jeudi 28 août 2014

L'atelier




Oui, cela pourrait commencer ainsi, ici, comme ça, d’une manière un peu lourde et lente, dans cet endroit neutre qui est à tous et à personne…
Georges Perec, La Vie mode d’emploi

            La plupart des écrivains vous diront qu’écrire, ça ne s’apprend pas. On est écrivain de naissance, comme certains naissent boiteux, nains ou  banlieusards. Écrivain, c’est le contraire de femme, merci Simone : on ne le devient pas, on naît comme ça. Ça peut se révéler tardivement, bien sûr, mais enfin, c’était déjà en vous. Vous n’avez jamais pris de cours d’écriture, vous vous êtes contenté de lire les bons auteurs et de vous mettre au travail. Et tout ça sans grossir, c’est très bien, bravo, je vous félicite. D’ailleurs, les écrivains qui avouent avoir participé à des ateliers d’écriture avant de publier leur premier roman sont discrédités d’emblée à vos yeux. S’ils ont eu besoin de prendre des cours, c’est qu’ils ne sont pas écrivain, c’est aussi simple que ça.
            Ah. Voilà qui est intéressant.
            Personne ne s’étonnera d’apprendre qu’un grand peintre a commencé par suivre des cours de dessin avant de créer son œuvre, ou qu’un grand compositeur a d’abord passé des années au conservatoire. Le dessin s’apprend, la flûte à bec aussi. Mais l’écriture, c’est inné. Il suffit d’apprendre l’alphabet et de retenir quelques mots de vocabulaire, a priori rien de compliqué. Si en plus vous vous êtes acheté un Gradus, vous pourrez peut-être même placer un hypallage discret quelque part, ou jongler avec les zeugmas et les anacoluthes (ne vous inquiétez pas, ce n’est pas contagieux).
            Encore une fois, les Américains ont moins de complexes que nous sur cette question. Gloire à eux : s’ils n’étaient pas là, nous serions tous en Germany, comme disait Victor Hugo. Aux States, n’importe qui peut prendre des cours d’écriture, et pas simplement en atelier, mais à l’université ! On vous apprend à écrire des œuvres de fiction, on vous lit, on vous corrige… N’étant pas beaucoup plus américain que vous, je ne sais pas si « ça marche ». Je veux dire que j’ignore si les écrivains qui sont passés par ces cours auraient écrit leurs livres de la même façon sans cela. Je pense, en tout cas, que ces cours d’écriture doivent faire gagner un temps précieux lorsque l’heure est venue de se mettre au boulot sur son premier vrai manuscrit. L’apprenti écrivain qui n’a jamais suivi d’ateliers se condamne, lors de sa première véritable plongée dans l’écriture, à passer par toutes les incertitudes, toutes les erreurs qui lui auraient peut-être été épargnées dans le cas contraire.
            Il semble logique, quand on débute dans le métier, de se chercher un guide, un « maître », et la plupart des auteurs professionnels reçoivent quantités de lettres de lecteurs qui voudraient, eux aussi, se lancer dans la littérature et qui recherchent des conseils, une méthode de travail... Ce qu’un atelier d’écriture est censé apporter. Si les écrivains, en France, donnaient des cours comme le font leurs homologues américains, ça leur ferait peut-être un peu moins de courrier. Et surtout, leurs conseils seraient rémunérés.
            En France, les ateliers d’écriture commencent timidement à s’implanter. Malheureusement, beaucoup sont constitués de séances brouillonnes durant lesquelles un gentil animateur vous apprendra à faire rimer fleur avec bonheur et à rédiger des lipogrammes en w. Trouver le bon atelier dirigé par un vrai connaisseur est encore assez difficile. Sinon, il y a les livres. Tous les ans sont publiés des manuels prétendant vous apprendre à écrire. Là encore, il faut séparer le bon grain de l’ivraie…
            Au fond, c’est toujours le même problème : l’écrivain français se soucie un peu trop de son apparence. Avouer à ses amis germanopratins qu’on a suivi un atelier, ça fait piteux. Aussitôt, on se sent rabaissé au niveau du plumitif sans avenir, sans intérêt – de l’écrivain de province. (Oui, il y a plein d’écrivains de province, beaucoup plus que d’écrivains parisiens, mais l’expression continue de sonner comme une insulte, vous ne trouvez pas ?) Ce n’est pas tout d’avoir publié son livre chez Gallimard, encore faut-il porter une écharpe de la bonne couleur. Et ne pas demeurer trop longtemps blogueur, parce que ça aussi, c’est mal vu, les blogueurs qui finissent par se faire éditer. Commencez plutôt par être écrivain, et ensuite ouvrez un blog, vous aurez l’air moins bête.
            Mais bon, moi je vous dis tout ça, mais je n’ai jamais mis les pieds dans un atelier d’écriture, faute de connaître les bonnes adresses… Mais ce n’est pas la même chose, moi je suis vraiment écrivain. Fainéant comme je suis, de toute façon, je ne peux rien faire d’autre.

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