jeudi 24 octobre 2013

Le style

J’aimerais un jour parvenir à la morne platitude distante des catalogues de la Manufacture française d’armes et cycles de Saint-Étienne, du Comptoir commercial d’outillage, du Manuel de synthèse ostéologique de MM. Müller, Allgöwer, Willeneger, ou des vitrines du magasin de pompes funèbres Borniol (ces beaux poncifs).
Jean-Jacques Schuhl, Rose poussière.

            Comme celle du sexe des anges ou celle de l’œuf ou de la poule, la question du style a fait couler beaucoup d’encre, voire de sang, dans les milieux littéraires. Doit-on placer le style avant les idées ? La forme avant le fond ? Ou bien les deux doivent-ils être liés ?
Pour les uns, il n’y a pas de doute : c’est le style qui fait l’écrivain.
Pour les autres, c’est une certitude : l’écrivain est avant tout un homme (ou une femme) qui raconte des histoires.
            Allez vous y retrouver…
            Le style ? Les idées ? Il y en a qui se sont jeté des coupes de champagne au visage pour moins que ça !
            Mais d’abord, c’est quoi, le style ?
            Le style, mes enfants, toutes les méthodes pour « devenir un écrivain » vous le diront, c’est ce que vous devez trouver avant même de songer à entamer la rédaction de votre premier roman. Il ne s’agit pas de trouver un style – il faut trouver votre style. Ce qui fera dire au lecteur fidèle, à chaque fois que vous publierez un nouveau livre : « Ça, c’est du Patafion ! » Bien sûr, pour s’aider, le lecteur avait le nom de l’auteur en tête du bouquin. Difficile de se tromper. Mais en plus, oui, il reconnaîtrait entre mille cette façon de placer le COD après le verbe. C’est signé Patafion.
            Donc, tout le monde vous le dira : si vous voulez devenir écrivain, commencez par trouver votre style. Mais d’un autre côté, tout le monde vous le dira : nous avons tous notre style. Alors, il faut le trouver ou on l’a déjà ? Ce serait bien de se mettre d’accord, pour commencer…
            Okay. Bon, alors disons : chacun d’entre nous possède son propre style – il s’agit ensuite de le travailler. Cent fois sur le métier, c’est en bûchant qu’on devient bûcheron, etc.
            En fait, le style s’impose à nous à travers nos lectures – car l’écrivain est aussi un lecteur, comme nous l’avons vu lors d’une précédente séance – et nos choix. Si vous avez été marqué au fer rouge par le style fleuri des auteurs de la fin du dix-neuvième siècle, les Huysmans, Bloy et autres Mallarmé, peut-être aimerez-vous compliquer vos phrases et y joindre des mots savants où abondent les y et les h. Vos scènes d’intérieur se verront décorées de clepsydres et de psychés, vos héros y cultiveront l’héliotrope, collectionneront les améthystes et attraperont sans nul doute la syphilis. Pour le plaisir des mots.
            Si vous êtes un fervent lecteur de Céline (j’en connais), vous aurez tendance, du moins au début, à tenter de retranscrire l’oral à l’écrit. Et un oral bien populaire, bien argotique, des mots comme crachés sur un coin de trottoir et mitraillés de points de suspension.
            C’est ainsi qu’on se forge un style : d’abord par l’imitation. Puis en se détachant petit à petit de ses modèles pour bidouiller quelque chose qui nous ressemble un peu plus, qui nous vient presque naturellement, qui s’affirme petit à petit. Voilà, on y est : on a notre style, notre ton. Quand un lecteur achètera notre livre, après avoir bien vérifié le nom de l’auteur, il nous reconnaîtra à travers nos mots, et il sera satisfait : c’est bien nous, il n’y a pas eu tromperie. À vingt euros le bouquin, c’est rassurant.
            Alors, la question paraît du coup inutile : le style ou les idées ? Maintenant qu’on l’a, ce style, autant s’occuper des idées !
            Oui, mais parmi les écrivains, il existe une espèce que l’on nomme les « stylistes », les amoureux de l’art pour l’art. Eux ne veulent pas se contenter d’avoir « un » style. Ils veulent que leur style, ce soit tout. Ils voient leur œuvre comme une cathédrale gothique, chaque phrase est une ornementation magnifiquement dentelée, ils vous fignolent des paragraphes comme des arcs, des courbes et des contre-courbes flamboyant sur le papier. On comprend pas tout, mais putain c’est beau.
C’est beau quand c’est maîtrisé : n’est pas styliste qui veut. La plupart des écrivains ont plutôt intérêt à avoir des idées quand même…

2 commentaires:

Pierre Driout a dit…

Il me faut un orgasme par phrase sinon c'est pas jouir !

Pierre Driout a dit…

Le style c'est la femme ...