Il n’est pas nécessaire d’entendre une langue pour la
traduire, puisque l’on ne traduit que pour des gens qui ne l’entendent point.
Denis
Diderot
On parle de la France et de sa littérature, on
vante ses grands esprits, comme si la littérature et la France étaient liées depuis
les origines, et pas de discussion. Or, non seulement certains étrangers se
permettent de toucher à cette grande dame (de petite vertu) qu’est la
Littérature avec toutes les majuscules qui s’imposent, mais en plus,
figurez-vous que les plus anciens textes de l’humanité n’ont pas été écrits en
français. Pas même en ancien français, ou à la rigueur en latin – non,
non : des pictogrammes, de l’araméen, des trucs incompréhensibles, pas de
chez nous…
C’est plutôt vexant.
La littérature étrangère a donc
précédé la littérature française. Mince alors. Gilgamesh a précédé Tartarin de
Tarascon, Homère a précédé Philippe Sollers. Je ne sais pas ce qu’on foutait,
nous, pendant ce temps-là, avec nos moustaches de Gaulois et tout le
bazar : un peu de guerre, un peu d’agriculture, de la chasse, enfin
bon : que de l’alimentaire. Les idées, c’était pas pour nous. Pour séduire
une femme, on n’écrivait pas de poèmes : on assassinait sa famille, on
brûlait sa maison et on se couchait sur elle sans enlever nos godasses. Peu ou
prou.
Aujourd’hui encore, un nombre
incalculable d’écrivains s’évertuent à écrire dans des langues
incompréhensibles. Ce sont ce qu’on appelle dans notre jargon des
« écrivains étrangers ». Et ils ne sont même pas tous du même coin de
l’étranger : anglais, allemands, japonais, américains, arabes, chinois,
portugais… Ils ont la supériorité numérique. La littérature française, à côté,
fait pâle figure. Pourtant, Chrétien de Troyes, Villon, Racine, Chateaubriand,
Hugo, Proust, c’est pas tout à fait du pipi de chat ! Mais bon, eux nous
répondent Ovide, Dante, Shakespeare, Cervantès, Dostoïevski, Mishima, Dit du
Genji et Mille et Une Nuits, et on doit bien reconnaître que ce n’est pas mal
non plus (une fois traduit en français, bien sûr).
Les écrivains étrangers parlent de
sujets étrangers, mais pas seulement. Et c’est là que ça devient intéressant.
Parfois, un lecteur français peut tout à fait comprendre ce qui se passe dans
la tête d’un quelconque Alexeï Nikolaïevitch Andronikov (par exemple), d’un
John Smith ou d’une Petra Von Glück. Car la littérature est – eh oui –
universelle. Une fois traduite en français, bien sûr.
Il y a aussi des gens qui vous
diront qu’ils lisent Tolstoï, Faulkner ou Goethe dans le texte. Il en faut
toujours pour faire les malins.
Même avec toute la mauvaise foi du
monde, force est de constater que la littérature étrangère, c’est pas mal. On
aura beau faire les plus grands éloges sur Proust, Camus, Gide ou Céline, on
aura du mal à se passer de Joyce. Ou de Kafka. Ou de Melville. Pour rester dans
les contemporains.
Alors, voilà : ce qu’il faut
retenir de tout ça, c’est qu’il faut accepter l’Autre, n’est-ce pas, comme un
autre Nous-même, et voilà. Et qu’on a beaucoup à apprendre de nous-mêmes grâce
aux autres, que l’étranger est un miroir, enfin bon, vous avez compris. Il y a
des jours comme ça où je suis d’un esprit positif absolument déprimant.
Aimez-vous les uns les autres et crevez, bande de cons. Joyeux Noël.
3 commentaires:
Euh ! oui Joyce ... qui écrit en langue étrangère à toute langue connue ! Le parfait écrivain pour traducteur en somme .... qui va y regarder de plus près à ses Finnigans Wake ?
P.S Excuse-moi si je mets mon grain de sel dans tout ce bataillon de littérateurs qui ont eu le malheur de ne pas naître Français (ou Lavallois) mais tu me connais suffisamment maintenant ...
La littérature étrangère : une écharde dans la vraie littérature française.
je pense que c'est Satan qui a inventé les langues étrangères ...
La littérature étrangère est à la littérature tout court ce que la légion étrangère est à l'armée française : un mercenariat.
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