jeudi 5 septembre 2013

La correspondance

Si je pouvais t’écrire tout ce que je réfléchis à propos de mon voyage, c’est-à-dire que si je retrouvais quand je prends la plume les choses qui me passent dans la tête et qui me font dire, à part moi : « je lui écrirai ça », tu aurais vraiment peut-être des lettres amusantes. Mais, va te faire foutre, cela s’en va aussitôt que j’ouvre mon carton. N’importe, au hasard de la fourchette, comme ça viendra.
Gustave Flaubert, Lettre à Louis Bouilhet, Constantinople, 14 novembre 1850.


            Laval, le 5 septembre 2013.

            Mon cher Patafion,

            J’ai bien reçu votre lettre du 30, et je ne saurais vous dire combien sa lecture m’a amusé, captivé, et souvent même décontenancé. Comme vous avez raison, et comme les correspondances d’écrivains sont encore par trop mésestimées ! L’heure est au courrier électronique, vous l’avez parfaitement remarqué, au message concis, rédigé rapidement et sans orthographe – sorte de compromis entre le coup de fil professionnel et le billet griffonné à la hâte et punaisé au mur !
            Des écrivains sortiront-ils de cette ère de la correspondance numérique ? Comment les appellera-t-on, d’ailleurs ? Des e-pistoliers ? Je me souviens que Gabriel Matzneff avait publié il y a quelques années un recueil de ses mails. Entreprise intéressante, mais qui à mon avis ne fera pas florès – entreprise « intéressante » en terme de curiosité, tout au plus. De même qu’une anthologie de statuts Facebook ne pourra guère concurrencer Les Liaisons dangereuses
            Faut-il pour autant déplorer cet état de fait ? Les grands épistoliers ont vécu, ont laissé des traces indélébiles de leur passage, et il y a tant à lire ! Je me souviens avoir vu dans votre bibliothèque la correspondance de Flaubert, celle de Dostoïevski, celle de Céline, celle de Byron, et j’en oublie… Plongez-vous dedans, dévorez-les, et répondez-moi : trouvez-vous encore le temps de lire la gentille carte postale que votre tante Hélène vous envoie de l’île de Batz ?
            Le temps des correspondances fleuves est certainement passé : le téléphone et la facilité des voyages ont réduit nos besoins de nous lancer dans de longues missives extrêmement détaillées pour donner de nos nouvelles. On se voit bien assez. Mais ces correspondances, elles demeurent, publiées, parfois partiellement, parfois retrouvées longtemps après – et revoilà de l’inédit, une lettre de Rimbaud (mettons), comme écrite de l’au-delà, et qu’un éditeur généreux (et pas désintéressé) nous permet de décacheter aujourd’hui… Presse le pas, facteur, car l’amitié n’attend pas ! La littérature, elle, peut attendre, et puiser comme elle le souhaite dans l’ancien comme dans le nouveau. Nous ne bénéficierons pas de la correspondance capitale entre Michel Onfray et Fred Vargas, parce que ces deux-là préfèrent discuter sur Skype ? Tant pis ! Nous avons la correspondance d’Henry Miller et Lawrence Durrell à finir, de toute façon !... Et on pourra toujours relire celle de Voltaire, d’Héloïse et d’Abélard, de Madame de Sévigné ! Il fût un temps où la Poste était une noble institution… Mais n’entrons pas dans la polémique, mon cher Jean-Baptiste…
            J’ai bien reçu votre Cri de la biscotte et vous remercie de la charmante dédicace que vous y avez apposée. Je n’ai pas encore eu le temps de me lancer dans sa lecture, mais un feuilletage rapide m’a déjà informé qu’il y avait là quelque chose de neuf et de brillant, qui pourrait faire grand bruit… si ce Cri est entendu, bien sûr : c’est-à-dire compris par les lecteurs, et reçu par les critiques, toujours frileux, vous le savez comme moi, même en cette période où l’été semble ne jamais devoir finir…
            Sur ces bonnes paroles, je vous laisse poursuivre votre œuvre considérable et retourne à mes petits ouvrages bien plus modestes.
            Toujours votre,


            Raphaël Juldé.

1 commentaire:

Pierre Driout a dit…

Je ne suis pas contre un plan avec Monsieur Patafion ! Promis, juré, il n'y aura pas de cri de la biscotte entre nous ...