samedi 1 mars 2014

Vidéodrome 7 : le châtiment (29 juin 2013)


Samedi 29 juin 2013.
            […]
            À 20 heures, je suis chez Pierre. Il y a déjà Jean-Rémi et Élise, et un fond musical de jazz qui n’a pour but que de punir Jean-Rémi, qui n’aime pas le jazz. Le thème de cette soirée vidéodrome étant le châtiment, nous aurons tous droit au nôtre. Le mien, c’est de ne pas boire d’alcool ce soir (je m’en sors plutôt pas trop mal). Mais comme Pierre est avant tout un grand masochiste, il remplace le jazz par des chansons de Damien Saez, l’inénarrable « Fils de France », et bien sûr « J’accuse » – où l’on sent bien que la révolution passe d’abord par une réinvention intégrale de la prononciation du français (« J’aqueuse !… Au mégaphone dans l’assemblaie !!!... »). C’est à ce moment qu’arrive Cécile, qui se demande un instant si Pierre n’aurait pas brusquement décidé de rejoindre le Front de Gauche… Julien et Vanessa se présentent à la porte avec un peu de retard, on imagine pour eux toute une série de châtiments exemplaires. Quant à Anne, elle ne sera pas des nôtres : elle passe ses vacances en Bretagne, ce qui nous semble déjà une punition suffisante.
            Bizarrement, ce thème du châtiment m’a assez peu inspiré. Honneur aux dames, Élise donne le premier coup de fouet avec Orange mécanique, évidemment. Deux extraits du film de Kubrick : Malcolm McDowell en enfant de chœur lisant la Bible et s’imprégnant profondément des scènes de tortures, de viols et de batailles qui y sont décrites ; et bien sûr, les yeux écarquillés devant les écrans de la méthode Ludovico. Pierre profite de l’occasion pour placer son analyse freudienne d’Orange mécanique : « Dans la première partie, on est dans le Ça : on n’obéit qu’à ses pulsions, à son animalité ; puis vient l’éducation, le Surmoi ; et la troisième partie correspond au Moi avec ses interdits, ses complexes, ses tabous… »
            Cécile enchaîne avec un extrait de The Dark Knight (Christopher Nolan, 2009). Batman face au Joker, et Gordon face à Harvey Dent. Pierre critique le choix de Cécile : nous ne sommes plus dans le châtiment, mais dans la vengeance (ce qui disqualifie d’emblée un extrait que j’avais choisi de montrer : le duel final d’Il était une fois dans l’Ouest). Cécile soutient qu’il s’agit bien d’un châtiment « déviant », et non pas d’une simple vengeance, puisque le hasard – un choix à pile ou face – fait partie intégrante du supplice.
            Ce débat nous anime un moment pendant qu’on déguste nos japonaiseries habituelles. Puis nous retournons à nos moutons avec Vanessa et La Secrétaire (2002). Maggie Gyllenhaal et James Spader dans leurs relations de boulot. Humiliations, fessées et reniflements devant la machine à café.
            Châtiment oblige, je n’avais pas le droit de passer à côté d’If…, le film de Lindsey Anderson (1968) dans lequel Malcolm McDowell fait son apprentissage de future orange mécanique. L’éducation anglaise dans toute sa splendeur. Les meilleurs élèves font les meilleurs pions, et l’ordre règne à coups de verge. Les mauvais élèves comptent les coups en serrant les dents… les spectateurs aussi.

            Jean-Rémi reste dans l’esprit du collège anglais avec Harry Potter et l’Ordre du Phénix. Harry Potter ne doit plus mentir et Dolorès Ombrage – sorte de poupée Klaus Barbie en tailleur rose – s’évertue à lui faire entrer cette règle morale au plus profond de la chair. Pierre constate qu’ici, il est impossible de jouir de ce châtiment avec Ombrage, parce qu’elle-même en jouit trop. « Oui, elle surjouit », j’ajoute.
            Fini de rigoler : Julien nous refait passer à table avec Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant, de Peter Greenaway (1989). Ici, on mange de tout : ce soir, c’est amant aux petits oignons. Et on commence par la queue, le meilleur morceau… Bon appétit ! Cécile, qui voulait manger une pêche, attendra un petit peu.
            Pierre veut enfoncer le clou avec une rareté de Peter Greenaway, The Baby of Mâcon (1993). Pour l’occasion, il a ressorti la VHS. Beauté des châtiments religieux, ou comment exécuter une jeune fille que la virginité rend intouchable ? En organisant un viol collectif pour que la virginité ne soit plus qu’un mauvais souvenir… Cette joyeuse partouze bénie par l’Église, et un peu longuette, n’est pas du goût de Cécile, qui s’exclue elle-même de l’assemblée. Du coup, on est un peu gênés, nous autres…
            Heureusement, Élise est là pour nous ramener à quelque chose d’un peu plus léger. C’est une règle quasi immuable, dans les vidéodromes : trouver un extrait de Harry Potter et un autre de Kaamelott. Harry Potter, c’est fait, donc voici Kaamelott, Livre III : « Le Magnanime ». Ou comment trop de châtiments peuvent finir par écœurer même un grand amateur du genre comme le seigneur Léodagan…
            Cécile propose Jane Eyre. Je trouve pour ma part que Charlotte Gainsbourg est déjà une sorte de châtiment pour le cinéma français (mais je m’égare). Éducation religieuse « à la dure », feu purificateur et gamelles dans les escaliers.
            Jean-Rémi enchaîne avec un savoureux nanard, Le Choc des Titans (1981). Les dieux sont en colère, tempête dans les temples grecs, une statue en perd la tête. « Il lui faudrait une Minerve », dis-je à tout hasard. En fait, c’est Thétis, qui se met à parler avec de superbes effets spéciaux d’avant-guerre, pendant que le décor s’effondre et que les acteurs bougent les pieds pour montrer que la terre tremble.
            Je ne fais pas vraiment honneur à la série The Walking Dead en en montrant un extrait des plus improbables : une scène coupée de la saison 2 dans laquelle Dale fouille des bagnoles sur l’autoroute et écoute à la radio un prédicateur se réjouir de l’invasion des morts-vivants, juste châtiment du Ciel. Un extrait garanti 0 % de matière zombie (je devrais avoir honte).

            Julien nous invite dans le Cercle de la Merde du Salò de Pasolini. Est-on encore dans le châtiment ou dans le simple divertissement ? De jeunes éphèbes présentent leurs croupes : celui qui aura le plus joli cul sera mis à mort. Ou pas…
            Vanessa a choisi Seven, de David Fincher, un film qui est à lui seul une sorte d’anthologie du châtiment. Ultime péché, celui de la colère – ou comment Brad Pitt tombe dans le piège du tueur. Un remake de L’Arroseur arrosé, en somme…

            Pierre nous montre comment un châtiment peut se retourner contre celui qui l’a prononcé, avec Le Barbier de Sibérie, de Nikita Mikhalkov. Trois extraits où revient en boucle la déclaration : « Mozart était un grand compositeur ! » Un général qui aurait eu toute sa place dans Full Metal Jacket, face à un troufion mélomane et obstiné.
            Ça ne rigole plus avec The Reader, que propose Cécile. Kate Winslet en ancienne gardienne SS faisant face à ses juges et à ses ex-collègues. L’analphabétisme mène à tout…
            Nous étions trois à avoir apporté Dogville : Jean-Rémi, Julien et moi. Quatre en comptant Pierre, qui n’avait pas besoin de l’apporter, puisqu’il joue à domicile. C’est donc Jean-Rémi qui montre la destruction de Dogville par Grace la bien nommée. Et l’on retrouve le sens premier du châtiment, qui n’est autre que la purification par le feu.

            Pierre conclut la soirée avec la fin d’Autant en emporte le vent. Où Rhett Butler prouve à Scarlett O’Hara que l’amour lui-même peut-être un châtiment. « Franchement, ma chère, c’est le cadet de mes soucis. »

            Voilà, la soirée s’achève, et avant que nous ne quittions Pierre pour attraper les derniers métros, on décide du thème du prochain vidéodrome : le temps. Il va y avoir de la DeLorean dans l’air !

1 commentaire:

Pierre Driout châtié mais pas coupable ! a dit…

Mon châtiment : un vidéodrome par semaine à me taper la tête entre les murs en me demandant quelle connerie je vais devoir sortir !