jeudi 8 août 2013

La mort



« To die, to sleep – No more. »
William Shakespeare, Hamlet, III, 1.

           
L’été se poursuit entre orages et canicule, la chaleur nous assomme, nous luisons de sueur et l’air étouffant du soir nous interdit le sommeil. Parlons d’un sujet de saison – puisqu’il les concerne toutes – et tout à fait rafraîchissant : la mort.
Depuis toujours, la mort est le thème privilégié des écrivains. Avec l’amour, disons. Mais l’amour, c’est un truc de filles : aucun intérêt. De Homère à Bret Easton Ellis, de Platon à Michel Houellebecq, on a noircit des tonnes de papier au sujet de la Grande Faucheuse, on s’est adressé à elle en alexandrins et en mètres iambiques, on l’a décrite en long, en large et en travers, on l’a invoquée en majuscules et à genoux…
            Les écrivains sont donc des escrocs grassement payés pour nous causer d’un truc qu’ils ne connaissent pas.
            Non, parce que la mort, entre nous, y’en a pas beaucoup qui sont allés voir à quoi ça ressemblait et qui sont revenus pour nous le dire ! À une époque, je pensais que les seuls habilités à nous parler de la mort étaient les écrivains morts. Et puis j’ai compris que même eux, ils avaient écrit toutes leurs conneries avant d’aller y voir de plus près. Un tel manque de professionnalisme me navre.
            Mais ces menteurs vous rétorqueront avec orgueil qu’il y a beaucoup plus de mérite à parler d’une chose que l’on ne connaît pas, et que la mort est un phénomène inévitable qui nous concerne tous et que seuls l’artiste, le philosophe ou le curé peuvent apprendre à affronter.
            Bon. C’est un argument qui se tient.
            Bien sûr, si les asticots, les corbeaux et autres charognards savaient écrire, ils seraient sans doute mieux placés que nous pour parler de la mort. Mais ils ne savent pas, et nous oui, alors il faut bien qu’on s’y colle.
            D’ailleurs, on pourrait classer les auteurs selon leur degré d’intimité avec la camarde : certains sembleraient avoir un peu plus de légitimité que d’autres à la décrire ou à théoriser sur elle. Dostoïevski condamné à mort et gracié au tout dernier moment, devant le poteau d’exécution, le 22 décembre 1849, doit pouvoir le dire, lui, si oui ou non on revoit toute sa vie défiler à cet instant… Dans une lettre à son frère Mikhail, il raconte ce qui aurait dû être la dernière minute de sa vie : « Aujourd’hui, 22 décembre, on nous a transportés sur la place Semenovski. Là, on nous a lu à tous notre condamnation à mort, on nous a fait baiser la croix, on a brisé nos épées au-dessus de nos têtes et on a procédé à notre toilette mortuaire (longues chemises blanches). Puis, trois d’entre nous ont été attachés au poteau, pour l’exécution de la peine. J’étais le sixième, on nous appelait par trois, par cons(équent), j’étais de la deuxième fournée, il ne me restait pas plus d’une minute à vivre. […] Enfin, roulements de tambour, on ramène vers nous ceux qui étaient au poteau, et on nous lit que Sa Majesté impériale nous accorde la vie. Puis, viennent les véritables condamnations. » Pour lui, ce sera l’exil et le bagne en Sibérie.
            C’est ce qu’on appelle une expérience de vie, je crois… De la même façon, les écrivains qui ont connu la guerre, qui ont côtoyé la mort sous bien des aspects, n’ont plus grand-chose à apprendre d’elle.
            Et ce qu’il y a de bien, avec la mort, c’est que même ceux qui ne s’y sont jamais frotté y viendront un jour, et peuvent trouver dans cette certitude toute les justifications dont ils ont besoin. Oui, eux aussi, ils sont bien placés pour en parler, puisqu’ils la craignent – ou veulent la défier – ou s’en foutent – ou l’appellent de leurs vœux (c’est le cas des suicidaires, ces arrivistes !). Personne n’est tout à fait impassible devant la mort, tout le monde à son mot à dire sur le sujet, et ça tombe bien, parce que lorsqu’on sait tricoter des phrases pas trop crades, la simple utilisation du mot « mort », ou de ses dérivés, vous donnera l’air d’avoir pondu un aphorisme de génie et vous vaudra l’admiration de tous.
            De plus, la mort est si démocrate qu’elle se marie avec tout : l’amour, la tristesse, la joie, l’humour… Ah ! La mort et l’humour ! Woody Allen : « La différence entre le sexe et la mort, c’est que mourir, vous pouvez le faire seul, et personne ne se moquera de vous. » Ambrose Bierce, dans son Dictionnaire du Diable : « Longévité. Prolongation inconfortable de la peur de la mort. » Cioran : « Qui ne voit pas la mort en rose est affecté d’un daltonisme du cœur. »
            Je vous l’avais dit, que ce thème était rafraîchissant !
La mort finira par avoir notre peau, mais en attendant, elle nous aura bien fait rire. C’est à peu près tout ce qu’on peut faire d’un peu noble devant elle : rire. Pendant ce temps, elle prend nos mesures…

2 commentaires:

Pierre Driout et la mort inépuisable a dit…

(c’est le cas des suicidaires, ces arrivistes !)


Je dirais des resquilleurs ! Tu sais les types qui veulent le billet gratuit pour le spectacle alors qu'il faut payer pour voir.

Enfin la mort c'est comme le rut : ceux qui en parlent le mieux ne sont pas les mieux placés question pratique.

On frôle la mort ... ce sont des frôleurs tous ces amateurs !

Quant aux morts-vivants c'est un peu comme les putes : ils font le trottoir en attendant le gogo.

iPidiblue le faucheur a dit…

Quand je pense qu'on ne meurt même plus sur les routes de France c'est à vous dégoûter de la modernité ...