jeudi 18 décembre 2014

La maladie



Tous les matins, on me fait une radio du thorax. Petit à petit, le poumon retrouve sa place. Le radiologiste est plutôt sympa. On parle un peu. « Vous êtes bien ici, il fait un froid de canard ce matin. » Merde, il a raison, je suis bien ici, vissé à ce lit.
Jean-Baptiste Gendarme, Chambre sous oxygène.

            Il y a des moments comme ça où on n’est pas motivé. Je pourrais presque me spécialiser dans ces moments-là, d’ailleurs. Je crois vous avoir expliqué une ou deux fois qu’à l’époque où j’ai commencé la Bibliothèque de Jupiter, j’avais fait une liste de thèmes envisageables, histoire de m’assurer que ce projet était viable. J’avais abouti à une quarantaine de sujets, jetés sur le carnet à la volée, tout en sachant que certains ne m’enthousiasmaient pas, dès le départ. Je notais tout ce qui me passait par la tête et que je pourrais, d’une façon ou d’une autre, lier à la littérature. Il y avait des sujets qui me plaisaient d’emblée, dont je savais que j’aurais plaisir à les traiter – et d’autres, donc, qui me rebutaient. « Le paragraphe ? Non mais sans déconner, je n’ai rien à dire sur le paragraphe… » Il y en a que je ne peux plus faire, parce que je les ai déjà traités en partie : j’avais noté l’humour, mais j’ai déjà traité de l’ironie et des jeux de mots. J’avais noté le crime et la violence, mais j’ai déjà traité les faits divers…
            Et puis, de temps à autres, de nouvelles idées viennent se rajouter à la liste originale. L’enfant, par exemple, n’était pas prévu à l’origine ; ni même la marche, ni l’Histoire.
            Aujourd’hui, je dois trouver un thème, et aucune idée ne me vient. Alors, je reprends cette liste et regarde les quelques sujets que je n’ai pas encore rayés, mais aucun ne me motive. Tous m’ont l’air de faire partie soit de la catégorie des sujets qui vont m’assommer, soit de la catégorie des sujets que j’ai déjà plus ou moins traités.
            Heureusement, un des mes amis – que ton nom soit sanctifié, DJ Zukry – m’a fait remarquer dernièrement, au détour d’une tartiflette, que je n’avais jamais traité de la maladie, qui est pourtant un thème littéraire aussi. Ah oui, tiens, c’est vrai !
            Bon, la maladie, c’est un thème littéraire si on veut vraiment en faire un thème littéraire. Ce qui est le cas de la plupart des sujets traités dans la Bibliothèque de Jupiter, donc ça me convient parfaitement.
            Les écrivains sont des grands malades. Sinon, ils ne s’enfermeraient pas pour écrire à longueur de journée sur un bureau, ou pour s’y mettre le soir alors qu’ils ont déjà une journée de « vrai » travail dans les pattes. Ce sont de grands malades, mais certains le sont plus que d’autres, et écrivent sur cette maladie.
            Bien sûr, ça contamine aussi ceux qui ne sont pas véritablement écrivain : si un animateur télé quelconque attrape un cancer, il trouvera sans peine un éditeur intéressé par le récit « sur le vif » de son « combat ». Mais bon : on sera sans doute très loin du livre incontournable de Fritz Zorn, Mars, qui commence par ces mots : « Je suis jeune et riche et cultivé ; et je suis malheureux, névrosé et seul. »
            Les écrivains malades (pas forcément de la peste) sont légion. La littérature, ce sanatorium… Fritz Zorn cancéreux, Hervé Guibert, Michel Foucault, Guillaume Dustan sidéens (sans oublier Guy Hocquenghem ou Conrad Detrez – le SIDA était très à la mode à une époque, comme le suicide au XIXème siècle), Proust asthmatique, Dostoïevski épileptique, Tristan Corbière phtisique… Car la tuberculose a eu son heure de gloire aussi : Henry Murger, l’auteur bien oublié des Scènes de la vie de bohème, y a succombé, de même qu’Hégésippe Moreau, qui n’aura pas attendu d’avoir trente ans pour tirer sa révérence, en laissant quelques vers. Corbière a fait de Moreau le « créateur de l’art-hôpital ». Il pouvait bien se moquer des tubards, ce maigre morlaisien sarcastique, puisqu’il faisait partie de la famille…
            Corbière, mon cher Corbière, dont toute la courte vie ne fut qu’un éclat de rire jaune à l’égard de la mort qui l’attendait peinarde en affûtant sa faux, cloue au pilori tous les poètes de la maladie – y incluant Lamartine, pour avoir mis en vers (en vers… ô bonheur de la polysémie !) la mort de sa fille Julia, et même Baudelaire. Mais dans ce poème, Un jeune qui s’en va, il se moque aussi de lui : en s’attaquant à ces poètes, il s’interdit de devenir l’un d’eux et de pleurnicher sur son lit en crachant ses éponges – ce qui ne l’empêche pas d’évoquer quand même son mal, l’air de rien. Bien joué, Tristan !

            ‒ Décès : Rolla : – l’Académie –
            Murger, Baudelaire : – hôpital, –
            Lamartine : – en perdant la vie
            De sa fille, en strophes pas mal…

            Doux bedeau, pleureuse en lévite,
            Harmonieux tronc des moissonnés,
            Inventeur de la larme écrite,
            Lacrymatoire d’abonnés !...

            Moreau – j’oubliais – Hégésippe,
            Créateur de l’art-hôpital…
            Depuis, j’ai la phtisie en grippe ;
            Ce n’est plus même original.

            Non, la maladie, au fond, n’a rien d’original. Quand l’horizon se réduit à une chambre d’hôpital, vous avez intérêt à faire preuve d’imagination… Mais le huis clos, après tout, est un modèle littéraire qui a fait ses preuves aussi. Et l’avantage de la convalescence, c’est qu’elle laisse du temps pour l’écriture.



7 commentaires:

Pierre Driout et les grands malades des bibliothèques-sanatoriums a dit…

Oui même les livres finissent leur courte ou longue vie comme de grands malades : rongés par l'acide, par les vers, par l'humidité, par l'oubli parfois !

...

Jean-Paul Brighelli vient d'écrire aujourd'hui un articulet sur sa maladie de grand lecteur-valétudinaire c'est pourquoi il m'y fait penser.

Pierre Driout sidi vicieux a dit…

Y a aussi des livres qui rendent dingues style le Coran ; je veux dire qu'y a pas que des Sid Vicious de la musique ... y a aussi des bouquins qui font une drôle de musique qui rend malade !

Raphaël Juldé a dit…

D'ailleurs, à ce propos, faites attention en traversant...

FIFI le FOU a dit…

Peut-on délirer d'ailleurs sur la maladie ? Il ne faut occulter le fait que la maladie peut être la conséquence d'une infection; elle peut aussi etre symptomatique : provoquée par une autre maladie, une non-evolution ...
Bonne guérison

Pierre Driout bravo vous avez gagné le droit de passer en 2015 ! a dit…

Pour tes étrennes je te donne un thème à traiter dans les formes :

- Vaut-il mieux refuser le prix Nobel ou la Légion d'honneur pour son bon renom d'écrivain et de célébrité future ?

Raphaël Juldé a dit…

La meilleure façon de refuser un prix est de ne pas le mériter !

Pierre Driout vierge sur le tard a dit…

Un peu facile Monseigneur ! A ce compte beaucoup trop de boutonnières resteraient vierges ... et la virginité prolongée ça vous connaît !