Vendredi
24 février 2012.
(…)
Voyage sans histoire pendant lequel
je lis le roman de Muray. Au Mans monte un type qui me bouscule avec son sac en
passant dans la rangée centrale et ne s’excuse pas, avant de dire à une très
jolie jeune femme brune, très élégante, pantalon noir, pull noir sans manches
sur un chemisier blanc, le teint ambré, qu’elle est assise à sa place à
lui. La jeune femme, confuse, est obligée de rassembler ses affaires et d’aller
transporter sa beauté, toute son harmonie naturelle (et surnaturelle),
ailleurs, et le type la remplace – devenant d’un seul coup mon ennemi intime.
Gare Montparnasse, les quais du
métro sont inaccessibles par l’intérieur, des cordons jaunes interdisent le
passage, comme autour d’une scène de crime. Il faut sortir sur le boulevard et
entrer de nouveau dans la gare pour accéder au métro. Alors que je vérifie sur
le plan la ligne que je dois prendre, je reçois un appel de Cécile, qui est à
Saint-Malo avec Jacques-Pierre et m’apprend qu’au lieu des nipponeries
habituelles, nous mangerons de la charcuterie ce soir chez Pierre. Ça me
convient tout à fait, et puis c’est raccord avec le thème du vidéodrome :
la France.
(…) Au Franprix, j’achète un Coca,
du saucisson et du jambon de Parme (petite entorse à la thématique franchouillarde
de la soirée), et je me présente à l’Interphone de Pierre.
Jean-Rémi est déjà là, et Anne
arrive peu de temps après moi. Voilà donc Anne Bouillon, la volcanique petite
blonde avec laquelle ma rencontre (historique, comme il se doit) a été
plusieurs fois reportée… Je l’avais déjà rencontrée il y a cinq ou six ans, à
l’occasion du Salon du Livre, alors qu’elle était avec Antoine Buéno, mais
seuls mon journal et Pierre s’en souviennent… Elle porte une robe
bleu-schtroumpf et des bottes, et ça tombe bien, puisqu’elle interprétera
bientôt la schtroumpfette sur scène ! Je pense enfin à laisser mes photos
de Paimpol à Pierre, pour que Cécile et Jacques-Pierre puissent les récupérer à
leur tour, et à prendre les siennes afin d’alimenter mon masochisme en ayant un
aperçu de tout ce que j’ai raté en quittant la Bretagne trop tôt cet été…
Cécile et Jacques-Pierre en
reviennent, eux, de la Bretagne. On les attend vers vingt heures trente,
directement balancés de la « cité corsaire » à La Motte-Piquet. Pour
lancer la soirée « France », Jean-Rémi a préparé une playlist
musicale qui va de La Marseillaise à Un jour en France de Noir
Désir, en passant par Ah ! ça ira, Maréchal nous voilà, Hexagone de
Renaud, l’inévitable Michel Sardou, l’indétrônable Jean Ferrat – la crème de la
crème, donc. Comme Anne veut savoir ce que je fais dans la vie, Pierre lui
montre son exemplaire de Rockin’ Laval.
Débarquent enfin tout frais de
Saint-Malo Cécile, Jacques-Pierre et l’andouille de Vire qui est à l’origine du
choix de privilégier la charcuterie et le fromage plutôt que les plats
japonais. On peut passer à table – après nous être gavés de pistaches et après
une dernière Marseillaise au garde-à-vous.
La soirée vidéodrome
est lancée, les extraits s’enchaînent, espacés seulement de quelques débats et
des sorties de scène d’Anne, de Cécile et de moi-même pour rejoindre les
toilettes. Le « boudoir », plutôt, puisque c’est le terme qui m’est
venu lorsque Anne s’est excusée afin que je me lève pour la laisser passer. Un
terme qui restera, je pense…
Anne passe le
premier extrait de la soirée : Drôle de frimousse (Stanley Donen,
1957). Fred Astaire et Audrey Hepburn débarquent à Paris. Clichés, cartes
postales, Champs-Elysées et Tour Eiffel. La France vue d’Amérique, c’est
Napoléon qui joue du musette ! Il n’y a rien de plus authentique que le
kitsch.
Je reste dans
le thème de l’arrivée en France des ressortissants étrangers, avec Marie-Antoinette
(Sofia Coppola, 2006). De l’Autriche à la France en calèche pour une reine
en puissance. Vous qui entrez, laissez tout votre passé. Candeur et innocence
de l’Autrichienne dépaysée, rigidité de la Comtesse de Noailles, et les fesses
de Kirsten Dunst. C’est aussi ça, la France.
Autre extrait
de Marie-Antoinette, proposé par Anne : la France, c’est aussi le
plaisir des sens. Gourmandise, coquetterie, sucreries et chaussures, jeux
d’argent, coiffures façon pièce montée… On ne peut pas dire que cette reine ait
la tête sur les épaules…
On reste dans
l’ambiance avec Cécile et Le Festin de Babette (Gabriel Axel, 1987).
Stéphane Audran en ex-communarde exilée au Danemark, qui fait découvrir les
fastes de la grande cuisine française à une austère famille luthérienne. Les
joues rosissent, les langues se délient, les regards se croisent au-dessus des
verres de Veuve Clicquot et des babas au rhum. On pensera au salut de son âme
une autre fois…
Jean-Rémi
renoue avec le regard de l’étranger égaré en France avec un épisode d’Absolutely
Fabulous. Deux Anglaises tombées en Provence comme des perles dans le
fumier : téléphones à cadran, béret et gitane maïs. L’Enfer existe et on y
parle l’argot avec l’accent du Sud !
Avec L’Âge
ingrat (Gilles Grangier, 1964), Jacques-Pierre nous montre un autre voyage en
Provence, entrepris par une famille de Normands cette fois. Et le dépaysement
n’est pas beaucoup moins violent. Nationale 7, esprit râleur à la française,
créneau impossible, mais bonhommie et convivialité : on retourne à table
avec Gabin et Fernandel.
Cécile
renverse la situation avec Dupont-Lajoie (Yves Boisset, 1974). Jean
Carmet en bistrotier haineux, mais fort respectueux de l’uniforme. Nouveau
départ en vacances, caravane, embouteillages et voyeurisme sordide. Française,
Francisque : je vous ai compris.
Jean-Rémi
reste dans le racisme ordinaire avec La graine et le mulet (Abdellatif
Kéchiche, 2007). Français issus de l’immigration, familles recomposées,
licenciements et nouveaux départs… Avec l’administration française, c’est
possible, mais ça va être compliqué. Vous comprenez, ça se passe comme ça, dans
notre pays !
Pierre a enfin
la parole avec Les deux orphelines (D.W. Griffith, 1921). Que donnent
les lendemains de la Révolution française vus par le plus grand réalisateur
américain ? Scènes de procès, suspens judiciaire, blonde sacrificielle,
guillotine grippée, western et cavalerie : Danton finira par sauver
l’orpheline sous les yeux aveugles de sa sœur (à qui il faudra raconter le
film).
Pour continuer
avec l’Histoire de France, je ramène l’action à l’école avec La Maison des
Bois (Maurice Pialat, 1970). La France de l’arrière pendant la Grande
Guerre. Patriotisme et morale, bleu-blanc-rouge et récitations.
Anne reste à
l’école avec L’Esquive (Abdellatif Kéchiche, 2004). Les jeunes de
banlieue et Marivaux. L’amour, l’éducation, les riches et les pauvres. Vive la
France pluriethnique !
Encore des
riches et des pauvres avec Jean-Rémi et La vie est un long fleuve tranquille
(Étienne Chatiliez, 1988). Les Groseille d’un côté : aides sociales,
resquilles minables et vulgarité. De l’autre, les Le Quesnoy : famille
aisée, distinction, catéchisme et ravioli.
Jacques-Pierre
retourne en province avec La peau douce (François Truffaut, 1964). Quand
un écrivain parisien doit faire une conférence en province, ce n’est déjà pas
facile – mais s’il emmène sa maîtresse en plus… Jean Desailly et Françoise
Dorléac en voyage à Reims. Guide Michelin, Formule 1 et bas nylon.
Pierre, qui
s’est effacé toute la soirée, nous dit Le Mot de Cambronne (Sacha
Guitry, 1937). Ce mot auquel un Lavallois ubuesque rajoutait un
« r »… Sacha Guitry est Cambronne, marié à une Anglaise (Marguerite
Moreno) qui veut absolument connaître son célèbre mot. Le dialogue est en vers
libres, Cambronne a fait le pari de ne pas dire le mot – qui finira par sortir
avant qu’il le perde !
Puisqu’on en
est au langage châtié, Cécile revient avec Les Démons de Jésus (Bernie
Bonvoisin, 1997). Patrick Bouchitey et Thierry Frémont en manouches forts en
gueule. Flics blagueurs et Ritals en caravane, répliques qui tuent et mitraille
de mollards.
Je conclus la
soirée avec Petit à petit (Jean Rouch, 1970). Damouré Zika a quitté le
Niger pour faire à Paris le même travail que Jean Rouch. Petit cours inversé
d’ethnologie, mesures anthropométriques et questions qui fâchent : et la
France vue d’Afrique, c’est comment ?
Ce vidéodrome restera dans les
mémoires à plus d’un titre : d’abord, c’est la première fois qu’Anne se
joint à notre petit groupe, et ensuite Pierre, le maître des lieux, a été
gentiment réduit au silence : contraint de se restreindre à deux extraits
(mais quels extraits !). L’esprit révolutionnaire planait sur
l’assistance, ce soir…
Le dernier extrait passé, nous
partons assez vite, malgré la proposition alléchante de Pierre de nous montrer
un petit film pornographique des années 30, Polissonneries et galipettes.
Vive la France qui se retire à temps !
2 commentaires:
Tu es trop jeune pour l'avoir vu de tes yeux vu comme on dit mais le premier a avoir dit le mot de Cambronne à la "télé" ce fut Coluche ! D'où son succès ... tu comprends se mettre à la portée du premier venu avec des mots "sales" comme on disait dans le bon peuple c'était de l'inédit.
Putain ! Shirley Temple et ses boucles blondes est morte ... alors que son étoile brillait depuis toujours !
Juldé au prochain videodrome pense à la jolie blondinette sinon gare à l'enfer des cinéphiles !
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