jeudi 21 novembre 2013

L'autoédition

« Mon antiédition n’est pas une de mes portes de Salut, c’est la seule. Le Salut par les Lecteurs. »
Marc-Édouard Nabe

            Fier, seul face au monde et cheveux au vent, l’écrivain est épris de liberté. Les carcans de ce monde ne sont pas pour lui. D’un mot il fait tomber les plus lourdes chaînes, d’un trait d’esprit il rase les prisons, d’une phrase assassine il cloue au pilori tous les gardiens de la morale.
            Sauf si son éditeur lui demande de se calmer un peu.
            Parce qu’il faut bien comprendre que la liberté de l’auteur est toute relative. Dès lors qu’il a signé un contrat chez un grand-éditeur-parisien, l’écrivain est tenu de ne pas trop cracher dans la soupe quand même. Oh, bien sûr, on ne lui présente pas les choses comme ça, non : au début, on salue son courage, sa liberté de ton, on l’encourage même à « ruer dans les brancards », on applaudit sa férocité, son mordant… Et dès les premiers problèmes un peu sérieux, dès que la menace d’un procès pointe à l’horizon, on se désolidarise bravement de son poulain, on n’était pas au courant, on n’a rien vu venir, on lui fait les gros yeux par-dessus la table en acajou massif. Vous allez nous attirer des ennuis avec vos histoires ; c’est une maison sérieuse, ici, monsieur !
            La liberté, encore une fois, se mesure à la longueur de la laisse.
            Alors, parfois, l’auteur veut pouvoir voler de ses propres ailes, s’affranchir enfin de l’autorité parentale, obtenir son émancipation pour pouvoir aller dans les bars avec les copains et se mettre la tête à l’envers à coups de vodka-Red Bull. Il se tourne alors tout naturellement vers l’autoédition, comme un tournesol vers l’astre solaire.
            Aujourd’hui encore, l’autoédition fait un peu rigoler dans les cocktails littéraires. Un truc d’amateur, pas sérieux – forcément un raté qui de toute façon n’aurait jamais vu son manuscrit publié s’il était passé par les éditeurs traditionnels… Le milieu du disque connaît les mêmes losers, ces types qui s’imaginent pouvoir enregistrer et diffuser leur musique sans passer par la SACEM – ah ! les naïfs !
            Oui, pendant des années ce genre de pratiques semblaient vouées à l’échec, un échec pas même retentissant, un tout petit échec qui passerait inaperçu… Et puis est arrivé Internet.
            L’autoédition, d’abord, n’est pas une entreprise de fainéant. C’est la raison pour laquelle, en général, l’écrivain préfère laisser son éditeur s’occuper de la confection, de la mise en vente et de la distribution de son livre. L’écrivain est en général un procrastinateur, il a besoin qu’on le secoue un peu, qu’on lui donne des délais à respecter, bref : il a besoin d’un chef.
            L’auteur qui se lance dans l’autoédition décide donc qu’il est assez grand pour se débrouiller seul. C’est déjà audacieux de sa part. Certes, Internet va grandement faciliter la partie promotion et distribution. Restent l’impression et la fabrication de l’ouvrage, mais aussi la protection juridique, la demande d’ISBN, etc. Des formulaires à remplir, des papiers à renvoyer avant la date limite, tout ce que notre ami l’écrivain, tête en l’air et dédaigneux des futilités du monde, répugne à faire. Oui, ben voilà ce qui arrive quand on veut tout faire par soi-même !
            Comme je l’ai dit, cette pratique a été longtemps considérée par les « gens du milieu » (le milieu littéraire, donc) comme le choix des mauvais auteurs, fort justement recalés par les comités de lecture des grandes maisons d’édition. Ces nuls, persuadés d’être victimes d’un ostracisme odieux, qui n’était dû qu’à leur talent et à leur manière inouïe de révolutionner le langage, se disaient que puisque c’était comme ça, ils allaient se publier eux-mêmes. Na. Le bon écrivain était estampillé Gallimard, Flammarion, Grasset, Stock ou Julliard. Celui qui n’avait pas reçu le tampon de l’un de ces grands noms ne pouvait pas être pris au sérieux.
            Depuis quelque temps, la tendance s’est inversée. Il a suffi que quelques écrivains reconnus décident de tourner le dos à l’édition « traditionnelle » et de publier leurs ouvrages sans passer par tous ces intermédiaires, pour que l’autoédition se voie enfin auréolée de gloire. Quand Marc-Édouard Nabe, par exemple, décide de récupérer les droits de tous ses anciens livres auprès de ses différents éditeurs, et de les vendre désormais à son compte, ainsi que tous les ouvrages qu’il publiera à partir de ce jour, ce sont les grandes maisons d’édition qui, soudain, paraissent ringardes. Du coup, le tampon « Gallimard » ne fait plus de vous un auteur fameux qui joue dans la cour des grands, mais un gentil crétin qui n’a pas encore compris qu’il était en train de se faire bouffer par le système (puisqu’il ne touche qu’une maigre partie de ses droits, l’éditeur, l’imprimeur, la distribution, les libraires, etc., se partageant le reste). Pas bête !

            Juste retour des choses ? Peut-être bien : après tout, l’édition telle que nous la connaissons ne date que du XIXème siècle. Auparavant, l’auteur qui voulait être publié démarchait directement l’imprimeur ou le libraire. D’ici quelques décennies, il est bien possible qu’on aille visiter les derniers grands éditeurs au zoo… et que la mode de l’écrivain bien nourri revienne en force !

4 commentaires:

Pierre Driout taxé mais pas mort ! a dit…

Certains ont perfectionné le système comme Gérard de Villiers qui avait fondé sa propre maison d'édition et la mettait en faillite pour ne pas avoir à payer d'imp$ts dessus !

Les taxes ou la mort : vieille devise d'auteur auto-édité !

Pierre Driout et les livres de l'horreur a dit…

Au fait sais-tu que Stephen King qui a vendu 350 millions de livres est en tournée de promotion en France et que c'est lui a dit aux édiles de son pays : Taxez-moi !

Pierre Driout et l'auto-éditeur pour tous a dit…

Moniteur d'auto-édition métier d'avenir sans doute possible !

Raphaël fonde une école ...

PAUL FREVAL a dit…

clap clap clap