« Mon antiédition n’est
pas une de mes portes de Salut, c’est la seule. Le Salut par les
Lecteurs. »
Marc-Édouard Nabe
Fier, seul face au monde et cheveux
au vent, l’écrivain est épris de liberté. Les carcans de ce monde ne sont pas
pour lui. D’un mot il fait tomber les plus lourdes chaînes, d’un trait d’esprit
il rase les prisons, d’une phrase assassine il cloue au pilori tous les
gardiens de la morale.
Sauf si son éditeur lui demande de
se calmer un peu.
Parce qu’il faut bien comprendre que
la liberté de l’auteur est toute relative. Dès lors qu’il a signé un contrat
chez un grand-éditeur-parisien, l’écrivain est tenu de ne pas trop cracher dans
la soupe quand même. Oh, bien sûr, on ne lui présente pas les choses comme ça,
non : au début, on salue son courage, sa liberté de ton, on l’encourage
même à « ruer dans les brancards », on applaudit sa férocité, son
mordant… Et dès les premiers problèmes un peu sérieux, dès que la menace d’un
procès pointe à l’horizon, on se désolidarise bravement de son poulain, on
n’était pas au courant, on n’a rien vu venir, on lui fait les gros yeux
par-dessus la table en acajou massif. Vous allez nous attirer des ennuis avec
vos histoires ; c’est une maison sérieuse, ici, monsieur !
La liberté, encore une fois, se
mesure à la longueur de la laisse.
Alors, parfois, l’auteur veut
pouvoir voler de ses propres ailes, s’affranchir enfin de l’autorité parentale,
obtenir son émancipation pour pouvoir aller dans les bars avec les copains et
se mettre la tête à l’envers à coups de vodka-Red Bull. Il se tourne alors tout
naturellement vers l’autoédition, comme un tournesol vers l’astre solaire.
Aujourd’hui encore, l’autoédition fait
un peu rigoler dans les cocktails littéraires. Un truc d’amateur, pas sérieux –
forcément un raté qui de toute façon n’aurait jamais vu son manuscrit publié
s’il était passé par les éditeurs traditionnels… Le milieu du disque connaît
les mêmes losers, ces types qui s’imaginent pouvoir enregistrer et diffuser
leur musique sans passer par la SACEM – ah ! les naïfs !
Oui, pendant des années ce genre de
pratiques semblaient vouées à l’échec, un échec pas même retentissant, un tout
petit échec qui passerait inaperçu… Et puis est arrivé Internet.
L’autoédition, d’abord, n’est pas
une entreprise de fainéant. C’est la raison pour laquelle, en général,
l’écrivain préfère laisser son éditeur s’occuper de la confection, de la mise
en vente et de la distribution de son livre. L’écrivain est en général un
procrastinateur, il a besoin qu’on le secoue un peu, qu’on lui donne des délais
à respecter, bref : il a besoin d’un chef.
L’auteur qui se lance dans
l’autoédition décide donc qu’il est assez grand pour se débrouiller seul. C’est
déjà audacieux de sa part. Certes, Internet va grandement faciliter la partie
promotion et distribution. Restent l’impression et la fabrication de l’ouvrage,
mais aussi la protection juridique, la demande d’ISBN, etc. Des formulaires à
remplir, des papiers à renvoyer avant la date limite, tout ce que notre ami
l’écrivain, tête en l’air et dédaigneux des futilités du monde, répugne à
faire. Oui, ben voilà ce qui arrive quand on veut tout faire par
soi-même !
Comme je l’ai dit, cette pratique a
été longtemps considérée par les « gens du milieu » (le milieu
littéraire, donc) comme le choix des mauvais auteurs, fort justement recalés
par les comités de lecture des grandes maisons d’édition. Ces nuls, persuadés
d’être victimes d’un ostracisme odieux, qui n’était dû qu’à leur talent et à
leur manière inouïe de révolutionner le langage, se disaient que puisque
c’était comme ça, ils allaient se publier eux-mêmes. Na. Le bon écrivain était
estampillé Gallimard, Flammarion, Grasset, Stock ou Julliard. Celui qui n’avait
pas reçu le tampon de l’un de ces grands noms ne pouvait pas être pris au
sérieux.
Depuis quelque temps, la tendance
s’est inversée. Il a suffi que quelques écrivains reconnus décident de tourner
le dos à l’édition « traditionnelle » et de publier leurs ouvrages
sans passer par tous ces intermédiaires, pour que l’autoédition se voie enfin
auréolée de gloire. Quand Marc-Édouard Nabe, par exemple, décide de récupérer
les droits de tous ses anciens livres auprès de ses différents éditeurs, et de
les vendre désormais à son compte, ainsi que tous les ouvrages qu’il publiera à
partir de ce jour, ce sont les grandes maisons d’édition qui, soudain,
paraissent ringardes. Du coup, le tampon « Gallimard » ne fait plus
de vous un auteur fameux qui joue dans la cour des grands, mais un gentil
crétin qui n’a pas encore compris qu’il était en train de se faire bouffer par
le système (puisqu’il ne touche qu’une maigre partie de ses droits, l’éditeur,
l’imprimeur, la distribution, les libraires, etc., se partageant le reste). Pas
bête !
Juste retour des choses ?
Peut-être bien : après tout, l’édition telle que nous la connaissons ne
date que du XIXème siècle. Auparavant, l’auteur qui voulait être
publié démarchait directement l’imprimeur ou le libraire. D’ici quelques
décennies, il est bien possible qu’on aille visiter les derniers grands éditeurs
au zoo… et que la mode de l’écrivain bien nourri revienne en force !
4 commentaires:
Certains ont perfectionné le système comme Gérard de Villiers qui avait fondé sa propre maison d'édition et la mettait en faillite pour ne pas avoir à payer d'imp$ts dessus !
Les taxes ou la mort : vieille devise d'auteur auto-édité !
Au fait sais-tu que Stephen King qui a vendu 350 millions de livres est en tournée de promotion en France et que c'est lui a dit aux édiles de son pays : Taxez-moi !
Moniteur d'auto-édition métier d'avenir sans doute possible !
Raphaël fonde une école ...
clap clap clap
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