une
princesse enfermée dans un château. Les soldats d’aujourd’hui ne font pas autre
chose : leur princesse, à eux, s’appelle Patrie, un point c’est tout. Du
reste, quoi de plus phallique qu’un canon ? Dans Les Nus et les morts, Norman Mailer, à travers l’un de ses
personnages, y voit plutôt un vagin : « Le
canon comme une reine des abeilles je suppose, fécondée par le faux bourdon.
L’obus-phallus qui voyage dans un vagin d’acier brillant s’élève dans le ciel,
puis allume la terre. La terre-mère comme dirait le poète, je suppose. »
Il
y a deux sortes de littérature de guerre : l’une écrite par des auteurs
ayant connu l’expérience du feu, l’autre par des auteurs qui ne peuvent
qu’imaginer ce qu’ils ressentiraient s’ils se trouvaient piégés sous une grêle
d’obus. Les anciens combattants vous diraient sans doute qu’on ne peut pas
savoir ce que ça fait de trébucher sous la mitraille et de plonger les mains
dans les tripes chaudes d’un compagnon d’arme, ou d’enfoncer la lame d’une
baïonnette dans un estomac boche, tant qu’on ne l’a pas vécu. Mais les
romanciers écrivent pour des lecteurs qui pour la plupart n’ont pas combattu
non plus. Et le talent d’un écrivain se mesure aussi à sa faculté d’écrire sur
un sujet qu’il ne connaît pas !
Ce
débat est vieux comme le monde. « Il
faut mettre sa peau sur la table », disait Céline. Avoir payé de son
sang chacun de ses mots. Belle posture de l’écrivain combattant, fort
respectable en soi (ce n’est pas un admirateur de Céline comme moi qui irait
prétendre qu’il a tort sur ce point). Seulement, il existe de nombreuses façons
d’écrire sur la guerre, ou sur la mort. Lire Ceux de 14 de Maurice Genevoix, ou La Main coupée de Cendrars, qui ont tous deux versé leur écot de
sang avant de raconter la guerre, n’est sans doute pas la même chose que lire 14 de Jean Échenoz, ou même le Verdun de Jules Romains. Il ne faudrait
pas pour autant sous-estimer les récits
de fiction écrits par des non-combattants. L’Iliade,
les pages que Victor Hugo consacre à Waterloo, ou encore La Débâcle de Zola, ce n’est pas tout à fait du pipi de chat.
Il est vrai
que les romanciers, c’est leur pente, ont tendance à romancer. Ils inventent
des personnages, les placent dans la guerre, derrière une pièce de batterie ou
aux commandes d’un char Sherman, et imaginent toutes sortes de situations à
partir de ce postulat. Les combattants qui tiennent leur carnet entre deux
alertes, ou qui relatent leurs souvenirs plusieurs années après leur
démobilisation, n’ont pas à se soucier, eux, d’imaginer des situations. Ni à se
demander comment ils auraient réagi, eux, à courir entre deux éclats d’obus
dans une charge désespérée. Ils le savent parfaitement : ils y étaient.
Les
romanciers actuels qui évoquent la guerre (je pense à Jean Vautrin et à ses Quatre soldats français) en rajoutent
souvent dans les couplets antimilitaristes et antipatriotiques. C’est dans
l’air du temps. Il suffit de relire Genevoix, Paul Lintier ou même Gabriel
Chevallier pour se rendre compte que la plupart des soldats, pendant la Grande
Guerre, même s’ils se demandaient souvent pourquoi ils montaient au combat et
quels pouvaient bien être les plans de l’état-major, continuaient à glorifier
la Patrie, cette princesse en danger qu’ils partaient bravement libérer. Sans
elle, vraiment, ils n’auraient eu qu’à se laisser crever sur place…
L’héroïsme
et la gloire sont bien mal compris aujourd’hui. Le 11 novembre, on ne célèbre
plus guère que les déserteurs et les fusillés pour l’exemple… Quand on ne sait
pas ce que c’est que le courage, ce que c’est que de se lancer à l’assaut pour
regagner les dix mètres de terrain perdus la veille, on peut facilement
s’imaginer que les Poilus obéissent aux ordres comme des moutons, ou que derrière
eux se tient un officier colérique, ivre de sang, prêt à tirer sur le premier
qui esquissera un mouvement de recul. La littérature du non-combattant est
aussi, souvent, une écriture du fantasme.
À trop vouloir
peindre l’horreur, on en viendrait à oublier que la vie d’un soldat est aussi
faite de banalité, d’attente et d’ennui. Et de manœuvres parfois plus
éreintantes que la mitraille. Dans Les
Nus et les morts, Norman Mailer évoque très brièvement les combats et la
mort, mais passe plusieurs pages, et parfois plusieurs chapitres, à évoquer
l’acheminement d’un canon sur un terrain bourbeux, impossible, où les hommes
vont user jusqu’à leurs dernières forces pour une mission absurde qui se solde
par un échec.
« Pour être sincère, le carnet de
souvenirs d’un combattant ne devra pas être exempt de beaucoup de
monotonie », écrit Paul Lintier dans son carnet de guerre, publié sous
le titre Le Tube 1233, deux jours
avant de rencontrer l’obus qui mettra un point final à son récit.
1 commentaire:
En googlisant (ça vient d’entrer dans le Larousse) Paul Lintier, auquel je m’intéresse particulièrement, j’arrive ce blog, que je découvre avec plaisir.
Les endroits où l’on parle de Paul Lintier ne sont pas si nombreux. Et ceux où l’on en parle aussi bien sont encore plus rares. Bravo.
Lintier est encore lu, c’est rassurant. Pour exaucer votre vœu, sachez que va paraitre incessamment une réédition de "Ma Pièce" et du "Tube 1233" réunis en un livre intitulé "Avec une batterie de 75".
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