Si je pouvais t’écrire tout
ce que je réfléchis à propos de mon voyage, c’est-à-dire que si je retrouvais
quand je prends la plume les choses qui me passent dans la tête et qui me font
dire, à part moi : « je lui écrirai ça », tu aurais vraiment
peut-être des lettres amusantes. Mais, va te faire foutre, cela s’en va aussitôt
que j’ouvre mon carton. N’importe, au hasard de la fourchette, comme ça
viendra.
Gustave Flaubert, Lettre à Louis Bouilhet, Constantinople, 14 novembre
1850.
Laval, le 5 septembre 2013.
Mon cher Patafion,
J’ai bien reçu votre lettre du 30,
et je ne saurais vous dire combien sa lecture m’a amusé, captivé, et souvent
même décontenancé. Comme vous avez raison, et comme les correspondances
d’écrivains sont encore par trop mésestimées ! L’heure est au courrier
électronique, vous l’avez parfaitement remarqué, au message concis, rédigé
rapidement et sans orthographe – sorte de compromis entre le coup de fil
professionnel et le billet griffonné à la hâte et punaisé au mur !
Des écrivains sortiront-ils de cette
ère de la correspondance numérique ? Comment les appellera-t-on,
d’ailleurs ? Des e-pistoliers ? Je me souviens que Gabriel Matzneff
avait publié il y a quelques années un recueil de ses mails. Entreprise
intéressante, mais qui à mon avis ne fera pas florès – entreprise
« intéressante » en terme de curiosité, tout au plus. De même qu’une
anthologie de statuts Facebook ne pourra guère concurrencer Les Liaisons
dangereuses…
Faut-il pour autant déplorer cet
état de fait ? Les grands épistoliers ont vécu, ont laissé des traces
indélébiles de leur passage, et il y a tant à lire ! Je me souviens avoir
vu dans votre bibliothèque la correspondance de Flaubert, celle de Dostoïevski,
celle de Céline, celle de Byron, et j’en oublie… Plongez-vous dedans,
dévorez-les, et répondez-moi : trouvez-vous encore le temps de lire la
gentille carte postale que votre tante Hélène vous envoie de l’île de
Batz ?
Le temps des correspondances fleuves
est certainement passé : le téléphone et la facilité des voyages ont
réduit nos besoins de nous lancer dans de longues missives extrêmement
détaillées pour donner de nos nouvelles. On se voit bien assez. Mais ces
correspondances, elles demeurent, publiées, parfois partiellement, parfois
retrouvées longtemps après – et revoilà de l’inédit, une lettre de Rimbaud
(mettons), comme écrite de l’au-delà, et qu’un éditeur généreux (et pas
désintéressé) nous permet de décacheter aujourd’hui… Presse le pas, facteur,
car l’amitié n’attend pas ! La littérature, elle, peut attendre, et puiser
comme elle le souhaite dans l’ancien comme dans le nouveau. Nous ne
bénéficierons pas de la correspondance capitale entre Michel Onfray et Fred
Vargas, parce que ces deux-là préfèrent discuter sur Skype ? Tant
pis ! Nous avons la correspondance d’Henry Miller et Lawrence Durrell à
finir, de toute façon !... Et on pourra toujours relire celle de Voltaire,
d’Héloïse et d’Abélard, de Madame de Sévigné ! Il fût un temps où la Poste
était une noble institution… Mais n’entrons pas dans la polémique, mon cher
Jean-Baptiste…
J’ai bien reçu votre Cri de la
biscotte et vous remercie de la charmante dédicace que vous y avez apposée.
Je n’ai pas encore eu le temps de me lancer dans sa lecture, mais un feuilletage
rapide m’a déjà informé qu’il y avait là quelque chose de neuf et de brillant,
qui pourrait faire grand bruit… si ce Cri est entendu, bien sûr :
c’est-à-dire compris par les lecteurs, et reçu par les critiques, toujours
frileux, vous le savez comme moi, même en cette période où l’été semble ne
jamais devoir finir…
Sur ces bonnes paroles, je vous
laisse poursuivre votre œuvre considérable et retourne à mes petits ouvrages
bien plus modestes.
Toujours votre,
Raphaël Juldé.
1 commentaire:
Je ne suis pas contre un plan avec Monsieur Patafion ! Promis, juré, il n'y aura pas de cri de la biscotte entre nous ...
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