On apprend
plus dans une nuit blanche que dans une année de sommeil. Autant dire que le
passage à tabac est autrement plus instructif que la sieste.
Cioran.
Quand
le Créateur a séparé la lumière d’avec les ténèbres, qu’Il a appelé la première
« Jour » et les autres « Nuit » (là où n’importe qui se
serait contenté de dire on/off, mais
que voulez-vous, tout le monde n’est pas Dieu), aucun Livre ne nous précise s’Il
a ajouté quelque chose après. Un mode d’emploi, des consignes de sécurité, un
règlement intérieur, le genre de truc auquel toute structure un peu organisée
pense immédiatement. On ne sait pas s’Il a dit, par exemple, quelque chose du
genre : « Le Jour, l’honnête homme ira gagner son pain sans faire
d’histoire, passera des heures dans les transports en commun à aimer son
prochain comme lui-même et dépensera son argent durement gagné dans les
produits manufacturés que J’aurai créé spécialement pour lui. La Nuit,
l’honnête homme dormira pour être en forme le lendemain. La Nuit, c’est le refuge
de l’homme malhonnête, de l’assassin, du violeur, du cambrioleur, de
l’alcoolique mondain, du fainéant qu’on retrouve le lendemain au boulot avec
les yeux rouges et un teint de fantôme qu’on aurait réveillé en sursaut pour
faire une partie d’osselets. Et de l’écrivain, qui est un peu un patchwork de
tous ces gens-là. »
On
ne sait pas s’Il l’a dit, mais on peut le supposer.
La
nuit, tous les écrivains sont aigris. Ils se sont levés tard, ils ont passé la
journée au téléphone avec leur éditeur qui leur a réclamé pour la centième fois
le manuscrit qu’ils étaient censés lui avoir remis il y a un mois mais qu’ils
ont réellement commencé il y a deux semaines. Toute la journée, ils se sont
encaféiné les veines dans les bars en griffonnant sur leur calepin des idées,
des bribes de dialogues et des petits bonshommes pendus, mais ils n’ont rien
écrit. Alors ils sont moroses, fatigués, ils en ont plein le dos : l’état
idéal pour se mettre au travail. On s’assouplit les doigts, on se fait
doucement craquer la nuque, et c’est parti, plus rien ne peut nous
arrêter : la nuit nous appartient.
La
nuit, tous les écrivains se grisent. À l’heure où les êtres humains normaux
vont se coucher et en profitent pour avoir des relations sexuelles avant de
s’endormir, c’est toujours ça de gagné, l’homme de lettres se sent pousser du
génie. À la lumière électrique, il fait crépiter son clavier, les mots
s’alignent, le monde autour de lui est tapissé de silence. Même son chat
somnole, s’il en a un. À l’aube, il ira rejoindre son lit épuisé et heureux,
comme un boxeur après la victoire. Sans trop se soucier de sa femme, s’il en a
une, qui se lèvera en faisant la gueule et en se disant qu’elle aurait mieux
fait d’épouser un employé de bureau.
Mais
il existe aussi des écrivains du jour. Il faudrait d’ailleurs faire des listes
comparatives des auteurs diurnes et des auteurs nocturnes. Je ne le ferai pas
(sauf si on me paie). Mais enfin, ce qu’on peut dire, c’est qu’en règle
général, l’écrivain de la nuit n’est pas sociable (sinon, pourquoi attendre que
tout le monde se couche pour commencer sa journée ?) ; qu’il est très
certainement insomniaque (ça aide) ; qu’il n’est absolument pas réceptif à
la poésie du matin (le gazouillis des oiseaux, la lumière dorée du soleil qui
se dessine à l’aquarelle sur l’horizon, les silhouettes des arbres dans la
brume) ; et enfin, qu’il est célibataire ou qu’il a des problèmes de
couple (voir plus haut).
Ce qui ne veut
pas dire que l’écrivain du jour s’en sort mieux. Quand on arrive à se
débrouiller avec l’existence, déjà, on fait un autre métier. Seulement,
peut-être que l’écrivain du jour essaie tant bien que mal de se raccorder au
monde qui l’entoure. Peut-être qu’il pense qu’en respectant les mêmes horaires
que la majorité de la population, il augmente ses chances de rencontres, de
découvertes, de coïts, enfin, bref, ce genre de choses. L’écrivain diurne est
celui qui n’a pas encore tout à fait perdu espoir. Il lui reste encore du
chemin à parcourir.
4 commentaires:
Quantité de photons rayonnés multipliée par quantité de conscience disponible égale méga-pixels sur le blog de Bartleby.
1ère loi de l'électromagnétisme littéraire.
PS : Tu sais que beaucoup d'écrivains aux XVIIIè, XIXème et au début du XXème étaient passionnés par le spiritisme et le magnétisme ? Casanova, Cazotte, Conan Doyle etc.
Comme tu n'es pas aveugle je suppose que tu te nourris à la lumière malgré tout ... vive la vitamine d !
Figurez-vous que je suis un nocturne récemment converti à la lumière du jour, M. Driout ! Comme quoi il ne faut jamais désespérer...
La foudre frappe où elle veut M. Juldé !
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