jeudi 16 mai 2013

Le café



« Le comptoir d’un café est le parlement du peuple. »
Balzac.
           
Sirotant mon café en relisant Bouvard et Pécuchet, je me disais que s’il y avait bien un cliché tenace (et Dieu sait si Flaubert traque les clichés dans son ultime roman) c’était d’abord d’employer le verbe « siroter » en parlant d’un café – mais ce n’était pas ce cliché tenace là que j’avais en tête. Non, j’avais en tête le cliché tenace de l’écrivain consommateur de café, et plus particulièrement de l’écrivain au café.
            Parce qu’au café, on ne consomme pas que du café. Antoine Blondin aussi, comme Sartre et toute la bande du Café de Flore des années 50, était un écrivain au café. Mais ce qu’il buvait, au Bar Bac ou ailleurs, était plutôt à base de houblon ou de raisin. Et Verlaine, Rimbaud et les autres, ne commandaient pas beaucoup de cafés quand ils s’attablaient au Procope – pas assez en tout cas pour que l’Histoire le retienne.
            Mais enfin, voilà, c’est ce qu’on appelle une image d’Épinal : l’association de l’écrivain et du café, de l’écrivain à une table de café, plutôt avec des lunettes de soleil, une petite brise dans les cheveux et un carnet de moleskine rempli de lignes raturées et illisibles écrites au stylo Mont-Blanc (très, très important, le carnet moleskine et le Mont-Blanc, pas de faute de goût, surtout !), bref, vous m’avez compris : cette image là est dans tous nos esprits. Le mien peut-être plus que le vôtre, parce que j’ai un certain penchant pour le stéréotype et les films de la Nouvelle Vague. Personnellement, j’irais même jusqu’à ajouter à mon écrivain un imperméable, un chapeau et une longue écharpe. Dans ces cas-là, on aura soin d’enlever les lunettes de soleil, pour ne pas surcharger le tableau. Sans vouloir paraître perfectionniste…
            Il y a bien sûr des cafés à écrivains. Si vous êtes un jeune auteur (et que vous vous appelez, mettons, Jean-Baptiste Patafion), vous prendrez soin de choisir plutôt un café chic et relativement calme pour vous poser avec votre matériel d’écrivain. Puisque vous êtes un écrivain moderne, vous aurez troqué votre carnet contre un ordinateur portable fonctionnant sous Windows 8. Évidemment, vous irez plutôt vous installer au Café de Flore ou, si vous habitez la province, dans ce qui se rapproche le plus de l’idée que vous vous faites d’un café littéraire, plutôt qu’au bar-PMU Chez Henri, entre un flipper agonisant et un baby-foot assailli par d’anciens jeunes.
            Que vient chercher l’écrivain au café ? L’Inspiration. On l’imagine reclus dans son appartement, derrière son écran, loin du monde et de l’aventure… Sur quoi écrire ? Sur rien ? Oui, bien sûr, mais on ne va pas passer sa vie à écrire sur rien ! Alors, notre écrivain décide de revenir au monde, et s’installe au café. Le café, c’est parfait : s’il n’est pas trop bruyant, on peut capter quelques conversations, s’inspirer de quelques figures, bref : trouver des idées. C’est en tout cas le projet de notre auteur. S’inspirer de la Réalité pour nourrir son Œuvre.
            Riche idée.
            Assez vite, cependant, l’auteur s’aperçoit que la réalité, tout compte fait, n’est pas à la hauteur de la fiction. Après avoir laissé traîner ses oreilles un bon moment pour écouter brailler un enfant en manque de Blédina sous le regard impuissant et inexplicablement plein d’amour de ses parents, pour entendre le récit palpitant d’un gus qui après une période de chômage vient de retrouver du boulot, ou encore les conversations d’octogénaires dressant leur bilan de santé et comptant leurs morts entre deux thés de Ceylan, notre Patafion a compris que ça ne remplit pas un livre, tout ça. Un café, au mieux, c’est une réserve d’anecdotes, de petits faits, de dialogues et de lieux communs qui sonneront juste, qui feront « couleur locale »… Mais il ne faut pas en attendre plus.
            Alors, après avoir noté piteusement une ou deux phrases, une ou deux idées sur son calepin ou son labtop (pour les effacer ensuite), l’écrivain n’a plus qu’à payer ses consommations et rentrer chez lui. Là, peut-être qu’une bonne tasse de café à proximité de ses livres et de ses annotations électrisera un peu sa réflexion ?
            En tout cas, la tasse de café au milieu des livres et des papiers, c’est sûr, ça fait écrivain. Il ne va peut-être pas écrire beaucoup aujourd’hui, mais il va au moins prendre une photo de la scène. Ça, c’est quinze « likes » minimum sur Facebook.

4 commentaires:

jazzman a dit…

Patafion, j'aime bien ce patronyme c'est quand même plus classe que main-au-cul.

Pierre Driout le cafénomane a dit…

Eh oui ! certains passent de l'état de jeune fille en fleur à celui de vieille dame sans l'état intermédiaire de nymphomane et de casse-couille chronique !
Du café au lait jusqu'au thé au citron ...

Raphaël Juldé a dit…

C'est pour moi que vous dites ça, Pierre ? Non mais dites donc, soyez poli ! Vieille dame vous-même !

Pierre Driout dit Gatsby le mirifique a dit…

Ah ! Nymphette vous avez trop fréquenté DSK sur la Croisette !