jeudi 31 octobre 2013

Les prix

Ah ! c’est un peu dégoûtant, la cuisine des prix !
Jacques Brenner, Journal, 6 novembre 1989.

            Vous ai-je déjà dit que les écrivains étaient de grands enfants ? Il faut les voir se faire beaux pour la remise des prix de fin d’année, dès qu’arrive le mois de novembre ! Oh, il y en a bien aussi quelques uns pour se moquer ouvertement de ces cérémonies dérisoires, mais ce sont toujours les mêmes : les jaloux, les cancres, ceux qui savent déjà qu’ils ne seront jamais les chouchous des jurés de chez Drouant !
            Au fond, on en rigole, on dénigre la « cuisine des prix », mais on a quand même envie d’être sur la photo, verre de pouilly en main et chèque de dix euros en poche. Dix euros ? Oui, c’est ça, le Goncourt : un chèque de dix euros. Juste de quoi payer le taxi pour rentrer chez soi. Ça, et puis la notoriété, un bandeau rouge sur la couverture, des tirages énormes et la satisfaction d’être enfin reconnu par sa boulangère… On ne va pas cracher sur les ventes record qui nous permettront d’acheter enfin cet appartement parisien planté au beau milieu du sixième arrondissement, nombril intellectuel de la Ville-Lumière…
            Le prix imaginé par Edmond de Goncourt récompensait d’abord « le meilleur ouvrage d’imagination en prose paru dans l’année ». Il s’élevait à l’époque à un montant de cinq mille francs or. L’inflation est venue remettre un peu d’ordre dans tout ça et la valeur du chèque est devenue symbolique. « Mon vœu suprême, écrivait Goncourt, vœu que je prie les jeunes académiciens futurs d’avoir présent à la mémoire, c’est que le prix soit donné à la jeunesse, à l’originalité du talent, aux tentatives nouvelles et hardies de la pensée et de la forme. »
            Les « jeunes académiciens »… La formule est un oxymoron : Philippe Claudel, le plus jeune des jurés, a cinquante-et-un ans, et la doyenne, l’inusable Edmonde Charles-Roux, en a quatre-vingt-quatorze. Quant à la « jeunesse » des œuvres primées – décidément une lubie chez le père Goncourt, qui avait pourtant lui-même dépassé son demi-siècle au moment de rédiger son célèbre « testament » –, cette « jeunesse », donc, est aujourd’hui purement rhétorique. À l’exception de Jonathan Littel en 2006, on veille désormais à ne jamais décerner le Goncourt à un premier roman – d’ailleurs, il existe maintenant un prix Goncourt du Premier Roman pour régler la question, et un prix Goncourt des Lycéens pour que les jeunes aient l’impression d’avoir un avis qui compte.
            Le Prix Goncourt est une institution. Le recevoir, une consécration. Mais il suffit de lui ajouter des compléments pour qu’il perde tout son charme. Recevoir le Goncourt, c’est la grande classe. Recevoir le Goncourt du Premier Roman, c’est plutôt sympa. Recevoir le Goncourt des Lycéens, c’est pas de bol.
            Pour les recalés du Goncourt, il existe également des prix de consolation, le premier d’entre eux étant le Renaudot. Il y a aussi le Femina, le Grand Prix du roman de l’Académie Française, le prix Décembre, le prix de Flore, le Médicis, le prix des Lectrices de Elle, le Prix de la Closerie des Lilas, et la liste est encore longue… Si un jour, un de vos romans se voit décerner l’un de ses prix, vous aurez au moins une certitude : vous n’avez pas eu le Goncourt.
            Un bel exemple du jeu de chaises musicales en quoi consiste la répartition des prix littéraires se trouve dans le Journal de Jacques Brenner, à la page du 7 novembre 1988 :
            « … nous n’avons parlé que du Renaudot. Berger a commencé par cette phrase extraordinaire : “De toi va dépendre le choix du lauréat Goncourt !” Il m’explique : “Orsenna est actuellement le favori, mais les Goncourt ne voudraient pas voler leur lauréat aux Renaudot : ainsi, si dimanche Orsenna obtient le Renaudot, c’est Rousseau qui aura le Goncourt lundi.”
            J’ai répondu que je défendrais d’abord Anger, mais qu’ensuite je pourrais me rallier aux partisans d’Orsenna. “Après Orsenna, peux-tu proposer Deplant ? – Non, je préférerais proposer Rousseau. Après tout, Orsenna pourrait quand même recevoir le Goncourt. Le Renaudot serait alors une consolation pour Rousseau. – Mais n’est-il pas écarté de vos votes pour avoir obtenu le Médicis ? – Non, c’était il y a sept ans…” »

            Reste à vous donner le quarté pour lundi : Karine Tuil, Frédéric Verger, Pierre Lemaître et Jean-Philippe Toussaint. Je vous précise qu’il est inutile d’essayer de voter par SMS.

5 commentaires:

Pierre Driout a dit…

Je préfère l'euro-million ... ou le calcio ! Manque de peau mes footeux entrent en grève et je vais rester avec mes paris sur les bras !

P.S : Pourrais-tu organiser des paris sur les Goncourt ? Mais avec des prix supérieurs à tes dix euros symboliques ...

Pierre Driout a dit…

Le pilon est le plus gourmand des lecteurs d'après la saison des prix d'automne : n'aurait-il pas droit à un prix d'assiduité ?

Pierre Driout a dit…

J'ai pas dit que le pilon était un gourmet ... tu sais qu'au restaurant Drouant on leur sert 7 à 8 plats aux jurés pour qu'ils soient à moitié endormi quand ils votent !

Raphaël Juldé a dit…

Parce que la léthargie n'est pas leur état permanent ?

Pierre Driout a dit…

La narcolepsie cela ferait pourtant un bon sujet de roman ! Enfin je te dis cela je te dis rien ...