Je pensais
souvent à ce cinéaste japonais, Ozu, qui avait fait graver ces simples mots sur
sa tombe : « Néant ». Moi aussi je me promenais avec une telle
épitaphe, mais de mon vivant.
Jean-Pierre Martinet
Si vous voulez
réussir dans l’écriture, commencez par rater votre vie.
Non,
sérieusement, c’est un bon début ! Ça a très bien marché pour beaucoup.
L’échec, c’est souvent la clé de la réussite. Il suffit de voir le nombre
d’auteurs qui ont écrit sur leurs déboires amoureux, leur alcoolisme, leur
misère sexuelle (avec un peu de chance, la misère sexuelle, ça peut vous
attirer la compassion des femmes…), leur inaptitude congénitale au bonheur… Les
lecteurs aiment les écrivains qui souffrent, ils ont l’impression de leur
ressembler. Le mec un peu loser, un
peu clodo, c’est rassurant. Racontez une rencontre amoureuse, les ponts de
Paris, une robe légèrement soulevée par le vent, des mots doux, un bouquet de
fleurs, une relation adulte et tendre – vous n’intéresserez personne. Mais si
la fille se barre à votre approche, si vous n’arrivez pas à bander quand enfin
elle s’offre, si vous rajoutez du sang, des larmes, un profond sentiment de
désespoir, là, les portes de la Grande Littérature vous sont ouvertes, on vous
y accueille avec une petite tape confraternelle dans le dos et un kir royal
dans un verre givré s’il vous plaît, et personne ne vous fait de remarques
outragées si vous lorgnez dans les décolletés d’alentour. Vous en êtes. Vous
êtes un raté : vous êtes un génie. Un véritable écrivain, c’est un homme
qui souffre. C’est ce que vous a rappelé votre éditeur en effaçant un ou deux
zéros sur votre contrat.
On
ne vous demandera même pas d’exhiber les cicatrices sur vos poignets : il
suffira simplement que vous ayez écrit à quel point vous vomissiez la vie,
cette pute, et que vous avez pris l’autoroute du bonheur à contresens et qu’une
bonne bombe nucléaire bien placée nettoierait tout ça bien comme il faut, pour
qu’on vous croit sur parole. Vous êtes un vrai de vrai ! Patafion la
Déglingue ! Le Chateaubriand du Lexomil ! Le Molière du
Colt-sur-la-Tempe ! À lire le gaz allumé !
Tenez,
prenez Baudelaire : « Spleen, spleen et re-spleen » !
« L’Ennui » ! « Le Spleen de Paris » ! « Le
Spleen sifflera trois fois » ! « Spleen et
châtiment » ! « Mon Spleen sur la commode » ! Prenez
Cioran : De l’inconvénient d’être
né ! Le titre qui vous saute à la gorge comme un molosse… Lisez
Houellebecq, et allez vous branlotter un peu l’abstinence…
Non,
vraiment, la foirade, c’est une mine d’or. Moi-même, quand la fin du mois
approche, que mes poches sont vides, que Pôle-Emploi commence à venir me
flairer les pompes, qu’est-ce que je me sens artiste ! Dans ces
moments-là, tiens, filez-moi un traitement de texte, je vous ponds À la recherche du temps perdu, le retour !
Ce que je ne fais pas d’ailleurs. Parce que dans le ratage, moi, je suis un
entêté. Un perfectionniste.
Au
fond, tous ces écrivains de la débandade, ces champions du renoncement, ce qui
les distingue de toi, pauvre raté lambda bourré d’anxiolytiques, c’est qu’ils
ont su, eux, donner le coup de pied salutaire au fond de l’eau pour remonter à
la surface ! Ils ont su renoncer au renoncement ! Bartleby, d’accord,
mais Gallimard d’abord ! Eh oui, avant d’écrire sur le néant, il faut se
sortir du néant. C’est une règle de base. Ou avoir une telle capacité
d’abstraction qu’on va être capable, même le ventre vide et la libido en cale
sèche, de se prendre soi-même pour objet, le temps de noircir du papier. Sinon,
mon pauvre, tu auras beau rater ta vie, ça n’en fera pas une réussite !
Tout foirer, c’est un bon début, mais ce n’est pas tout : il y a un
minimum de travail à fournir quand même. Ce serait trop simple, sinon. On
serait tous des Prix Nobel neurasthéniques…
1 commentaire:
Ah ! le meilleur film de Belmondo que je revois toujours avec le plus grand plaisir : Le Magnifique !
Tu vois coco c'est ça la magie ! Les ratés magnifiques qui font tourner les affaires ...
Enregistrer un commentaire