lundi 31 août 2015

Vers le fantastique, 6

Depuis le début de l’été, je participe à l’atelier d’écriture hebdomadaire que propose François Bon sur son site Le Tiers Livre. Un atelier qui tombait très bien, son thème étant le récit fantastique, juste au moment où, lisant les nouvelles de Richard Matheson et revoyant même des épisodes de La Quatrième dimension, je baignais dans le fantastique.
L’ambition finale de François Bon étant de composer un livre numérique à partir de tous les textes proposés, une consigne a été imposée dès le départ sur l’ensemble des futures contributions : que chacune d’entre elles soit constituée d’un paragraphe unique.

- Atelier n° 6 : juste avant, tout juste.

À l’intuition, on choisit le lieu qui pour soi-même serait susceptible d’induire ce basculement fantastique. (…) Le basculement vers le fantastique (…), on ne le regarde pas, on ne s’en préoccupe pas. On fait seulement confiance au fait que ça guette derrière notre épaule, que c’est cette possibilité de bascule qui nous a fait choisir ce lieu précis, et que c’est lui, ce lieu précis, juste avant la bascule fantastique, qui la rendra crédible quand elle adviendra. Qu’il va donc se charger malgré nous de tout ce que nous ne savons pas encore y voir.


Juste avant, tout juste

Le soleil perce la cime des arbres en froufroutant dans les branches, à moins que ce ne soit le vent. De face comme ça, dans la clarté aveuglante des fins d’après-midi, il a l’air tout à fait capable, le soleil, de remuer les tilleuls qui encerclent le coin des enfants, le séparant nettement du reste du jardin public. Vraiment, c’est dans ses cordes. Du banc sur lequel je suis assis, le front baigné de sueur, j’ai sous les yeux une sorte de petit théâtre, bien délimité. Au centre de la scène, la grande structure vaguement sphérique, rouge vif, qui sert aux enfants de mur d’escalade, et de laquelle ils s’expulsent eux-mêmes dans des gloussements de bonheur par le biais d’un long toboggan jaune. Ils sont une bonne dizaine à grimper là-dessus comme des petits singes, se prenant pour des pirates, des super-héros ou je ne sais quoi, et une poignée aussi à courir autour – « Touché ! C’est toi le loup ! » – alors qu’un peu plus loin, le portique à balançoires et le trébuchet n’intéressent plus personne. Les cris, les rires, les bousculades me confirment une fois de plus que je ne supporte pas les enfants. Sur les bancs qui encadrent la structure et son bac à sable, les adultes sont assis, les parents des petits chérubins. Un couple avec un landau sur le premier banc à gauche, un groupe de quatre femmes sur le deuxième, et je me demande si elles sont toutes mères, ou s’il s’agit d’un groupe d’amies dont une ou deux seulement ont des enfants parmi le tas braillard et désordonné qui ne cesse d’aller et venir autour de la sphère rouge. À droite, je compte encore deux couples, et un homme et deux femmes ont rejoint leur progéniture autour de la structure, pour les encourager, ou les soutenir moralement dans ce moment difficile et un peu humiliant qu’est l’enfance. Et moi qui viens régulièrement sur ce banc, je réalise seulement aujourd’hui que cette structure, dont je ne vois la plupart du temps que le dos, est censée représenter un dragon, dont le toboggan jaune serait, si je comprends bien, les flammes qui sortent de sa gueule.


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