jeudi 24 avril 2014

L'impuissance

  
Il était bien loin de penser qu’il aimait, il avait ce sentiment en horreur. Il s’était juré mille fois depuis quatre ans que jamais il n’aimerait. Cette obligation de ne pas aimer était la base de toute sa conduite et la grande affaire de sa vie.
Stendhal, Armance
           
Toute œuvre créatrice a partie liée avec l’impuissance sexuelle.
            Voilà une belle phrase d’accroche, je la laisse donc marcher seule en tête et passe directement à la ligne. Pour aussitôt préciser, et donc atténuer l’effet.
Évidemment, l’acte de création et l’acte sexuel ont de nombreux points communs. Personne ne le niera. Et donc la sécheresse créatrice, la page blanche, a beaucoup à voir avec la débandade – avec le fiasco. Voilà, vous avez compris où je voulais en venir, merci, bonsoir, à la semaine prochaine.
            Le grand roman de l’impuissance sexuelle est Armance de Stendhal (1827), un livre dans lequel l’impuissance n’est jamais nommée. On tourne autour du problème sans jamais le toucher – comme Octave tourne autour d’Armance sans jamais la prendre. Toute l’intrigue du roman est centrée sur ce grand secret du héros, « secret affreux » dont l’aveu est constamment retardé.
« ‒ Oui, chère amie, lui dit-il en la regardant enfin, je t’adore, tu ne doutes pas de mon amour ; mais qui est l’homme qui t’adore ? c’est un monstre.
            À ces mots, l’attendrissement d’Octave sembla l’abandonner ; tout à coup il devint comme furieux, se dégagea des bras d’Armance qui essaya en vain de le retenir, et prit la fuite. »
            Toujours la fuite ! Les hommes sont lâches. Surtout quand ils dissimulent leur trouille derrière des actes de courage. Pour échapper à Armance, Octave veut se faire… canonnier ! Substituer l’érection du canon à ses défaillances viriles ! Autant dire que ce n’est pas gagné.
            Le sexe est la grande affaire de la littérature. Du Roman de la Rose aux badinages du XVIIIe siècle, des Mémoires de Casanova à Charlot s’amuse de Bonnetain (plus grand livre du monde sur la masturbation) et de Sade au Septentrion de Calaferte, amoureux, pervers et grands séducteurs se taillent la part du lion. Les bande-mous, eux, se font plutôt discret. Ça peut se comprendre : on ne se ramène pas avec un malheureux sifflet dans un orchestre de cuivres… On peut bien dépeindre tous ses déboires amoureux, se montrer en amant toujours déçu, éperdu de passion, bavant devant toutes les femmes – oui, mais Priape quand même ! Priape toujours ! Le cœur brisé, mais la queue dressée ! Amant ridicule, peut-être, apollon minable – mais en érection.
            L’eunuque ne fait pas recette.
            Même Tristan Corbière, mon cher Tristan Corbière, pourtant champion toute catégorie de la misère sexuelle, parvient dans ses Amours jaunes à comparer son sexe à un phare. Lui qui se présentait pourtant avec « De l’amour, – mais pire étalon » dans son grand poème-autoportrait-tombeau Épitaphe, a la faiblesse de ne pas être tout à fait impuissant. À qui se fier ?
            Il faut croire que la sécheresse, en littérature, n’est pas très vendeuse. Un écrivain qui ne jouit pas est un écrivain qui ne saura pas faire jouir sa phrase. Mieux vaut éviter d’aborder le sujet. Malheur aux mous !
            Dans son Histoire amoureuse des Gaules (1665), qui lui valu plusieurs années de prison, Bussy-Rabutin décrit le fiasco du comte de Guiche, dans le lit de la comtesse d’Olonne. Et cette fois, la scène est explicite : "Ainsi tous deux couchés, nous nous baisâmes mille fois, n'en voulant pas demeurer là, et cherchant quelque chose de plus solide, mais de ma part inutilement. Il faut se connoître, Vineuil, et savoir à quoi l'on est propre. Pour moi, je vois bien que je ne suis pas né pour les dames ; il me fut impossible d'en sortir à mon honneur, quelque effort que fit mon imagination et l'idée et la présence du plus bel objet du monde." De Guiche, après avoir tenté de se rattraper et n'ayant fait qu'empirer les choses, quelque peu blessé dans son orgueil, décide de régler le problème, ce qui inspire à Bussy quelques vers savoureux :

            D’un juste dépit tout plein,
Je pris un rasoir en main ;
Mais mon envie étoit vaine,
Puisque l’auteur de ma peine,
Que la peur avoit glacé,
Tout malotru, tout plissé,
Comme allant chercher son centre,
S’étoit sauvé dans mon ventre.

            La bandaison, papa, ça n’se commande pas.


3 commentaires:

Pierre Driout en couches culottes a dit…

Comme disait Napoléon en amour la seule victoire est dans la fuite !

Aucune allusion aux pampers qui n'existaient pas encore ...

Raphaël Juldé a dit…

Je me suis dit que vous alliez vous régaler, avec celui-là, mon cher Pierre...

Pierre Driout et les seins de glace a dit…

Tu parles de tes problèmes de bite mais imagine-toi que le pape François doit fabriquer deux saints ce week-end ! Demande donc aux dames combien ces problèmes les angoissent !