jeudi 6 juin 2013

L'aventure



« Vient un temps dans la vie correctement structurée de tout garçon où il est pris d’un désir irrépressible d’aller quelque part et de creuser pour découvrir un trésor caché. »
Mark Twain, Les Aventures de Tom Sawyer.





            Je suis plutôt casanier. Ce n’est pas moi qui partirais sur les mers du globe, fendant les flots à la recherche d’épaves pleines de trésor, ou d’une baleine blanche récalcitrante…
            C’est d’autant plus surprenant de me retrouver ainsi, enfermé dans une cage de bambous accrochée au-dessus du vide par je ne sais quel système compliqué de lianes et de branchages. Au-dessus du vide, pas tout à fait – si encore il ne s’agissait que du vide… Non : au-dessus de marécages infestés de crocodiles ! Ce qui est beaucoup plus contrariant.
            Je vous l’ai dit : j’aime bien les clichés. Mais là, quand même, je crois qu’on s’est donné beaucoup de mal pour me faire plaisir !
            C’est une situation qu’on a tous déjà rencontrée au moins une fois dans sa vie – dans un film ou dans un roman d’aventures. On sait bien qu’à un moment donné, le héros va réussir à se libérer, toute la question est de savoir comment. On est toujours surpris de découvrir la réponse… et souvent on s’efforce de l’oublier, pour pouvoir être à nouveau surpris quand on reverra le film ou qu’on relira le livre.
            Eh bien, croyez-moi, en ce moment, j’aimerais bien me souvenir ! Surtout que je suis sujet au vertige, et que je ne suis pas du genre super entraîné, si vous voyez ce que je veux dire. Plutôt du genre à avoir arrêté le sport en 85… Donc, l’idée de bander mes muscles pour arracher les barreaux de ma cage, me hisser au-dessus et gagner la terre ferme en me suspendant aux lianes, façon pont de singe, oubliez tout de suite. Je risquerais surtout d’y gagner une entorse, et il y a tout un tas de sacs à main remplis de dents, là en bas, qui y gagneraient un happy meal !
            Mais puisque je suis contraint à rester un moment dans cette situation, mollement ballotté au-dessus des sauriens, et que du coup, je n’ai rien d’urgent à faire, autant songer aux romans d’aventures. Il me viendra peut-être une idée…
            Je dois confesser une chose : je n’ai jamais lu Alexandre Dumas. Le fils pas plus que le père, d’ailleurs… C’est bien dommage, parce que je crois savoir qu’on s’évade beaucoup de prison, chez Dumas. Ah ! Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour avoir une édition de poche du Comte de Monte-Cristo, en ce moment !
            Croyez-moi, les jeunes : la lecture peut vous sauver la vie.
            C’est drôle : il suffit d’ajouter un qualificatif au mot « roman », pour basculer de la « grande » littérature à la littérature populaire (beaucoup moins noble, il va sans dire). Roman policier, roman d’anticipation, roman érotique, roman d’aventures… C’est que lorsqu’un genre littéraire apparaît, il est facile d’en définir les codes, les procédés, et de produire ensuite des imitations à la chaîne. Bien sûr, le roman policier, c’est Conan Doyle ou Simenon – mais malheureusement, c’est aussi Gérard de Villiers et San Antonio. Bien sûr que lorsqu’on parle de « littérature jeunesse », on peut penser à Tom Tom et Nana – mais il y a aussi Lewis Caroll, quand même…
            Bien sûr qu’en terme de roman d’aventures, on peut penser à Eugène Sue et au Club des Cinq – mais et Jules Verne ? Stevenson ? Conrad ?!? Et on peut même remonter le temps : Don Quichotte, La Quête du Graal, l’Odyssée !...
            « L’aventure est l’irruption du hasard, ou du destin, dans la vie quotidienne, où elle introduit un bouleversement qui rend la mort possible, probable, présente, jusqu’au dénouement qui en triomphe – lorsqu’elle ne triomphe pas », écrit Jean-Yves Tadié. Situation initiale : la vie est paisible dans le petit village de X., notre (futur) héros s’adonne à ses tâches quotidiennes, quand soudain – élément perturbateur – un individu, un événement, survient, qui va le pousser à abandonner sa tranquillité pour se lancer sur les routes, ou sur les mers (ou dans les airs, enfin vous avez compris…).
            En l’an de grâce 17…, la vie est paisible à l’auberge de l’Amiral Benbow, battue par les embruns, quand un vieux loup de mer traînant un coffre de marin en franchit le seuil. À partir de ce moment, le jeune Jim Hawkins va embarquer sur l’Hispaniola à la recherche d’un fabuleux trésor.
            Je n’ai pas lu Dumas, mais la lecture de L’Île au trésor quand j’avais onze ans a bouleversé ma vie. Je ne me suis pas lancé sur les mers, mais je crois que j’ai compris pour la première fois ce que c’était que raconter une histoire. Jim Hawkins avait deux ans de plus que moi, et je m’étais mis en tête que treize ans, c’était l’âge des aventures – l’âge où tout pouvait arriver. (Quand j’ai eu treize ans, mes parents ont divorcé et j’ai redoublé ma quatrième. Comme quoi…)
            Dans tout bon récit d’aventures, il vous faut un héros auquel le lecteur va facilement s’identifier. Dans la littérature destinée à la jeunesse, avoir un enfant pour héros, c’est l’idéal. Ajoutez-y l’objet d’une quête (un trésor, ça marche toujours), des adjuvants (les amis et les soutiens du héros), des opposants, des traîtres et des obstacles qui surviendront régulièrement sur la route, obligeant le héros à improviser, à modifier ses plans, à se battre pour survivre, etc. Et la longue tradition du roman-feuilleton incite à conclure un chapitre sur une question, ou mieux encore sur un événement qui mette le héros ou tout autre personnage en fâcheuse posture. Que le lecteur se demande : « Que va-t-il arriver ? » On appelle ça le suspense. Si l’auteur sait y faire, vous ne devez pas avoir envie de reposer le livre avant de l’avoir fini.
            Notons que le genre ayant évolué, ces règles ne s’appliquent pas à tous les romans d’aventures. Joseph Conrad, par exemple, ne cherche pas à conclure chacun de ses chapitres par un suspense insoutenable. C’est que l’aventure, chez Conrad, est autant intérieure qu’extérieure. Ce n’est pas tant ce qui advient sur la route du héros qui compte, que ce que la route produit en lui…
            Enfin, tout ça ne me dit pas comment je vais me tirer de ce mauvais pas. Ça a l’air de s’impatienter, en bas, au rayon maroquinerie… Je m’apprête à poursuivre mes réflexions quand soudain, une flèche, venue de nulle part, vient se planter dans un barreau de bambou, à quelques centimètres de mon visage !

5 commentaires:

Pierre Driout dit Georges de la Jungle a dit…

L'aventure c'est l'aventure ! Les plus grands aventuriers sont partis de Laval pour n'y plus jamais revenir ...

Pierre Driout le perrynomane a dit…

J'espère que tu ne t'habilles pas en Fred Perry ! Manquerait plus que cela ...

Pierre Driout dit l'abbé Pierre a dit…

J'ai vu que tu te moquais de l'Abbé Pierre Bergé sur le blog de l'autre Pierre ; pourquoi parce qu'il préfère le Saint-Laurent au Fred Perry ?

Raphaël Juldé a dit…

Je n'ai jamais acheté de Fred Perry, et désormais, j'ai décidé de boycotter cette marque, qui nous rappelle les heures les plus sombres de notre Histoire.

C'est-à-dire que je continuerai à ne pas acheter de Fred Perry, mais dans un but militant !

(Mais là, vous me faites anticiper sur la publication de mon journal de juin...)

Pierre Driout dit le Chef a dit…

Toujours ce côté Anar de gauche mon petit Juldé ... faudrait voir à ne pas tomber du côté obscur de la force !