Au quotidien, l’écriture
autographe se raréfie ; on commence à imaginer qu’elle pourrait un jour se
limiter au paraphe et à la signature, avant que la griffe cryptée,
l’identifiant personnel, le code barre individuel, ou toute autre forme de signature
électronique ne s’y substituent définitivement.
Pierre-Marc de Biasi.
Jadis, les écrivains étaient des travailleurs manuels.
C’était avec la main qu’ils écrivaient leurs livres, et quand je dis la main,
je ne parle pas de la pulpe du doigt qui heurte rythmiquement les touches d’un
clavier – non : je parle de la main toute entière, recourbée sur le corps
d’un objet cylindrique appelé communément stylo, et dont la friction sur une
feuille de papier laissait des traces appelées lettres.
Bien avant ce jadis, les premiers hommes s’étaient
entraînés sur les parois de leurs grottes, en se trempant les mains dans
l’argile, mais ce n’était pas concluant : ils se contentaient de laisser
des traces de doigts sur la pierre, et pour les plus artistes d’entre eux, de
faire des petits dessins. Ils n’avaient pas appris à écrire, ils se
débrouillaient comme ils pouvaient, nous aurions tort de les juger.
Et puis, je ne sais pas bien comment ça s’est fait, si
l’homme a inventé le crayon avant de savoir écrire ou le contraire, mais
toujours est-il qu’il s’est mis à écrire sur de papier, donc, et avec une
plume. Je ne sais plus comment s’appelait le gars qui a eu l’idée d’utiliser
une plume trempée dans l’encre, mais ce devait être un officier militaire (d’où
les plumes Sergent-Major).
Aujourd’hui encore, il existe des nostalgiques de cette
époque où les écrivains laissaient ce qu’on appelle un « manuscrit »,
c’est-à-dire un bloc de feuilles noircies manuellement donc, avec des lettres
tarabiscotées, toutes mal fichues, pas régulières du tout – rien à voir avec le
bon vieux Times New Roman corps 12 qui se range bien docilement sur la page
Word, bien en ligne, bien justifié, et je ne veux voir qu’une seule tête.
Dégradé, le sergent-major !
Difficile de croire qu’on puisse préférer à ces caractères
bien ordonnés (c’est pas pour rien qu’on appelle ça une
« police » !) des gribouillages souvent illisibles où
d’horribles ratures, des rajouts et des signes étranges – qui n’ont de sens que
pour l’auteur, je suppose… – rendent les choses encore plus obscures. Mais
croyez-le ou non, il y a des gens qui passent leur temps à se pencher sur les
paperasses de Flaubert, de Balzac, de Proust, et qui s’arrêtent sur chaque
rature, sur chaque « repentir » (c’est comme ça qu’ils causent), et
qui en ont même fait leur métier ! On les appelle des généticiens du
texte, rien que ça !
Heureusement, de nos jours, les écrivains sont plus
raisonnables, ils maîtrisent tous le traitement de texte et savent apporter à
leur éditeur un manuscrit – qui a gardé ce nom à tort, puisqu’il n’est plus
vraiment écrit à la main (même si c’est avec les doigts qu’on tape sur le
clavier, admettons) – un manuscrit, donc, bien propre et bien lisible. Les
brouillons de l’auteur sont constitués de feuilles blanches recouvertes de
lettres imprimées que le crayon s’est contenté de corriger, de raturer – et encore,
il s’agit là des auteurs qui n’ont pas entendu parler des bienfaits de la
fonction « insérer un commentaire », qui leur permettrait d’ajouter
des corrections tout aussi proprement alignées en marge de leur prose !
Les choses changent doucement, mais bon : on n’en est
plus à l’époque des traces de mains sur les murs ! Vous en êtes encore au
Bic, vous ?
3 commentaires:
Tu fais exprès de mettre des trucs illisibles pour m'empêcher de faire des commentaires ?
Oh, ça va, j'écris pas si mal que ça...
Comme dirait Pierre Palmade : C'est bien triste d'être un écrivain !
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