jeudi 15 janvier 2015

La caricature


Jean-François Copé ne fit son apparition sur les écrans qu’à 21 heures 50. Hâve, mal rasé, la cravate de travers, il donnait plus que jamais l’impression d’avoir été mis en examen au cours des dernières heures. Avec une douloureuse humilité il convint qu’il s’agissait d’un revers, d’un grave revers, dont il assumait l’entière responsabilité ; il n’alla cependant pas, comme Lionel Jospin en 2002, jusqu’à envisager de se retirer de la vie politique.
Michel Houellebecq, Soumission.

            Au risque de paraître banal, je commencerai par rappeler que l’art de la caricature ne date pas tout à fait d’hier. J’imagine assez bien un homme des cavernes se prendre un pain pour avoir sur la paroi d’une grotte déformé les traits du chef de clan (ceci juste après qu’un petit fayot venant tout juste d’inventer le miroir aura montré audit chef son vrai visage pour qu’il puisse comparer).
            Dans l’Antiquité, Aristophane et Aristote évoquent un peintre du nom de Pauson, dont Aristote nous dit dans sa Poétique : « Polygnote représentait ses modèles en mieux, Pauson en pire et Dionysos à l’identique » On a également retrouvé de nombreux vases ornés de dessins grotesques, de même qu’on en voit sur les murailles de Pompéi et d’Herculanum, ou dans les ruines égyptiennes.
            Au XVIe siècle, dans les ateliers de peintres, les artistes s’amusent à charger (en latin, caricare) leurs portraits, à en grossir et déformer les traits. Les frères Carrache pratiquent beaucoup ce genre de jeux d’atelier avec leurs élèves.
            Au Moyen Âge, la figure humaine est associée à un ordre universel. Les vertus et les vices de l’humanité sont représentés par le Beau et le Laid dans l’art. Autant dire que les peintres, les enlumineurs, les graveurs, les sculpteurs du Moyen Âge s’en donnaient à cœur joie dès qu’il s’agissait de transformer les visages et les corps humains en masse de chairs tordues et bouffonnes !
            Le XVIIIe siècle voit fleurir en Allemagne des caricaturistes aussi talentueux que Franz Xavier Messerschmidt ou Chodowiecki. Au XIXe, c’est Honoré Daumier qui domine, génie indiscutable. Si Charlie Hebdo avait existé à l’époque, il en aurait été. S’il n’avait pas existé, il l’aurait inventé. Il l’a sûrement fait.
            Bon, tout ça, c’était la caricature, les petits dessins – c’était pour rebondir sur le massacre. Quand on fait de la littérature, on n’emploie pas le mot de caricature, mais celui de satire. Ça fait mieux. Le mot vient du latin satura, qui désignait un plat garni d’un mélange de légumes, une sorte de pot-pourri.
            Les écrivains sont des petits cons. Comme les dessinateurs, à ceci près qu’ils ne savent pas dessiner. Alors quand les Cabu et les Charb passaient leur temps au fond de la classe à croquer leur prof de maths ou la fille du proviseur, il y avait à la table d’à côté des Alfred Jarry pour inventer des histoires.
            Comme celles de la caricature, les origines de la satire se perdent dans les limbes. Les Grecs et les Romains, qui veulent toujours être preum’s sur tout, s’en disputaient déjà la paternité. C’était  pas mal de siècles avant le Professeur Choron. Homère, toujours le premier à se faire remarquer, s’est vu attribué le Margitès, une parodie d’épopée affligée d’un héros à peu près bon à rien. Aristote, toujours dans La Poétique, voit dans le Margitès l’influence principale du genre comique. Pourtant, c’est à un esclave affranchi du nom d’Archiloque de Paros que l’on attribue l’invention de la satire. Celui-ci, outré que le père de sa promise annule leur mariage à quelques jours de la cérémonie, écrivit un poème en vers iambiques si virulent que la fiancée et son père n’eurent rien de mieux à faire que de se pendre. On sait depuis quelques jours que le rire tue – visiblement, l’absence d’humour aussi.
            La satire se développe à Rome, chez les auteurs d’une part, qu’il s’agisse d’Horace, de Lucilius ou de Juvénal, d’autre part dans le peuple. Suétone rapporte même, dans sa Vie de César, qu’il était d’usage que les soldats, en escortant le char de leur empereur, chantent des vers satiriques. À propos de la réputation de sodomite que se trimbalait César, ils chantaient notamment :

            César a soumis les Gaules, Nicomède a soumis César :
            Vous voyez aujourd’hui triompher César qui a soumis les Gaules,
            Mais non point Nicomède qui a soumis César.

            Au Moyen Âge, la satire continue à se développer, depuis le Roman de Renart jusqu’aux œuvres de Rabelais ou de Cervantès, en passant par le Décaméron de Boccace. Plus tard viendront La Fontaine, Molière, et bien sûr Voltaire, qui fait un peu pâle figure désormais, lui qui ne s’est même pas fait buter à la Kalaschnikov… À partir de là, elle entre dans les mœurs, la presse satirique, apparue à la Révolution française, se développe au cours du XIXe siècle, et on se demande bien ce qui pourrait, aujourd’hui, nous empêcher de rigoler, si même un commando de djihadistes n’y parvient pas !


6 commentaires:

Pierre Driout le Schpountz grognon a dit…

Tu n'es pas bon à rien tu es mauvais en tout disait Charpin au Schpountz !
...

Ce qui lui permit de triompher au cinéma où l'on fait semblant de tout !

Raphaël Juldé a dit…

Tiens, je pensais que ce serait l'outing de César, qui vous ferait réagir...

Pierre Driout la folle de Chaillot a dit…

Entre folles on est obligé de se soutenir !

FIFI le FOU a dit…

La satire était un moyen détourné pour faire passer des messages ...
L'ennui aujourd'hui, c'est que certains utilisent ou revendiquent ce mode d'expression mais n'ont paradoxalement pas grand chose de pertinent à dire.

Pierre Driout caricaturiste a dit…

Tu as été mmignon Raphaël ? Tu n'as pas assassiné ce week-end les dessinateurs de ton fanzine préféré afin de prendre leur place ?

Pierre Driout a dit…

Mignon avec deux m c'est mimi-mignon !