« Cette sœur de
Shakespeare mourut jeune… Hélas, elle n’écrivit jamais le moindre mot. Elle est
enterrée là où les omnibus s’arrêtent aujourd’hui, en face de l’Elephant and
Castle. Or, j’ai la conviction que cette poétesse, qui n’a jamais écrit un mot
et qui fut enterrée à ce carrefour, vit encore. Elle vit en vous et en moi, et
en nombre d’autres femmes qui ne sont pas présentes ici ce soir, car elles sont
en train de laver la vaisselle et de coucher leurs enfants. »
Virginia Woolf, Une chambre à soi.
À Cécile B.
Jadis, les écrivains vivaient heureux, entre hommes, à
parler de choses sérieuses qui concernent les hommes, comme la guerre, le
pouvoir, l’ambition, mais aussi la vieillesse, la vie, ce genre de choses.
Surtout, ils parlaient d’amour. De l’amour pour la belle inaccessible – à
laquelle on finissait par accéder quand même grâce à nombre de prouesses et de
victoires guerrières. De l’amour pour la mignonne qui fera moins la fière quand
son visage sera flétri par les ans. De l’amour pour la pauvresse que, dans
notre grandeur d’âme, nous avons recueillie, et que nous protégeons,
essentiellement parce qu’elle a un beau cul. Et à la fin du conte, la pauvresse
en question se révèle être une princesse, distraitement abandonnée par ses
géniteurs et adoptée par les prolos du coin. Du coup, on est plutôt bien tombé.
Et puis un jour, les femmes ont
appris à lire et à écrire. Et, voyez-vous ça, certaines en ont conclu qu’elles
avaient autant de choses à dire que les hommes. Certaines ont voulu montrer qu’elles
avaient un cerveau, alors qu’il aurait été bien plus délicat, bien plus pudique
(en un mot : bien plus féminin), de s’en tenir à leur rôle de belle
ingénue, douce, compréhensive et superficielle. Ah ! Orgueil !...
Les hommes ont longtemps essayé de
dénigrer tout ça. Il leur fallait un qualificatif dépréciatif de circonstance.
L’expression « littérature de bonne femme » tombait à pic. Parler
d’une « femme d’esprit », ça faisait déjà bien rigoler dans les
salons – alors imaginez « femme de lettres » !
Mais voilà : considérées avec
objectivité, les œuvres écrites par ces femmes-là étaient d’aussi bonne facture
que celles des hommes, et la pensée de leurs auteurs aussi pertinente. (Non, je
ne mets pas de e à « auteurs », mais vous le rajoutez si vous
voulez…) Elles savaient parler de choses sérieuses qui ne concernaient pas que
les femmes, comme l’amour, le pouvoir, le désir, l’ambition, mais aussi la vie,
la mort et la guerre. Comme des écrivains normaux, en fait. C’était ennuyeux,
ça : si les femmes se mettaient à écrire, un jour, elles risquaient
d’obtenir le droit de vote, de devenir soldats ou même footballeuses, allez
savoir…
La preuve : c’est exactement ce
qui s’est passé.
La femme écrivain a une grande pr…
pr ?... précurseuse ? prédécesseuse ? Râââhh !... Vous
voyez comme c’est pénible, avec les gonzesses, on ne sait jamais accorder les
noms correctement !
La première femme écrivain française
connue (on va plutôt tourner la phrase comme ça) est Marie de France
(1160-1210), qui a adapté en anglo-normand des légendes bretonnes, ses Lais,
composés d’octosyllabes à rimes plates.
On ne peut pas vraiment dire que
Marie de France a lancé une mode.
Jusqu’au milieu du XXe
siècle, on attend d’une femme qu’elle ne dévoile ses qualités artistiques que
dans un joli canevas ou quelques charmantes broderies – bref, dans des
« ouvrages de dames ». La femme écrivain est un accident. D’ailleurs,
bien souvent, elle essaie de cacher son sexe sous un nom d’homme : George
Sand, George Eliot, Ellis Bell, etc.
On s’est moqué des « femmes
savantes » jusque chez Molière. Une femme honnête en sait toujours bien
assez : tenir son ménage, respecter son mari et enseigner les bonnes
manières à ses enfants. À ses filles, apprendre surtout à tenir son ménage, à respecter
son mari, et ainsi de suite. Savoir rester à sa place, tout est là. Une femme
qui commence à lire, à raisonner, n’est plus vraiment à sa place. « Il
faudrait souhaiter encore de faire un bon usage de votre science, car sans cela
elle pourrait servir à vous rendre plus sotte, plus orgueilleuse et plus
méchante », écrit Mme Leprince de Beaumont au XVIIIe siècle
dans un manuel à l’usage des enfants.
Sotte Madame de La Fayette !
Orgueilleuse Madame de Sévigné ! Méchante Olympe de Gouges !
Et regardez le résultat :
désormais, les femmes sont écrivains, docteurs, politiciennes… et l’éducation
est laissée de côté, les jeunes ne connaissent plus le respect, tout va de
travers ! Et les hommes, docilement, apprennent à changer les couches et à
faire chauffer le biberon.
− Ève ! Repose cette pomme
immédiatement !
2 commentaires:
Cette histoire d'Eve la terrestre commence fort mal ... je ne t'avais pas vu encore l'humeur aussi corrosive ! Un serpent t'a piqué ?
Heureusement le rock reste pur ... chiennes d'écrivaines qui veulent monter au ciel !
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