jeudi 16 janvier 2014

Le livre audio

Il ne faut jamais écouter. Écouter est une marque d’indifférence vis-à-vis de nos auditeurs.
Oscar Wilde

            Dans ses États et Empires de la Lune, publiés en 1657, deux ans après sa mort, Savinien Cyrano de Bergerac envoie son narrateur en expédition sur l’astre des nuits. Là, parmi de nombreuses rencontres et découvertes qui l’amènent à reconsidérer toutes les connaissances acquises sur Terre, il se voit remettre deux livres qu’il s’empresse de décrire au lecteur.

            « À l’ouverture de la boîte, je trouvai dedans un je ne sais quoi de métal quasi tout semblable à nos horloges, plein d’un nombre infini de petits ressorts et de machines imperceptibles. C’est un livre à la vérité, mais c’est un livre miraculeux qui n’a ni feuillets ni caractères ; enfin c’est un livre où, pour apprendre, les yeux sont inutiles ; on n’a besoin que d’oreilles. Quand quelqu’un donc souhaite lire, il bande, avec une grande quantité de toutes sortes de clefs, cette machine, puis il tourne l’aiguille sur le chapitre qu’il désire écouter, et au même temps il sort de cette noix comme de la bouche d’un homme, ou d’un instrument de musique, tous les sons distincts et différents qui servent, entre les grands lunaires, à l’expression du langage. »

            Il semblerait donc que le livre audio, qui ressemble de nos jours peu ou prou à un CD, et dont on serait tenté de dater la création peu de temps après celle de l’enregistrement sur microsillon, il semblerait donc que cette invention nous vienne de la lune. Ça peut paraître bizarre, mais bon.
            Au fond, le livre audio n’existait-il pas bien avant l’enregistrement ? Au fond, le livre audio n’a-t-il pas toujours existé, avant même l’imprimerie ?
            Oui, bien sûr, et vous voyez déjà tellement où je veux en venir que j’ai un peu honte d’y venir (mais j’assume) : la littérature, à l’origine, était orale. Eh oui, les copains ! Personne n’était là pour enregistrer les chanteurs de geste, personne pour capter sur magnétophone les discours de Socrate sur l’agora – d’ailleurs celui-là, le connaissant, il aurait refusé de parler dans le micro – alors il a fallu coucher par écrit toutes ces histoires. Mais au commencement, comme dirait l’Autre, il y avait la voix. L’écriture, puis l’imprimerie, sont d’abord considérées comme des menaces pour la littérature et la mémoire des hommes, puisqu’elles fixent les récits qui jusqu’alors ne cessaient de s’enrichir au gré des improvisations de leurs conteurs, et dispensent les hommes d’utiliser leur mémoire puisque tout est écrit. L’écrit est une perte par rapport à l’oral – alors que dire de l’« audio » ! La littérature, orale d’abord, puis écrite, était jusqu’ici une discipline active – consistant à dire, puis à écrire. Elle devient une discipline passive, puisqu’il ne suffit plus que d’écouter. Les œuvres ont déjà été créées, il ne reste plus qu’à les entendre. On glisse le CD dans le chargeur de la Twingo et on peut se faire Du côté de chez Swann entre Paris et Bordeaux, peinard.
            « Je vais aller vite, parce que je crois que ces choses-là coûtent très cher, il faut donc être ménager de ses mots », disait Céline, invité à parler de son œuvre dans « un décor de chaise électrique », un studio d’enregistrement, en 1957. Certes, à la fin des années 50, on pouvait encore s’inquiéter du prix de tout ce matériel. Aujourd’hui que tout le monde a chez soi un petit home studio à faire baver d’envie Pascal Nègre (si ça, c’est pas un nom d’écrivain !), on n’hésite plus à enregistrer des auteurs lisant leurs œuvres, des acteurs lisant des auteurs morts (en choisissant plutôt Denis Podalydès ou Jeanne Balibar, parce qu’ils font plus intellectuels que Dany Boon ou Jean Réno), enfin ce genre de choses… La littérature passe à nouveau par les oreilles, comme au bon vieux temps, et comme sur la lune.


1 commentaire:

Pierre Driout dit Commode a dit…

Les commodités de la conversation ... autre nom pour les chaises qui permettent de converser longuement entre amis !

Les commodités de la net-attitude qui permettent d'oraliser sans le savoir.

Comme la belle voix de Juldé nous manque à nous humbles parisiens !