jeudi 20 mars 2014

Le salon


Au Salon du Livre de l’an dernier, j’ai connu trois filles dont je suis devenu l’amant : Agathe, quinze ans, Natacha, dix-sept ans, et Emmanuelle, vingt-deux ans. C’est la seule objection que je suis capable de faire à ceux qui sont convaincus que la littérature ne sert à rien. Certes, ils ont raison, mais moi j’aime ça, ne servir à rien.
Gabriel Matzneff, Calamity Gab

            Comme les agriculteurs, les philatélistes ou les amateurs de boudin, les écrivains ont leur Salon. Ils en ont même plusieurs, un peu partout dans le pays et répartis tout au long de l’année. Le plus connu se tient à Paris, Porte de Versailles, au mois de mars. Mars, le dieu de la Guerre. Les écrivains sont les combattants des Lettres. Des snipers qui vous « one-shottent » en plein dans l’âme. Pan.
            Contrairement au Salon de l’agriculture, du nautisme, au Salon de l’auto ou à celui des amateurs de boudin, le Salon du Livre (notez les majuscules) ne consiste pas uniquement à recevoir un ministre pour lui faire goûter aux produits du terroir et à répondre aux questions d’un journaliste stagiaire de France 3 Bretagne-Pays de Loire. Il y a de ça, bien sûr, mais pas que. Les écrivains mobilisent plus de journalistes, plus de ministres, plus de chaînes de télé, parce qu’on les considère encore un peu comme des élites. Des gens qui ont des choses à dire, et même à écrire.
On les considère encore comme ça par habitude, bien sûr, mais au fond, le Salon du Livre, c’est surtout une vitrine comme une autre. Les idées des écrivains, leurs brillantes analyses du monde comme il va et de la fin du monde comme elle vient, c’est surtout du pain béni pour les débats littéraires « en direct du Salon ». Il y a toujours une cause à défendre quelque part, et toujours une raison de s’indigner si on cherche bien.
Chaque année, au Salon du Livre, un pays est à l’honneur. Cette fois, c’est l’Argentine. Gageons qu’il se trouvera une grande âme parmi nos jeunes auteurs pour briser le silence qui recouvre l’odieux traitement réservé aux kangourous, massacrés pour que vous puissiez porter des slips, messieurs… Ah ! Ce n’est pas au salon de la lingerie (notez l’absence de majuscules) qu’on évoquerait ce scandale !
Comme celui de l’agriculture, le Salon du Livre est une grande foire au bétail où les amateurs de lecture viennent se marcher sur les pieds et se bousculer pour retrouver l’inconfort et la promiscuité dont la perte les avait douloureusement saisis à la sortie du métro (ligne 12). Les connaisseurs vous le diront : au Salon du Livre, si on veut éviter la foule, on n’y va surtout pas le samedi et le dimanche. C’est con : c’était justement sur ces deux jours que tombait votre week-end !
Heureusement, pour ne pas se perdre dans l’immensité du Salon, il y a plusieurs repères immuables. Lorsque vous êtes dehors, les entrées se voient immédiatement : il y a une foule monstrueuse qui bourdonne juste devant. Impossible de se tromper, à moins d’une soudaine épidémie de dysenterie (dans ces cas-là, vous vous trouvez devant les toilettes). Une fois que vous êtes entré dans le hall et que vous avez déboursé dix euros pour obtenir le droit d’aller plus loin, la foule se déploie dans les allées, se regroupant ça et là pour former de nouvelles queues interminables. Vous pouvez dès à présent supposer qu’au bout de la queue se trouve un auteur en train de signer son dernier ouvrage. Oui ! Un véritable auteur, en chair et en os ! Un « vu à la télé » ! Vous pouvez leur parler et même être pris en photo à côté d’eux, mais il ne faut pas leur jeter de nourriture. Regardez bien : si tout au bout de la queue, vous apercevez un chapeau noir qui surplombe celle-ci, ce n’est pas Gérard Majax en train de faire apparaître un lapin, mais Amélie Nothomb en train de ne rien faire apparaître. Elle aussi vous pouvez la prendre en photo, mais sans flash, comme la Joconde.
Au Salon du Livre, l’intérêt n’est évidemment pas les livres. Tous ceux que vous verrez ici, vous pourriez tout aussi bien les commander sur Amazon. Au Salon du Livre, l’intérêt, ce n’est pas non plus vraiment les écrivains, mais plutôt tous ces gens que vous voyez si souvent dans votre poste de télévision, et que vous croisez partout, en train de faire leurs emplettes, ou de se montrer, ou de signer un livre – puisqu’ils ont tous un livre à faire signer. Tiens, Lilian Thuram qui discute avec Alain Finkielkraut ! Tiens, Nabilla qui se fait draguer par Frédéric Beigbeder ! Sans compter l’incontournable mec que tout le monde connaît, mais si, vous savez bien, mais dont vous n’arrivez plus à vous rappeler le nom…
Sinon, c’est quand, le salon des amateurs de boudin ?


2 commentaires:

Pierre Driout fait salon a dit…

En somme on a créé le Salon quand il n'y avait plus de salons littéraires dignes de ce nom dans Paris ?

Ce qui me gêne un peu ce n'est pas le caractère bétaillère pour ces moutons de lecteurs, mais le côté versaillais ... parce qu'enfin les communards doivent se sentir sur leurs gardes au milieu de tout ce beau linge.

Pierre Driout et les anges a dit…

Heureusement Raphaël tu as depuis longtemps passé l'âge d'intéresser Gabriel qui n'est pas un archange !