mardi 31 juillet 2012

Le secret d’Indiana Jones ou 1’20’’ dans la peau d’un catogan (J.O. d'Athènes 2004)


Je ne sais pas si mes camarades se rendent bien compte de l’effort que j’ai fourni en les suivant à Athènes pour couvrir avec eux cette compétition sportive… Même Gérald a préféré nous laisser tomber pour aider le Pape à soigner des écrouelles (l’imposition des mains, c’est très compliqué quand on souffre de la maladie de Parkinson) ! Moi, j’ignore à peu près tout du sport et si ceux de combat sont à peu près les seuls qui trouvent grâce à mes yeux, môssieur Fayal, c’est avant tout parce que leurs règles sont un peu moins compliquées qu’ailleurs. Par exemple, Milàn vient de m’apprendre qu’au tennis, le but du jeu n’était pas de mettre la balle au fond du filet. Ils en savent, des choses, ces Hongrois… Je commence à comprendre pourquoi mes notes d’E.P.S. au lycée étaient si médiocres… Mais surtout, je viens d’apprendre qu’ACcRoc et Zukry (binôme que dorénavant j’appellerai ACkry pour plus de commodité) ne couvriront pas toute la compétition : j’ai en effet découvert dans le sac à main d’ACkry (qui était ouvert sur la table où se trouve mon ordinateur), entre quelques serviettes fort peu hygiéniques et un flacon de déodorant pour nous les hommes, deux billets d’avion ! Ces deux-là s’étaient bien gardés de me dire qu’ils comptaient s’éclipser au beau milieu des hostilités pour rejoindre le Portugal et y couler des jours paisibles, loin des médailles et des honneurs ! Ah, les lâches ! Et moi qui ai déjà mon billet de retour pour le 30 au matin, je vais donc me taper tout le boulot ! Ah, il a bon dos, le mulet ! Et c’est eux qui vont écrire mon journal intime, peut-être ?... Imaginez l’ambiance dans le bungalow ! Ajoutez la chaleur, l’odeur de pieds (bon, je reconnais que j’en ai deux aussi) et le fait qu’aucun de mes colocataires ne respecte mes heures de sommeil (6 h – 13 h 30, c’est quand même pas dur, putain), vous comprendrez que ma survie dans l’Attique est très incertaine, et mes résistances mentales très affaiblies. Le Péloponnèse doit être beaucoup plus calme, en comparaison. Même ACcRoc est perturbée, je le vois bien : elle porte des chaussettes de la même couleur.

Malgré mon triste état, j’ai accompagné Yanis au Centre Olympique pour y suivre les épreuves de gymnastique. Voilà encore un sport que je maîtrise peu, mais l’idée que j’étais autorisé à me rincer l’œil sur quelques cuisses de jeunes filles, que j’y étais même encouragé avec emphase puisque Stanislas devait récupérer de la terrible épreuve dite de « l’apéro » et ne pouvait donc se plier à cette tâche, oui, cette idée, je dois le dire, m’enchantait. La résonance des gymnases — ces églises où évoluent les Martyrs modernes, ceux qui ont livré leurs corps à la Sainte Sueur de la Compétition — m’a toujours profondément fait souffrir. Et Yanis, à côté de moi, hurlait dans mes pauvres tympans pour m’expliquer les barèmes de notation des juges alors que j’essayais de comprendre à quoi pouvait servir, dans la vie réelle, de savoir faire des galipettes sur une poutre. À moins d’être poursuivi par une tribu hostile et de devoir traverser un précipice sur un tronc d’arbre (avec une rivière en dessous, une jolie chute d’eau et une poignée d’alligators) tout en esquivant flèches, lances et autres tirs de sarbacane, franchement, je ne vois pas… Je me demande si Indiana Jones était doué en gym à l’école. Moi, très peu : c’est pour cette raison que j’ai toujours été un peu réticent à l’idée de faire du tourisme en Amazonie.

Enfin, toujours est-il que je n’ai pu réellement me concentrer que sur les épreuves d’enchaînement au sol. Je crois être tombé un peu amoureux de la Russe Elena Zamoldchikova qui, consciencieuse enfant, fixait obstinément la surface sur laquelle, dans quelques secondes, elle allait virevolter comme portée par l’aile d’un ange, en évitant mes regards enflammés sur son corps vibrant sous l’effort, afin de rester concentrée. J’ai maudit la sévérité des juges (bien que ne comprenant toujours rien aux notations), mes poings se sont crispés, Yanis ne m’avait jamais vu comme ça et j’ai profité de sa stupeur pour lui chiper quelques M & M’s. Svetlana Khorkina a suivi sa compatriote sur le praticable. Je n’aurais jamais pensé que des jambes aussi maigres étaient homologuées dans ce genre de discipline. J’ai eu peur à plusieurs reprises qu’elles ne se brisent d’un coup sec, comme une branche morte, crac ! Mais non. Qu’elles sont longues, ces jambes… elles n’en finiront donc jamais… J’ai dû m’endormir à un moment, ces jambes étaient vraiment trop longues, beaucoup plus que l’enchaînement de leur propriétaire, et je n’ai malheureusement aucun souvenir de la suite. Dans mon rêve, j’étais la queue de cheval de l’Américaine Carly Patterson et, après m’être balancé mollement au-dessus de sa nuque, je me suis mis à tournoyer dans les airs, incapable de différencier le sol du plafond, maman qu’est-ce qu’il m’arrive, le cœur au bord des lèvres et la cervelle à la cave, emporté par une série de saltos arrière, ne retrouvant un peu de stabilité que pour m’envoler dans l’autre sens, oh non v’là qu’ça recommence, pourvu que mon dernier repas reste bien arrimé à mon œsophage, pas de tout repos les gars la vie de catogan, c’est moi qui vous le dis, et quand j’ai rouvert les yeux, Yanis me racontait en hurlant à dix millimètres de mon appendice nasal la victoire des Roumaines : « Tu avais vu juste hier, Raphaël ! Tu avais vu juste ! » (C’est vrai qu’il est un peu lèche-cul, ce Yanis). Plein d’enthousiasme, il voulait m’imiter le double carpé final de la championne Catalina Ponor avant de s’écrouler en emportant deux ou trois juges dans sa chute. Bien fait pour ces rats.

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