jeudi 10 avril 2014

Le chat


Chat (n.). Automate doux et indestructible fourni par la Nature pour prendre des coups de pied quand quelque chose ne va pas dans le cercle familial.
Ambrose Bierce, Le Dictionnaire du Diable

            Si l’écrivain était un animal, il serait un chat. Si les chats pouvaient parler, ils se mettraient à écrire. Aucun doute là-dessus. L’écrivain envie au chat son indépendance, sa royale paresse, son petit air comme ça de se foutre de tout, et son aptitude à retomber toujours sur ses pattes, alors que bien souvent, en commençant un texte, l’auteur ne sait pas lui-même s’il réussira cette acrobatie.
            En fait, fainéant par nature, l’écrivain apprécie surtout d’avoir un animal de compagnie qu’il ne faut pas sortir toutes les deux heures pour qu’il fasse ses besoins.
            On pourrait faire une anthologie des chats dans la littérature : du Chat Botté au Chat Murr d’Hoffmann, en passant par les chats de Baudelaire et celui de Céline, Bébert. Certains auteurs leur préfèrent les chiens, bien sûr : on trouve des pervers partout.
            Un chat, c’est du silence en manteau de fourrure. Idéal pour les travaux de l’esprit. Déplacements légers, inaudibles bruits de pas, le chat se faufile dans l’entrebâillement d’une porte qu’un chien, plus pataud, aurait repoussée d’un coup de patte ou de griffe asséné lourdement sur le chambranle. Même s’il se met à bondir sur un meuble, il a la délicatesse de le faire sans un son. Je soupçonne les chats de tous plus ou moins se prendre pour des grands fauves en train de chasser l’antilope, parfois… Flaubert, d’ailleurs, les voyait comme des « tigres de salon ». Même quand il miaule, le chat le fait doucement. Assoupi, son ronron se mêle à celui de l’ordinateur. Le chat, c’est un peu le pendant animal de la plante verte. Un géranium avec un petit cœur qui bat.
            Baudelaire a su bien mieux que moi parler de la voix des matous, et en rimes embrassées s’il vous plaît :

            « Cette voix, qui perle et qui filtre
            Dans mon fonds le plus ténébreux,
            Me remplit comme un vers nombreux
            Et me réjouit comme un philtre. »

            On dit des chats qu’ils sont cruels. On le dit aussi de certains écrivains. Ces derniers, par contre, ne savent pas sauter sur les meubles sans faire de bruit ou casser un bibelot. Si vous jetez un écrivain par la fenêtre, vous avez de grandes chances d’obtenir un écrivain paraplégique. Même – et surtout – s’il retombe sur ses pattes. Le chat est donc une sorte d’écrivain en mieux. Un écrivain abouti.
            Le chat est l’avenir de l’homme de lettres.
            Posé sur son coussin et toisant le monde d’un regard à la fois perçant et dédaigneux, un regard qui enregistre tout et qui se moque de tout, le chat est un bourgeois anarchiste. L’idéal même de l’écrivain : le ventre plein, les nougats au chaud, mais aucune reconnaissance ni concession. Liberté totale. Peinard en charentaises, mais avec en plus un petit côté mendiant ingrat, si vous voyez ce que je veux dire…
            « Grands sphinx allongés au fond des solitudes », les chats transportent leur mystère de fauteuil en matelas, portant leur regard énigmatique sur les choses avant de bâiller d’ennui. Rien d’étonnant à ce que les Égyptiens, tout aussi mystérieux avec leur écriture bizarroïde et leurs pyramides, les aient à ce point sacralisés.
            On se demande, ceux que ça intéresse tout du moins, si le Danemark a sauvé Céline. Si c’est là qu’il a échappé au peloton d’exécution. Une chose est sûre : Bébert a sauvé Céline. Son greffier, c’est son côté humain. Léautaud ne s’y était pas trompé, qui avait admiré la bonté de l’auteur de Bagatelles pour un massacre, parti s’exiler en Allemagne avec son chat, et revenu avec.
            Un peu de tendresse, donc, dans ce monde à feu et à sang : « Vous direz un chat c’est une peau ! Pas du tout ! Un chat c’est l’ensorcellement même, le tact en ondes… » (Louis-Ferdinand Céline, Féerie pour une autre fois)

            Aucun animal n’a été blessé pendant la rédaction de cette chronique.


1 commentaire:

Pierre Driout et l'académicien des petits mouchoirs en papier a dit…

J'adopterais mieux encore un Raphaël Juldé que je placerais dans mon salon avec une litière pour ses besoins ... et une rame de papier pour s'essuyer les pattes tachées d'encre.

Mais je rêve debout ... on ne trouve presque plus de Juldé d'occasion à des prix abordables.