lundi 10 novembre 2014

The Walking Dead : La série qui réveille les morts (1/2)




Vous les voyez, là dehors. Vous savez que lorsque vous mourrez, vous serez l’un d’entre eux. Vous croyez qu’on se planque pour échapper aux morts-vivants ? Vous ne comprenez pas ? C’est nous, les morts-vivants !
Rick Grimes, Walking Dead t. 4, « Amour et mort »

Bien sûr, il y a True Detective, Fargo, Breaking Bad, Game of Thrones… Bien sûr, il y a eu Six feet under, Les Sopranos, Lost, Deadwood... Autant de séries télé excellentes dont je pourrais vous entretenir longuement, décortiquant telle scène marquante, étudiant à la loupe le fonctionnement du suspense, la psychologie des personnages, l’évolution de l’intrigue… Mais c’est d’une autre série que je veux vous parler.

The Walking Dead est une série à succès. Normal : depuis une dizaine d’années, les zombies sont omniprésents partout : cinéma, télévision, littérature, bande dessinée, jeux vidéo… Mais bizarrement, elle est rarement citée parmi les « bonnes » séries du moment. Je veux dire qu’il y a une liste plus ou moins implicite de séries indéniablement bien écrites, audacieuses, qui ont renouvelé le genre du feuilleton télévisé depuis une vingtaine d’années maintenant, et parmi lesquelles on retrouve celles que je viens de citer, ainsi que The Wire, Homeland, Rome, Real Humans et une poignée d’autres. Et je n’entends jamais parler de The Walking Dead. Sans doute à cause de son aspect gore, de son thème inspiré de la série B… Alors, puisque j’ai un goût immodéré pour les histoires de zombies, je me lance. Il est grand temps que j’assume pleinement mon côté geek. Et je préviens les éventuels fans de la série qui seraient en retard de quelques épisodes ou les curieux qui auraient envie de s’y lancer : il est possible que je vous « spoile », comme il est d’usage de dire…

Zombie or not zombie ?

The Walking Dead n’est d’ailleurs pas la première série télévisée à traiter des morts-vivants. En 2008, une mini-série britannique de cinq épisodes, Dead Set, l’avait précédée. Une épidémie inexpliquée se répandait en Angleterre à une vitesse vertigineuse un soir de prime de l’émission Big Brother. Et seuls les occupants du loft, coupés du monde extérieur, restaient à l’abri de la contamination… pendant un moment, du moins. Mais dès 2003, The Walking Dead a participé, sous forme de comic book, au renouveau du genre zombie survenu en 2002 avec le film 28 jours plus tard, de Danny Boyle – film qui n’est d’ailleurs pas à proprement parler une histoire de zombies, mais d’« infectés ». En 2004, Zack Snyder enfonce le clou en tournant un remake du Dawn of the Dead de Romero (en français : L’Armée des morts), et la même année en Angleterre, Simon Pegg invite le zombie dans le genre de la comédie avec l’excellent Shaun of the Dead.

Au moment même où sortent ces films, donc, le scénariste de bandes dessinées Robert Kirkman s’empare de la figure du zombie pour créer The Walking Dead avec l’aide du dessinateur Tony Moore, remplacé plus tard par Charlie Adlard.

Mais avant d’aller plus loin, mettons-nous d’accord sur ce qu’est un « zombie ». On le sait, le zombie est originaire de la culture vaudou. Il s’agit d’un mort ramené à la vie par sorcellerie, afin de servir d’esclave aux vivants. Si l’on s’attache à cette version du zombie, alors le premier film de zombies de l’histoire du cinéma est White Zombie (1932), avec Bela Lugosi. Mais ce n’est pas de ce genre de zombies que nous parlons. Nous parlons du zombie « moderne », tel qu’il apparaît en 1968 dans le film de George A. Romero, La Nuit des morts-vivants. Le mot « zombie » n’est d’ailleurs pas une seule fois prononcé par les personnages de Romero (de même que les morts-vivants de The Walking Dead ne sont jamais appelés « zombies »). Ce terme s’est imposé de lui-même, par analogie avec le zombie vaudou… pour finir par se substituer à lui.

C’est que Romero n’est pas allé chercher son inspiration dans la tradition haïtienne, mais principalement dans le roman de Richard Matheson, Je suis une légende (I Am Legend, 1954) et dans son adaptation au cinéma par Sidney Salkow sortie dix ans plus tard. Il suffit de revoir ce film pour remarquer à quel point les morts-vivants de Romero ont calqué leur démarche sur celle des vampires de Matheson…

George A. Romero a donc inventé le zombie moderne. Il lui a donné un « look » particulier – celui que vous auriez probablement après être passé de vie à trépas et vous être réveillé dans un état de putréfaction plus ou moins avancé (alors que les vampires ont toujours le teint frais quoiqu’un peu pâlot) – et quelques caractéristiques immuables : a) un penchant inextinguible pour la chair fraîche, celle des vivants évidemment, et quand il y goûte, il les transforme à leur tour en zombie ; b) un seul et unique point faible : il faut viser la tête, b.a.-ba que chaque apprenti survivant se doit d’intégrer le plus tôt possible dans le film ; c) une certaine façon de marcher, immortalisée par l’acteur Bill Hinzman, premier de ces zombies modernes, que l’on voit tituber dans le cimetière, dans les premières minutes de La Nuit des morts-vivants.

Cette façon de marcher n’est pas anodine : on y reviendra. Que Danny Boyle ait décidé de faire courir ses infectés dans 28 jours plus tard, c’est une chose : encore une fois, ce sont des vivants contaminés, par des macchabées ambulants. Mais que Snyder, dans L’Armée des morts (très bon film au demeurant), ait imaginé que les zombies pouvaient courir, c’est une erreur, à mon avis. De l’avis de Romero aussi, d’ailleurs : « Se sont-ils relevés d’entre les morts pour aller s’inscrire immédiatement à un cours de gym ? », demande-t-il dans une interview pour Moviefone… N’importe quel cadavre vous le dira : après la mort, on n’est pas du tout prêt à se taper un sprint ! D’ailleurs, si vous dites à quelqu’un qu’il marche comme un zombie, je ne suis pas sûr qu’il en conclura que vous saluez ses performances à la course.

Dernière petite chose, et pas des moindres, avec le zombie moderne : son apparition est le symptôme de la fin de l’humanité, et de la civilisation telle qu’on l’a connue. À la différence du loup-garou ou du vampire, quand les morts-vivants sortent, ils annoncent une invasion à grande échelle. Dracula fait pâle figure (c’est le cas de le dire) à côté de nos goules romériennes : celles-ci tiennent autant du monstre que du virus hyper balèze, type peste, SIDA ou Ebola… Et d’ailleurs, l’arrivée des zombies est généralement due à un virus échappé d’un labo.

Des morts et des pixels

Il ne faut pas croire qu’en 2003, proposer à un éditeur un comic book sur le thème des zombies allait de soi. Le succès de 28 jours plus tard était en train de remettre les mangeurs de chair fraîche au goût du jour, mais il était encore un peu tôt pour que les éditeurs de bandes dessinées flairent le filon. Certes l’immense succès en 1978 du deuxième film de zombies de Romero, Dawn of the Dead – que l’on connaît en Europe sous le titre Zombie et dans une version charcutée revue et corrigée par Dario Argento – avait réellement donné naissance au genre. Les films de série B se sont succédés, avec leur lot de merveilles et de navets, du zombie-spaghetti ultra gore de Lucio Fulci à des nanards géniaux (et incontournables) comme Le Retour des morts-vivants 2… Mais l’enthousiasme s’était tari au cours des années 90, au cinéma tout au moins. C’est dans le domaine du jeu vidéo que le zombie avait repris du service ! Depuis le tout premier jeu d’Ubisoft, Zombi (1989), qui s’inspirait de Dawn of the Dead, jusqu’à l’inépuisable franchise de Capcom Resident Evil, dont le premier volet sort en 1993.



Il faut dire que le zombie, dans les jeux vidéo, a un aspect pratique. Papa et maman voient d’un œil inquiet Junior s’exciter sur sa manette en tuant des gens à longueur de journée. Remplacez ces gens par des zombies, et tout rentre dans l’ordre. Notez que ça marche aussi avec des nazis. Et s’il s’agit d’un mixe zombie-nazi, Junior peut s’amuser toute la nuit, s’il le souhaite : au moins, il ne dégomme plus tout à fait des « gens ». Souvenez-vous du jeu Carmageddon, sorti en 1997, ce jeu de course qui avait fait scandale parce qu’on pouvait y écraser les piétons sans vergogne… La version allemande du jeu a remplacé les piétons par des zombies, la couleur rouge du sang est devenue verte, et ça n’a plus posé aucun problème. Aujourd’hui encore, vous pouvez gaillardement dézinguer du macchabée à la pelle avec tous vos copains dans Left 4 Dead 2, et personne ne vous en tiendra rigueur. Peut-être même que vous décrocherez un succès pour ça…

Tout ça pour dire que le zombie avait déserté les écrans de cinéma sans tout à fait se faire oublier. En tout cas, ça n’était pas vraiment le genre d’histoire qu’un éditeur de comic book recherchait en 2003, quand Robert Kirkman est allé proposer son projet à Image Comics. D’ailleurs le projet original s’intitulait Dead Planet et reposait sur un scénario de science-fiction dans lequel intervenait une épidémie de zombies. Mais Kirkman change ses plans en cours de route et se lance dans le récit d’une épidémie survenant dans un univers contemporain, avec le projet de suivre un groupe de survivants dans une histoire au long cours. Les premiers fascicules mensuels de The Walking Dead sont lancés dans la plus grande discrétion, mais le succès arrive très vite, et est phénoménal. Le public attendait ça, que les morts viennent dévorer les vivants en BD – et il ne le savait même pas.


À suivre... et la prochaine fois, promis, je rentre dans le vif du sujet.


1 commentaire:

Pierre Driout et les Jeux Juvénaux a dit…

Il faut laisser du gras autour de l'os pour appâter le chaland ! Ne violons pas l'innocence de ces jeux Juvénaux !