jeudi 3 octobre 2013

Le manuscrit



Au quotidien, l’écriture autographe se raréfie ; on commence à imaginer qu’elle pourrait un jour se limiter au paraphe et à la signature, avant que la griffe cryptée, l’identifiant personnel, le code barre individuel, ou toute autre forme de signature électronique ne s’y substituent définitivement.
Pierre-Marc de Biasi.



Jadis, les écrivains étaient des travailleurs manuels. C’était avec la main qu’ils écrivaient leurs livres, et quand je dis la main, je ne parle pas de la pulpe du doigt qui heurte rythmiquement les touches d’un clavier – non : je parle de la main toute entière, recourbée sur le corps d’un objet cylindrique appelé communément stylo, et dont la friction sur une feuille de papier laissait des traces appelées lettres.
Bien avant ce jadis, les premiers hommes s’étaient entraînés sur les parois de leurs grottes, en se trempant les mains dans l’argile, mais ce n’était pas concluant : ils se contentaient de laisser des traces de doigts sur la pierre, et pour les plus artistes d’entre eux, de faire des petits dessins. Ils n’avaient pas appris à écrire, ils se débrouillaient comme ils pouvaient, nous aurions tort de les juger.
Et puis, je ne sais pas bien comment ça s’est fait, si l’homme a inventé le crayon avant de savoir écrire ou le contraire, mais toujours est-il qu’il s’est mis à écrire sur de papier, donc, et avec une plume. Je ne sais plus comment s’appelait le gars qui a eu l’idée d’utiliser une plume trempée dans l’encre, mais ce devait être un officier militaire (d’où les plumes Sergent-Major).
Aujourd’hui encore, il existe des nostalgiques de cette époque où les écrivains laissaient ce qu’on appelle un « manuscrit », c’est-à-dire un bloc de feuilles noircies manuellement donc, avec des lettres tarabiscotées, toutes mal fichues, pas régulières du tout – rien à voir avec le bon vieux Times New Roman corps 12 qui se range bien docilement sur la page Word, bien en ligne, bien justifié, et je ne veux voir qu’une seule tête. Dégradé, le sergent-major !
Difficile de croire qu’on puisse préférer à ces caractères bien ordonnés (c’est pas pour rien qu’on appelle ça une « police » !) des gribouillages souvent illisibles où d’horribles ratures, des rajouts et des signes étranges – qui n’ont de sens que pour l’auteur, je suppose… – rendent les choses encore plus obscures. Mais croyez-le ou non, il y a des gens qui passent leur temps à se pencher sur les paperasses de Flaubert, de Balzac, de Proust, et qui s’arrêtent sur chaque rature, sur chaque « repentir » (c’est comme ça qu’ils causent), et qui en ont même fait leur métier ! On les appelle des généticiens du texte, rien que ça !
Heureusement, de nos jours, les écrivains sont plus raisonnables, ils maîtrisent tous le traitement de texte et savent apporter à leur éditeur un manuscrit – qui a gardé ce nom à tort, puisqu’il n’est plus vraiment écrit à la main (même si c’est avec les doigts qu’on tape sur le clavier, admettons) – un manuscrit, donc, bien propre et bien lisible. Les brouillons de l’auteur sont constitués de feuilles blanches recouvertes de lettres imprimées que le crayon s’est contenté de corriger, de raturer – et encore, il s’agit là des auteurs qui n’ont pas entendu parler des bienfaits de la fonction « insérer un commentaire », qui leur permettrait d’ajouter des corrections tout aussi proprement alignées en marge de leur prose !
Les choses changent doucement, mais bon : on n’en est plus à l’époque des traces de mains sur les murs ! Vous en êtes encore au Bic, vous ?


                                                                                          La Bibliothèque de Jupiter # 26

3 commentaires:

Pierre Driout et la méthode à mimile a dit…

Tu fais exprès de mettre des trucs illisibles pour m'empêcher de faire des commentaires ?

Raphaël Juldé a dit…

Oh, ça va, j'écris pas si mal que ça...

Pierre Driout a dit…

Comme dirait Pierre Palmade : C'est bien triste d'être un écrivain !