jeudi 11 décembre 2014

L'enfance


Quand je me fais mal, je ne pleure pas, ma mère viendrait.
Jules Vallès, L’Enfant.

            Je ne sais pas ce qu’ils ont, les écrivains, mais il faut toujours qu’ils la ramènent avec l’enfance. C’est comme un mauvais virus, même les meilleurs d’entre eux le chopent un jour ou l’autre et se mettent à écrire un livre sur leurs jeunes années, quand ils portaient des culottes courtes et qu’ils se battaient avec des épées de bois. On les croyait sérieux, à parler de la guerre, de l’amour, de la mort, enfin de sujets qui en imposent un peu, quoi… et puis, paf ! Les voilà à nous raconter leurs premières défonces à la colle Cléopâtre et les buvards roses imbibés d’encre, mais toujours plus propres que les doigts des bambins…
            Moi, vous savez, je ne suis pas psychiatre. Mais j’ai comme l’impression que tous ces écrivains, là, leur enfance, elle les a un peu traumatisés.
            Le plus curieux, là-dedans, c’est de réussir à en faire un livre clos sur lui-même. Si je réfléchis cinq minutes à mon enfance (je ne suis pas sûr de tenir plus longtemps), je suis incapable d’y mettre un point final. Ça finit quand, l’enfance ? Demain ou après-demain, avec un peu de bol… Évidemment, je ne joue plus aux billes – mais ça ne veut rien dire, puisque je n’y jouais déjà pas quand j’avais dix ans !
            Il faut dire aussi qu’en guise d’enfance, moi, je n’ai pas grand-chose à me (vous) mettre sous la dent : pas de bonne guerre, pas de parents violents, pas tellement d’anecdotes croustillantes… Je suis de la génération Goldorak, avec en prime ce petit côté autiste qui fait tout mon charme : enfermé dans ma chambre à dessiner et écrire au lieu de sortir me faire des amis. Des amis, je m’en suis fait à l’approche de l’âge adulte. L’enfance, c’est à partir de seize ans, comme les films d’horreur.
            Pourtant, il y a des écrivains qui ont commencé tout petit leur carrière d’enfant. Jules Vallès a élevé le truc au rang de concept, en appelant carrément son livre L’Enfant. À croire que c’est lui qui a inventé le roman d’apprentissage ! En racontant son enfance, ou plus exactement celle de Jacques Vingtras (mais bon, on n’est pas dupes), Vallès prétend donc nous raconter une enfance générique, universelle. Un enfant, c’est ça : une pauvre chose qui se fait câliner à coups de torgnoles, une piste d’atterrissage pour gifles. La misère, mais avec quelque chose d’innocent et de léger, parce que l’enfance, c’est aussi ce qui passe (puisque le livre a une fin) et qu’on écrit des années après, quand le temps a soigné les hématomes.
            Les écrivains, au fond, sont de grands nostalgiques. En cela, ils nous ressemblent beaucoup, à nous simples mortels. On a tous une larme de côté pour les moments où on évoque Casimir et Zora la Rousse. On se souvient émus de cette époque d’innocence où on avait toute la vie devant soi. Et on oublie qu’à l’époque, on n’avait pas vraiment conscience de ce bonheur, et qu’on était surtout pressés de grandir pour pouvoir faire tout ce qu’on voulait. Et finalement, on a grandi, et on s’est aperçu que même adultes, on ne pouvait pas faire tout ce qu’on voulait. La vie est une arnaque. Alors, déçus, on s’est retournés sur notre enfance, et on a sorti les violons : ah ! comme on était heureux, alors ! ah ! comme on aurait dû en profiter plus ! (Et en plus, nous, pour la plupart, on était une génération sans torgnoles…) Enfants, profitez bien de votre jeunesse ! (Et les enfants nous écoutent et nous prennent un peu pour des vieux cons : eux, ils veulent juste grandir pour pouvoir faire tout ce qu’ils veulent. Et quand ils seront grands… vous m’avez compris.)
            Alors si Vallès a écrit L’Enfant, si Céline à écrit Mort à crédit, si Sartre a écrit Les Mots, c’est que toute la vie future est contenue dans l’enfance. (Oh ! là, là ! Quelle découverte, Juldé !) La vie est faites d’erreurs d’appréciations : ce ne sont pas les gamins qui sont les mieux placés pour savoir s’ils sont heureux. Plus tard, oui, ils s’apercevront qu’ils l’ont été, globalement, ou au contraire pas du tout, et ils pourront raconter tout ça. L’enfance, il faut y mettre un point final quelque part, comme à un livre – ce n’est que comme ça qu’on peut la mettre en mots. Il faut parler de ses expériences après coup. J’attendrai peut-être d’être mort pour vous raconter ma vie. Mais l’enfance, au fond, n’a pas de fin. On ne devient jamais la grande personne qui peut faire tout ce qu’elle veut. Sinon on le ferait, depuis le temps qu’on attend… Ou alors, c’est qu’on a oublié ce qu’on voulait, exactement…


2 commentaires:

Pierre Driout Panis Angelicus a dit…

Ah ! le lait plat que l'enfant digère si bien et qui donne des hauts le coeur à l'adulte !

L'enfance c'est le pain des anges !
Et il faut qu'il devienne le pain des hommes bon gré mal gré ...

FIFI le FOU a dit…

Entierement d'accord : l'impression désagreable que l'ecriture ne serait que l'effet d'une nostalgie d'un temps passé (voire d'une madeleine degustée) !