J’aimerais un jour parvenir
à la morne platitude distante des catalogues de la Manufacture française
d’armes et cycles de Saint-Étienne, du Comptoir commercial d’outillage, du
Manuel de synthèse ostéologique de MM. Müller, Allgöwer, Willeneger, ou des
vitrines du magasin de pompes funèbres Borniol (ces beaux poncifs).
Jean-Jacques Schuhl, Rose poussière.
Comme celle du sexe des anges ou celle
de l’œuf ou de la poule, la question du style a fait couler beaucoup d’encre,
voire de sang, dans les milieux littéraires. Doit-on placer le style avant
les idées ? La forme avant le fond ? Ou bien les deux doivent-ils
être liés ?
Pour les uns, il n’y a pas de doute : c’est le style
qui fait l’écrivain.
Pour les autres, c’est une certitude : l’écrivain est
avant tout un homme (ou une femme) qui raconte des histoires.
Allez vous y retrouver…
Le style ? Les idées ? Il
y en a qui se sont jeté des coupes de champagne au visage pour moins que
ça !
Mais d’abord, c’est quoi, le
style ?
Le style, mes enfants, toutes les
méthodes pour « devenir un écrivain » vous le diront, c’est ce que
vous devez trouver avant même de songer à entamer la rédaction de votre premier
roman. Il ne s’agit pas de trouver un style – il faut trouver votre
style. Ce qui fera dire au lecteur fidèle, à chaque fois que vous publierez un
nouveau livre : « Ça, c’est du Patafion ! » Bien
sûr, pour s’aider, le lecteur avait le nom de l’auteur en tête du bouquin.
Difficile de se tromper. Mais en plus, oui, il reconnaîtrait entre mille
cette façon de placer le COD après le verbe. C’est signé Patafion.
Donc, tout le monde vous le
dira : si vous voulez devenir écrivain, commencez par trouver votre style.
Mais d’un autre côté, tout le monde vous le dira : nous avons tous notre
style. Alors, il faut le trouver ou on l’a déjà ? Ce serait bien de se
mettre d’accord, pour commencer…
Okay. Bon, alors disons :
chacun d’entre nous possède son propre style – il s’agit ensuite de le travailler.
Cent fois sur le métier, c’est en bûchant qu’on devient bûcheron, etc.
En fait, le style s’impose à nous à
travers nos lectures – car l’écrivain est aussi un lecteur, comme nous l’avons
vu lors d’une précédente séance – et nos choix. Si vous avez été marqué au fer
rouge par le style fleuri des auteurs de la fin du dix-neuvième siècle, les
Huysmans, Bloy et autres Mallarmé, peut-être aimerez-vous compliquer vos
phrases et y joindre des mots savants où abondent les y et les h. Vos scènes
d’intérieur se verront décorées de clepsydres et de psychés, vos héros y cultiveront
l’héliotrope, collectionneront les améthystes et attraperont sans nul doute la
syphilis. Pour le plaisir des mots.
Si vous êtes un fervent lecteur de
Céline (j’en connais), vous aurez tendance, du moins au début, à tenter de
retranscrire l’oral à l’écrit. Et un oral bien populaire, bien argotique, des
mots comme crachés sur un coin de trottoir et mitraillés de points de
suspension.
C’est ainsi qu’on se forge un
style : d’abord par l’imitation. Puis en se détachant petit à petit de ses
modèles pour bidouiller quelque chose qui nous ressemble un peu plus, qui nous
vient presque naturellement, qui s’affirme petit à petit. Voilà, on y
est : on a notre style, notre ton. Quand un lecteur achètera notre livre,
après avoir bien vérifié le nom de l’auteur, il nous reconnaîtra à travers nos
mots, et il sera satisfait : c’est bien nous, il n’y a pas eu tromperie. À
vingt euros le bouquin, c’est rassurant.
Alors, la question paraît du coup
inutile : le style ou les idées ? Maintenant qu’on l’a, ce style,
autant s’occuper des idées !
Oui, mais parmi les écrivains, il
existe une espèce que l’on nomme les « stylistes », les amoureux de
l’art pour l’art. Eux ne veulent pas se contenter d’avoir « un »
style. Ils veulent que leur style, ce soit tout. Ils voient leur œuvre comme
une cathédrale gothique, chaque phrase est une ornementation magnifiquement
dentelée, ils vous fignolent des paragraphes comme des arcs, des courbes et des
contre-courbes flamboyant sur le papier. On comprend pas tout, mais putain
c’est beau.
C’est beau quand c’est maîtrisé : n’est pas styliste
qui veut. La plupart des écrivains ont plutôt intérêt à avoir des idées quand
même…
2 commentaires:
Il me faut un orgasme par phrase sinon c'est pas jouir !
Le style c'est la femme ...
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