jeudi 27 novembre 2014

La bibliothèque


Si sa bibliothèque est la véritable patrie de l’écrivain, il me semble que sa description constituerait 1 volume entier, et c’est pourquoi je décide par la présente de remettre à plus tard ce projet gigogne, poupée russe moins grande en quantité qu’en rêves.
Thomas Clerc, Intérieur.

            « Bibliothèque » est un mot polysémique. Il y a le lieu (public) et l’objet, le meuble (qui peut être public ou privé). Jusqu’ici, je ne vous apprends rien. D’ailleurs je crois que globalement, avec La Bibliothèque de Jupiter, vous n’apprenez pas grand-chose – mais l’essentiel, c’est qu’on rigole bien.
            Tiens, justement : la « Bibliothèque » de Jupiter… Lieu ou meuble, la bibliothèque peut aussi l’être de façon abstraite. J’appelle ça bibliothèque parce que d’une certaine façon, je vous étale mes livres sous les yeux.
            Je vais encore parler de moi, mais ce sera toujours moins pénible que de vous entendre parler de vous. Quand j’étais enfant – enfin je veux dire, quand je l’étais plus que maintenant – je passais tous mes mercredis et samedis après-midi à la bibliothèque municipale. Oui, pour regarder les filles, bien sûr, mais aussi pour les livres. Ma mère nous donnait, à mon frère et à moi, dix francs d’argent de poche toutes les semaines. Incapable d’économiser si peu que ce soit (un défaut qui m’est resté), je les dépensais assez rapidement en bonbecs, sachant que pour assouvir ma soif de lecture, j’avais à ma disposition, et gratuitement, tous les ouvrages de la bibliothèque. Je me souviens encore du jour où j’ai quitté le rayon jeunesse pour me rendre dans le coin adulte : adieu, Jim Hawkins et Tom Sawyer ! Sachez que je ne vous oublierai jamais…
            Quand je suis devenu étudiant, j’ai pris l’habitude d’acheter mes propres livres. Et à partir du moment où j’ai trouvé des allocs du travail, je suis passé tout naturellement de la bibliothèque-lieu à la bibliothèque-meuble.
            Aujourd’hui, je croule sous le poids des livres. Je ne supporte plus l’idée de me séparer d’un bouquin une fois ma lecture achevée. Il faut qu’il reste dans les parages, que je puisse encore l’ouvrir, en relire une page ou deux – j’ai avec les livres un désir de possession que je n’éprouvais pas avant, ou de façon moins prononcée. Il y a des livres que j’avais empruntés quand j’étais plus jeune et que j’ai rachetés non pas pour les relire (même si on n’est jamais à l’abri d’une rechute) mais parce que je ne supportais pas l’idée de ne pas les avoir à portée de main. Le comble de la misère pour moi ? Ne pas pouvoir acheter de livres.
            « Au milieu de votre bibliothèque, quelle île déserte emporteriez-vous ? »
            Ma bibliothèque, qui comporte quelque chose comme 1 500 volumes (à un moment, j’ai arrêté de compter) est pleine de livres que je n’ai pas encore ouverts. Je pourrais arrêter d’acheter des bouquins pendant au moins un an – ce que je ne ferai pas – et avoir quand même de quoi lire. Mon problème, c’est que j’ai horreur du vide. Dans certaines bibliothèques, on pose à la place du livre sorti des rayons un petit carré de papier ou de carton, qu’on appelle « fantôme », pour combler le trou laissé par l’ouvrage manquant. Chez moi, il n’y a pas de place pour les fantômes, les exorcistes peuvent aller se faire pendre chez Pôle-Emploi : les livres se chevauchent, débordent sur les tables, les étagères plient mais ne rompent pas (jusqu’à présent)… Quand un pan de bibliothèque est rempli, on en rachète un autre, mais quand tous vos murs sont couverts de livres, et que le flux semble ne jamais devoir s’arrêter, qu’est-ce que vous faites ?
            Mes livres ne sont pas vraiment « rangés ». J’essaie de séparer les poches et les grands formats, afin de faciliter la répartition du poids, et de mettre ensemble tous les livres d’un même auteur. Mais si Emmanuel Carrère succède à Henri Calet, ce qui est alphabétiquement correct, ils sont suivis par Flaubert, Dostoïevski, Balzac, dans une anarchie totale. Et pourtant, je ne cherche presque jamais un livre. Je sais toujours dans quelle zone de ma bibliothèque, sous quelle pile, va se trouver le volume que j’ai décidé d’ouvrir. J’en conclus que ma bibliothèque doit reproduire dans la réalité le bordel que j’ai dans la tête.
            Plusieurs fois, je me suis dit qu’il faudrait que je plonge là-dedans et que j’y mette un semblant d’ordre. Le problème, c’est toujours de savoir quel ordre choisir. Évidemment, l’alphabet paraît toujours le plus logique. Mais j’ai tendance à aimer classer par genre aussi : j’ai un rayon poésie, où les ouvrages sont rangés dans un ordre totalement aléatoire, un rayon de livres sur le rock, j’aimerais me constituer un rayon d’ouvrages de guerre… Et d’un autre côté, l’alphabet pur et simple présente un certain intérêt, par les auteurs qu’il force à se côtoyer… mais où ranger les œuvres anonymes ? La Bible, le Lancelot-Graal
            Perec s’était déjà posé la question du classement des livres – dans l’indispensable Penser/classer, évidemment :

            « classement alphabétique
            classement par continents ou par pays
            classement par couleurs
            classement par date d’acquisition
            classement par date de parution
            classement par formats
            classement par genres
            classement par grandes périodes littéraires
            classement par langues
            classement par priorité de lecture
            classement par reliures
            classement par séries »

            Oui, on n’est pas sortis de l’auberge, quoi…


4 commentaires:

Pierre Driout n'y touche pas a dit…

Ou alors par degré de snobisme ?


- livre pour apprenti snob
- livre pour snob premier degré
- livre pour grand snob

Pierre Driout noli me tangere a dit…

Renaud Camus la Marie-Chantal du livre pourrait t'en dire plus long sur cette matière !

Anonyme a dit…

J'ai exactement le problème inverse : quand j'étais étudiante, je prenais 5 livres tous les quinze jours à la bibliothèque et je les lisais rapidement. En me disant qu'il fallait que je les rende donc urgence. Aujourd'hui, j'achète les livres, je ne les lis jamais. A chaque fois, je me dis "ok, j'ai le temps, ils vont pas mourir".

FIFI le FOU a dit…

Je me suis toujours demandé comment on pouvait encaisser autant de bouquins en un temps record.
Est-on toujours certain de bien les lire et comprendre les auteurs ?