Chat (n.).
Automate doux et indestructible fourni par la Nature pour prendre des coups de
pied quand quelque chose ne va pas dans le cercle familial.
Ambrose Bierce, Le Dictionnaire
du Diable
Si
l’écrivain était un animal, il serait un chat. Si les chats pouvaient parler,
ils se mettraient à écrire. Aucun doute là-dessus. L’écrivain envie au chat son
indépendance, sa royale paresse, son petit air comme ça de se foutre de tout,
et son aptitude à retomber toujours sur ses pattes, alors que bien souvent, en
commençant un texte, l’auteur ne sait pas lui-même s’il réussira cette
acrobatie.
En
fait, fainéant par nature, l’écrivain apprécie surtout d’avoir un animal de
compagnie qu’il ne faut pas sortir toutes les deux heures pour qu’il fasse ses
besoins.
On
pourrait faire une anthologie des chats dans la littérature : du Chat Botté au Chat Murr d’Hoffmann, en passant par les chats de Baudelaire et
celui de Céline, Bébert. Certains auteurs leur préfèrent les chiens, bien
sûr : on trouve des pervers partout.
Un
chat, c’est du silence en manteau de fourrure. Idéal pour les travaux de
l’esprit. Déplacements légers, inaudibles bruits de pas, le chat se faufile
dans l’entrebâillement d’une porte qu’un chien, plus pataud, aurait repoussée
d’un coup de patte ou de griffe asséné lourdement sur le chambranle. Même s’il
se met à bondir sur un meuble, il a la délicatesse de le faire sans un son. Je
soupçonne les chats de tous plus ou moins se prendre pour des grands fauves en
train de chasser l’antilope, parfois… Flaubert, d’ailleurs, les voyait comme
des « tigres de salon ». Même quand il miaule, le chat le fait
doucement. Assoupi, son ronron se mêle à celui de l’ordinateur. Le chat, c’est
un peu le pendant animal de la plante verte. Un géranium avec un petit cœur qui
bat.
Baudelaire
a su bien mieux que moi parler de la voix des matous, et en rimes embrassées
s’il vous plaît :
« Cette voix, qui perle et qui filtre
Dans mon fonds le plus
ténébreux,
Me remplit comme un
vers nombreux
Et me réjouit comme un
philtre. »
On
dit des chats qu’ils sont cruels. On le dit aussi de certains écrivains. Ces
derniers, par contre, ne savent pas sauter sur les meubles sans faire de bruit
ou casser un bibelot. Si vous jetez un écrivain par la fenêtre, vous avez de
grandes chances d’obtenir un écrivain paraplégique. Même – et surtout – s’il retombe
sur ses pattes. Le chat est donc une sorte d’écrivain en mieux. Un écrivain abouti.
Le
chat est l’avenir de l’homme de lettres.
Posé
sur son coussin et toisant le monde d’un regard à la fois perçant et
dédaigneux, un regard qui enregistre tout et qui se moque de tout, le chat est
un bourgeois anarchiste. L’idéal même de l’écrivain : le ventre plein, les
nougats au chaud, mais aucune reconnaissance ni concession. Liberté totale. Peinard
en charentaises, mais avec en plus un petit côté mendiant ingrat, si vous voyez
ce que je veux dire…
« Grands
sphinx allongés au fond des solitudes », les chats transportent leur
mystère de fauteuil en matelas, portant leur regard énigmatique sur les choses
avant de bâiller d’ennui. Rien d’étonnant à ce que les Égyptiens, tout aussi
mystérieux avec leur écriture bizarroïde et leurs pyramides, les aient à ce
point sacralisés.
On
se demande, ceux que ça intéresse tout du moins, si le Danemark a sauvé Céline.
Si c’est là qu’il a échappé au peloton d’exécution. Une chose est sûre :
Bébert a sauvé Céline. Son greffier, c’est son côté humain. Léautaud ne s’y
était pas trompé, qui avait admiré la bonté de l’auteur de Bagatelles pour un massacre, parti s’exiler en Allemagne avec son
chat, et revenu avec.
Un
peu de tendresse, donc, dans ce monde à feu et à sang : « Vous direz un chat c’est une
peau ! Pas du tout ! Un chat c’est l’ensorcellement même, le tact en
ondes… » (Louis-Ferdinand Céline, Féerie
pour une autre fois)
Aucun
animal n’a été blessé pendant la rédaction de cette chronique.
1 commentaire:
J'adopterais mieux encore un Raphaël Juldé que je placerais dans mon salon avec une litière pour ses besoins ... et une rame de papier pour s'essuyer les pattes tachées d'encre.
Mais je rêve debout ... on ne trouve presque plus de Juldé d'occasion à des prix abordables.
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