jeudi 11 juillet 2013

Le sport



L’actualité sportive est une marchande de quatre-saisons. Si l’athlétisme est la denrée superbe de l’été, si le football enchante les mois intermédiaires, si le cyclisme, au naturel ou en conserve, couvre un peu toute l’année à la manière des petits pois, la boxe avec ses salles chaudes, ses marrons, ses mitaines, est le véritable sport d’hiver, du moins pour ceux que la grâce des séjours dans la neige, garantis sur fracture, n’a pas encore touchés.
Antoine Blondin


Maintenant qu’on se connaît un peu, je peux bien vous l’avouer : le sport m’est totalement étranger. J’ai toujours vécu le nez dans les livres, où je voguais librement, et chaque semaine, lorsque approchait l’heure de me rendre au gymnase du collège, ou du lycée, pour y subir l’humiliation hebdomadaire du coups d’E.P.S., je sentais mon estomac se nouer et mes testicules se recroqueviller dans leurs bourses.
            J’étais un « littéraire », quoi. Pas un sportif.
            Je pensais vraiment que les deux étaient incompatibles. À vrai dire, je ne me posais même pas la question. Je n’ai jamais entendu Yannick Noah parler de Heidegger avec Michel Platini (à moins qu’il n’y ait eu un champion de course automobile qui s’appelait Heidegger ?), et j’imaginais mal Marcel Pagnol transformer un essai au rugby. C’était comme ça : deux mondes qui ne se rencontreraient jamais. La tête et les jambes, le corps et l’esprit, à jamais séparés…
            Léon Bloy écrivait : « Je crois que le sport est le plus sûr moyen de produire une génération de crétins malfaisants. »
            Bon, certes, dès qu’on se penche un peu sur les auteurs grecs, d’Homère à Aristote, on trouve chez eux de nombreuses allusions à la pratique sportive. Mais les Grecs ont inventé les Jeux olympiques – il est un peu logique que même leur littérature sente parfois le vestiaire…
            Au fond, la seule activité sportive qui selon moi pouvait se marier avec la littérature était la marche à pied. Et le cyclisme sur route, disons. Tout ce qui permet de voyager un peu, que ce soit avec un âne dans les Cévennes ou avec un bâton sur les cimes de Sils-Maria…
            Il faut reconnaître que la littérature s’est assez peu préoccupée du sport, en règle générale, même si Rabelais et Montaigne encourageaient l’activité physique. « Ce n’est pas une âme, ce n’est pas un corps qu’on dresse, c’est un homme ; il n’en faut pas faire à deux. Et, comme dit Platon, il ne faut pas les dresser l’un sans l’autre, mais les conduire également, comme une couple de chevaux attelés à même timon » (Montaigne, Essais, I, 26.)
            Et voilà qu’à la fin du XIXe siècle, en Europe, naît véritablement l’idée du sport, avec le retour des Jeux olympiques et le livre que Pierre de Coubertin consacre à l’éducation en Angleterre, entre autres. À partir de cet instant, le sport allait gagner ses lettres de noblesse. Et les petits intellos binoclards incapables de faire un service correct au volley allaient pouvoir se faire humilier régulièrement dans les gymnases scolaires par les cancres baraqués qui font la fierté de l’UNSS. Parce que l’essentiel, c’est de participer.
            Le sport n’est pas devenu un thème majeur de la littérature (faut pas exagérer non plus), mais petit à petit, au cours du XXe siècle, on a vu débarquer cette chimère inattendue, cet oxymoron humain : l’écrivain sportif. Pour ponctuer cette phrase, il faudrait imaginer le bruit de la foudre, quelque chose de très impressionnant, comme dans le Frankenstein de James Whale, au moment où la créature prend vie. « It’s alive ! It’s alive ! »
            L’écrivain sportif, parfaitement. Il y a eu Arthur Cravan, qui faisait de la boxe ; Jean Giraudoux, recordman du monde de course à pied, Frison-Roche qui faisait dans l’alpinisme… Et, bien entendu, il y a aussi les écrivains amateurs de sport et qui assument cette passion. Il paraît que Sartre regardait le foot en cachette (ça m’étonne pas de lui, ça, tiens…). Rien à voir avec Antoine Blondin, Jacques Perret ou bien d’autres, qui ont écrit des articles inoubliables sur le sport, à tel point qu’ils ont fait entrer la chronique sportive en littérature, aussi sûrement que s’y trouvaient déjà la chronique dramatique ou la critique d’art. Quand Blondin écrit sur le Tour de France ou sur quelque rencontre sportive que ce soit, il fait de la critique d’art. Blondin parlant de Jacques Anquetil, c’est Baudelaire évoquant Constantin Guys ! Oui, avec Blondin, sport et littérature avancent main dans la main : un peu comme si les Bleus faisaient leur troisième mi-temps au Café de Flore…
            Et désormais, lorsque mon médecin, auscultant avec inquiétude mon dos voûté, me demandera : « Vous pratiquez un sport ? », je pourrai lui répliquer fièrement :
            « Oui, monsieur. J’écris ! »

2 commentaires:

iPidiblue de la pédale (titre de vieille noblesse cycliste) a dit…

Quand je pense que ce Raphaël je l'ai connu tout petit petit et que maintenant il est devenu commentateur sportif et qu'il suit la grande boucle pour les médias main-stream !

iPidiblue sort de la douche a dit…

Et Juldé le barraqué tu as oublié Montherlant qui était adepte des vestiaires et des douches pour sportifs !

Depuis que tu te muscles les mollets tes neurones se liquéfient ...