Dimanche 10 janvier 2016.
Ce soir, je vais voir le dernier
Tarantino, The Hateful Eight. Paysage
de neige et de blizzard, huis-clos mortel dans un abri d’étape. Entre le trajet
en diligence, qui est un grand moment tarantinesque, jusqu’au bain de sang
final, on retrouve tout l’art du réalisateur, dans un film qui est une sorte de
quintessence. Il y a Pulp Fiction, Reservoir Dogs, Django
Unchained, dans The Hateful Eight.
Le premier des films de Tarantino que mon père ne verra jamais.
Lundi 11 janvier 2016.
La première chose que j’apprends en
me levant, c’est la mort de David Bowie. Toute la journée, j’ai Space Oddity dans la tête. Space Oddity que l’astronaute Chris Hadfield a joué depuis l’ISS, en
hommage au Major Tom.
Jeudi 14 janvier 2016.
Projection de Blade Runner au Cinéville. Je craignais que le film ait plutôt mal
vieilli, mais je suis agréablement surpris par cette redécouverte. Je sais que
Ridley Scott, dans une récente interview, a répondu à la question que tout le
monde se posait : oui, Rick Deckard est bien un répliquant. Ce qui est une
façon assez étrange de saboter son propre film, puisque tout son intérêt
provient du mystère qui entoure le personnage joué par Harrison Ford. Au fond,
on s’en fout de savoir s’il s’agit d’un humain ou d’un répliquant : ce qui
compte, c’est de pouvoir se poser la question ! Et ce final cut va dans le sens de cette
révélation ultime de Scott, puisque la licorne en origami que l’on découvre à
la fin rappelle le rêve de Deckard et suppose que les blade runners ont eu accès à la mémoire de ce dernier, qui n’est
donc pas un humain. Adieu fin ouverte, adieu spéculations et débats enflammés.
J’ai beaucoup aimé revoir ce film, mais je dois dire que cette façon d’apporter
une réponse définitive à la question m’a quelque peu frustré. Cela dit, voir Blade Runner sur grand écran m’a fait
reconsidérer certaines choses : notamment que le plus troublant, ce n’est
pas le fait que Rutger Hauer se batte en caleçon… mais bien qu’il ait conservé
ses socquettes !
Samedi 27 février 2016.
Je
termine ce soir la lecture de Mars,
de Ben Bova, décidément un très bon roman, qui me paraît assez peu connu, mais
je peux me tromper. On s’attache aux personnages, qui ont un passé, un
« vécu » qu’ils trimballent avec eux jusque sur la planète rouge –
exactement ce qui m’avait manqué dans le roman d’Andy Weir, Seul sur Mars. Ce qui est très
intéressant, c’est que l’auteur décrit une mission martienne parfaitement
crédible, et qu’à chaque fois que le récit pourrait sombrer dans la
science-fiction, il s’en échappe de manière très intelligente. Le roman, paru
en 1992, situe son histoire en 2020, sans pour autant décrire une technologie
sensiblement plus avancée que celle de son époque. Le lire aujourd’hui, alors
qu’il est de plus en plus question d’envoyer des hommes sur Mars – même si ce
n’est pas pour tout de suite – permet d’entrevoir les difficultés de
l’entreprise. Pourtant, une grande partie de ces difficultés est passée sous
silence, ou évoquée très rapidement, dans le roman : il s’agit du trajet vers Mars, puisqu’il faut compter
entre six et neuf mois de voyage rien que pour l’aller…
J’ai
surtout apprécié cette volonté de raconter des faits réalistes, d’échapper au
fantastique – sans pour autant raconter une histoire sans enjeu. L’auteur s’en
amuse d’ailleurs, puisque lorsque la majorité des membres d’équipage tombe
soudainement malade, tous s’imaginent avoir attrapé un virus qui n’appartient
qu’à Mars – et la véritable cause de cette épidémie s’avèrera beaucoup plus
prosaïque, beaucoup plus terrienne
qu’ils n’auraient pu l’envisager…
Lundi 29 février 2016.
Moi
et mes « cycles »… Quand je commence à lire un ouvrage sur la guerre,
je suis à peu près sûr de ne plus lire que ce genre de récits pendant des
semaines. Depuis un moment, c’était l’astronomie et l’astrophysique qui me passionnaient.
Et maintenant, je sens que je me suis engagé dans des histoires de
survivalisme : après avoir lu un petit livre de Charlie Buffet consacré à
Alexander Selkirk – l’homme qui a inspiré à Daniel Defoe son Robinson Crusoé – me voilà dans l’Odyssée de l’Endurance, racontée par son
capitaine, sir Ernest Shackleton. Parallèlement à quoi je regarde la série Lost, que jusqu’à présent, je n’avais
encore jamais vue jusqu’au bout.
Vendredi 18 mars 2016.
Étrange
comme j’ai pu me désintéresser de Lost
après la deuxième saison, la première fois que j’avais regardé cette série,
alors qu’elle est vraiment parfaite de bout en bout. Étrange, mais ça
s’explique malgré tout très bien : Lost
est une série face à laquelle le spectateur doit accepter de se sentir lui-même
« perdu », et pendant un long moment. Non seulement, il faut accepter
de ne pas comprendre ce qui se passe sur cette île (qui sont les
« Autres » ? qu’est-ce que c’est que cette fumée noire, ces
chiffres à entrer dans un ordinateur toutes les 108 minutes, ces abris
souterrains…), mais il faut également accepter de ne plus reconnaître les
personnages que l’on suivait depuis le début. Jack Shephard, qui est le premier
survivant que l’on voit ouvrir les yeux sur l’île, est associé dès le début au
héros, au leader : il est l’homme qui va réussir à sauver tout le monde,
celui qui saura quoi faire… Sauf que ce n’est pas du tout ça. Il m’était devenu
parfaitement insupportable au cours de la deuxième saison, quand j’avais vu
cette série à l’époque de sa première diffusion, parce qu’il se montre soudain
arrogant, aveugle face aux aspects surnaturels de l’île, et que ses décisions,
toujours prises de façon péremptoire, provoquent des catastrophes. C’est qu’en
fait de héros, Jack est un personnage animé par le désir de
« réparer » les choses, il souffre d’une sorte de complexe de l’homme
providentiel, un complexe du héros,
justement – et John Locke est un double parfait de Jack, leur seule différence,
mais elle est de taille, étant que l’un veut quitter l’île, alors que l’autre
veut y rester. C’est la grande force de Lost
d’interroger cette figure du sauveur et l’orgueil démesuré qu’il faut pour
prétendre être celui qui règlera la situation. Jack Shephard finira par se
sacrifier pour permettre aux autres de s’en tirer, mais surtout pour racheter
les erreurs que son hybris a
provoquées. Et bien entendu, c’est Hurley, le personnage le plus humble, le
plus éloigné du désir d’héroïsme, qui sera l’élu, celui qui remplacera Jacob au
poste de gardien de l’île. Tout est extrêmement cohérent dans Lost, rien n’est dû au hasard, pas même
ce qui m’avait agacé au premier visionnage. Il faut simplement être patient, ne
pas s’attendre à ce que les mystères s’éclaircissent en quelques épisodes.
Il
me semble que beaucoup de « fans » de Lost ont été déçus par la fin de la série – peut-être parce que
c’est le propre du fan que d’être déçu. Pourtant, cette fin est magnifique, et
elle a le mérite de tout éclaircir sans décevoir les attentes. La fin de Lost montre bien que toute l’intrigue
était maîtrisée de bout en bout, que le réalisateur ne s’est pas retrouvé à
devoir improviser sans savoir où il allait, comme des mauvaises langues ont pu
le laisser entendre (et comme j’en avais eu l’impression, moi, au cours de la
saison deux).
Mardi 29 mars 2016.
C’est
quoi, cette fois ? Un cycle « fiction » ? Je crois que
pendant un moment, je ne vais plus pouvoir lire autre chose que cela. Après un
roman préhistorique, premier tome décevant d’une saga, me voilà dans le premier
tome des Rois maudits. Il y avait un
moment que je tournais autour de cette saga historique, m’attendant à trouver
le style vieillot… Et voilà que je suis emporté, séduit, et que le seul regret
que j’éprouve à cette lecture, c’est que les tomes ne soient pas plus
volumineux…
Mercredi 13 avril 2016.
Je
me lance dans la lecture de La Reine
étranglée, le deuxième tome des Rois
maudits de Druon, puisque j’ai terminé La
Vallée des chevaux, de Jean Auel. Un roman préhistorique très décevant, il
faut bien le dire, et le style de l’auteur y est pour beaucoup. Jean Auel
semble croire qu’elle a besoin de rappeler quinze fois à son lecteur ce qui s’est
passé précédemment et de lui décrire chacune des réflexions par lesquelles
passent ses personnages, même lorsqu’elles sont évidentes – et tout le plaisir
qu’il pourrait y avoir pour le lecteur à comprendre de lui-même pourquoi les
personnages agissent comme ils le font est donc aboli. On se sent constamment
pris pour un idiot à qui il faut tout expliquer, et par ailleurs la perfection
des personnages principaux – l’héroïne est tout simplement la plus belle femme
imaginable, et son compagnon l’amant le plus parfait – donne l’impression de
lire un roman à l’eau de rose. Décidément, si je veux lire une saga
préhistorique, je pense que j’irai chercher plutôt du côté de Pierre Pelot…
Dimanche 17 avril 2016.
C’est
comme plonger une petite cuiller dans un pot de Nutella pour en engloutir
quelques grammes en loucedé et s’apercevoir au bout d’un moment qu’on a fini le
pot. J’étais là, ayant terminé le deuxième tome des Rois maudits et ne possédant pas le troisième, à me demander ce que
j’allais bien pouvoir lire maintenant. Or, depuis quelques jours, je me suis
mis à relire des pages du Trône de Fer,
avec l’intention d’écrire un article sur le sujet, à l’occasion de la diffusion
de la sixième saison de Game of Thrones.
Et voilà que, poursuivant ma lecture, je me suis rendu compte que c’était bien
ça : mais oui, je suis en train de relire Le Trône de Fer. Ni plus ni moins.
Lundi 2 mai 2016.
Alors
que j’achète la revue Guerres &
Histoire dont la couverture montre une photo de Winston Churchill, le
patron de la maison de la presse me dit qu’il a justement une anecdote sur Churchill.
Celui-ci, qui avait la réputation d’être radin, tombe nez à nez avec un employé
à la sortie de son hôtel particulier. Comme celui-ci tend la main, Churchill
s’en étonne et le garçon explique que son fils a pour habitude de donner un
pourboire à tous les employés de l’hôtel. Ce à quoi Churchill réplique :
« Mon fils a un père riche ; pas moi. » Et voilà que j’ai un
marchand de journaux féru d’anecdotes historiques…
Vendredi 20 mai 2016.
Ce
soir, je vais voir Ma loute, le
dernier Dumont, au cinéma. Excellent Dumont, qui invente un nouveau genre du
cinéma, bien loin de la « comédie » à la française. Bruno Dumont
figure, avec Alexandre Astier, le renouveau de la comédie, une comédie qui n’a pas
peur de pactiser avec le drame, de montrer des morts, de la violence… Et Dumont
qui, avec ses premiers films, était allé très loin dans la noirceur, démontre
parfaitement que la noirceur n’est pas exempte de ridicule, de burlesque. Avec
la trame scénaristique de Ma loute,
qui montre une famille de pêcheurs du Nord qui pratique l’anthropophagie, il
aurait très bien pu faire un film aussi noir que L’Humanité ou Hors Satan
– mais il fait tout autre chose, prenant le parti de l’outrance et du
grotesque… et c’est une outrance qu’il va être très intéressant de voir se
développer dans ses prochains films.
Dimanche 29 mai 2016.
À
Verdun, la commémoration du centenaire est une merveille de festivisme, qui
aurait ravi Philippe Muray. L’annonce du concert de Black M avait provoqué une
indignation qui a abouti à l’annulation du spectacle, mais finalement, le
rappeur aurait été à sa place dans cette monstruosité. Le cinéaste Volker
Schlöndorff a réalisé une mise en scène digne d’un spectacle de fin d’année
d’école primaire, faisant courir trois mille jeunes français et allemands
autour des tombes de la nécropole de Douaumont, piétinant littéralement les tombes pour se faire face et se lancer
dans une chorégraphie ridicule sous les bruits de casserole des Tambours du Bronx.
Je ne sais pas ce qu’ils nous concoctent pour commémorer la bataille de la
Somme : un match de foot Angleterre-Allemagne au pied du mémorial de
Thiepval ? Et pourquoi pas un méchoui géant à Oradour-sur-Glane ?
Mardi 7 juin 2016.
Une
preuve que me titille à nouveau l’envie d’écrire, d’écrire plus, d’écrire sans
plus me trouver d’excuses pour me tenir éloigné de ma table de travail, c’est
que je me suis mis à la recherche d’ateliers d’écriture sur YouTube, après
avoir regardé quelques « vlogs » de François Bon. Je tombe sur la
chaîne d’une sorte de coach littéraire,
qui vend ses services et dont la chaîne sert avant tout de vitrine à son cours
qui a l’air intensif. Selon lui, la quantité vaut mieux que la qualité, il
propose d’écrire un roman en cent jours, ou une nouvelle par semaine pendant un
an, ce genre de choses… Il y a encore peu de temps, cette façon de voir
m’aurait fait bondir, et il n’est pas dit qu’après réflexion, elle ne me fasse
pas de nouveau bondir un jour – mais il y a tout de même quelque chose
d’intéressant dans cette idée : écrire sans cesse, écrire en quantité,
c’est se donner la possibilité de l’échec. Si j’écris une nouvelle par semaine
pendant un an (je ne le ferai pas, mais mettons), je n’aurai pas cinquante-deux
chefs d’œuvre, mais je n’aurai pas non plus cinquante-deux textes ratés. Je
l’ai bien vu, du reste, avec la Bibliothèque
de Jupiter… Là où ses conseils me semblent judicieux, c’est qu’il met le
doigt sur les « excuses » que tous les auteurs en herbe
s’inventent : écrire prend du temps, il faut que les idées mûrissent, etc.
Lui prône la rapidité d’exécution pour une bonne raison : si vous passez
trois ans, quatre ans, sur un manuscrit, pour finalement renoncer à le mener à
terme, ou vous apercevoir qu’il est raté, c’est terrible : vous avez perdu
trois ou quatre ans dans une entreprise inutile. Si vous avez planifié d’écrire
un roman en cent jours (ou même en deux cents jours) pour vous apercevoir en
cours de route que vous n’irez pas jusqu’au bout, ou pour découvrir après avoir
écrit le mot fin que c’est un roman
raté, c’est beaucoup moins grave : vous n’avez perdu qu’une centaine de
jours, et vous pouvez repartir sur autre chose. Surtout, le gars met l’accent
sur un défaut qui ne m’est pas étranger, loin de là : celui de considérer
le roman qu’on écrit comme l’Œuvre d’une vie, comme s’il fallait que ce soit le
seul message que nous laisserons aux générations futures… Je commence peu à peu
à me soigner de ce défaut là, et à mettre une minuscule à littérature.
Dimanche 12 juin 2016.
Il
y a les spin-off réussis (Better call
Saul est admirable, c’est une série à part entière qu’on ne peut absolument
pas taxer de Breaking Bad au rabais),
et les spin-off ratés, qui ne font que ressasser, en moins bien, les éléments
qu’on trouvait déjà dans la série-mère. C’est le cas de Fear the Walking Dead, que j’aurais aimé aimer, vraiment, mais qui
ne fait rien pour m’aider dans ce sens. Certains personnages agissent de façon
totalement incohérente, et ne sont pas suffisamment intéressants pour qu’on ait
envie de comprendre leurs intentions. Dans The
Walking Dead, les agissements de Shane ou du Gouverneur avaient leur raison
d’être. Ici, le personnage de Chris est tout simplement incompréhensible, et le
pire c’est qu’on se fout éperdument des raisons qui le poussent à agir comme il
le fait, parce que l’acteur est insipide. Quant au personnage de Celia, il
n’est qu’une copie de celui d’Herschel, qui conservait des morts-vivants dans
sa grange parce qu’il pensait qu’ils guériraient un jour. Celia, elle, les
conserve parce qu’elle voit en eux l’avenir, la vie éternelle promise par la
Bible. La nuance est faiblarde, pas suffisante en tout cas pour masquer le
manque d’imagination… Autre grief, et pas des moindres : ce spin-off est
censé se dérouler au tout début de l’épidémie, pendant la période où Rick
Grimes est dans le coma. Or, dans cette deuxième saison, on a le sentiment que
certains personnages ont l’habitude des zombies comme s’ils les côtoyaient
depuis dix ans, alors que d’autres en sont encore à se demander ce qu’il se
passe. À chaque épisode, ma suspension volontaire d’incrédulité se rebiffe et
cogne au plafond en criant : « C’est pas bientôt fini,
c’bordel ? »
Mardi 14 juin 2016.
Je
regarde de temps à autres des épisodes de la Quatrième dimension, dont je possède l’intégrale en DVD. Il faut le
dire, beaucoup de ces épisodes ont assez mal vieilli, et leurs scénarios, qui
pouvaient paraître très originaux à l’époque, semblent maintenant cousus de fil
blanc. Et puis, parfois, il y a des perles, comme l’épisode de ce soir, signé
Richard Matheson, et intitulé The
Invaders. Un épisode presque entièrement dénué de dialogues, où Agnes
Moorehead interprète une femme vivant dans une maison isolée, et que l’arrivée
d’une soucoupe volante minuscule plonge dans la terreur.
Vendredi 24 juin 2016.
Il
est tout de même amusant de songer que moi qui n’ai jamais rien compris aux
mathématiques, moi que les sciences physiques ont toujours fait bâiller, je me
passionne de plus en plus pour l’astronomie, au point de lire régulièrement la
revue Ciel et espace, de suivre sur
YouTube des conférences d’Étienne Klein ou de Roland Lehoucq et d’être plongé,
actuellement, dans le livre de Christophe Galfard, L’Univers à portée de main… Une lecture qui m’a permis, d’ailleurs,
de me rendre compte que j’avais beaucoup moins de mal à me représenter
l’infiniment grand que l’infiniment petit. Les trous noirs, les nébuleuses et
le fond diffus cosmologique me sont moins difficiles à concevoir que les
particules et les quarks.
Cet intérêt
n’est pas nouveau : j’ai toujours levé le nez en l’air, l’espace m’a
toujours intéressé, mais il y a encore peu de temps, les questions de matière
noire et d’énergie sombre, par exemple, m’étaient parfaitement étrangères. Ceci
dit, je ne me sens pas forcément plus savant aujourd’hui, mais ce qui me
rassure, c’est de savoir que les chercheurs non plus ne savent pas ce que c’est,
cette matière noire et cette énergie sombre. Ça fait du bien de pouvoir se
sentir aussi ignorant qu’un savant !
Vendredi 1er juillet 2016.
En
lisant les articles d’Emmanuel Carrère dans Il
est avantageux d’avoir où aller, notamment celui sur Alan Turing, je
m’interroge sur ces coïncidences qui vous font lire un auteur juste au bon
moment, parce qu’il évoque quelque chose qui, justement, vous préoccupe. J’ai
l’habitude qu’Emmanuel Carrère parle de personnages ou de sensations qui me
sont familiers, ou qui trouvent en moi une résonance particulière. C’est le cas
de Jean-Claude Romand et de l’imposture qu’aura été toute sa vie, par exemple,
ou de son intérêt pour Philip K. Dick (plus que Dick lui-même, d’ailleurs, que
je n’ai pour ainsi dire pas lu) et pour le film L’Invasion des profanateurs de sépulture et ce curieux – et
terrifiant – sentiment que donne le film que « quelque chose ne va
pas », que les gens ont changé, mais qu’on ne sait pas définir en quoi ils ont changé. Mais cet article
sur Turing, il y a encore quelques mois, ne m’aurait pas intéressé le moins du
monde. Or, depuis que j’ai la tête farcie d’astrophysique et de monde quantique
– même si je n’y comprends rien – une phrase comme : « Cette prétention hautaine à dire, sinon toute la vérité, du
moins rien que la vérité, risquait fort de souffrir en un temps où la science
lançait à l’assaut du déterminisme laplacien des chimères aussi inquiétantes
que des chats à la fois vivants et morts, des photons suivant deux trajets
distincts sans se scinder et des phénomènes n’existant que s’il y a quelqu’un
pour les observer », me fait l’effet d’un clin d’œil, d’un sourire de
connivence… niché dans un texte daté de 1995 !
Dimanche 3 juillet 2016.
Pendant
que la France élimine l’Islande des quarts de finale de la Coupe d’Europe et se
qualifie pour la demie, je revois ce soir Retour
à Kotelnitch, le film d’Emmanuel Carrère qui, étrangement, ne m’avait pas
vraiment marqué la première fois que je l’avais regardé. Aiguillé par les
articles où il évoque ses différents séjours à Kotelnitch, je voulais revoir
deux choses. D’abord, le documentaire – contenu dans les bonus du DVD – qu’il
avait consacré à András Toma, ce soldat hongrois qui, fait prisonnier en 1944,
a passé cinquante-cinq ans, oublié de tous, dans un asile psychiatrique russe,
avant d’être retrouvé par hasard et renvoyé dans son village natal. Moi qui
suis travaillé par la question de la disparition sous toutes ses formes, et la
folie en est une, si tant est que cet homme ait été réellement fou (ce qui
n’est sans doute pas le cas), cette histoire ne peut que m’intéresser. Le
retour, après plus d’un demi siècle, d’un homme disparu, que personne
n’attendait plus… Mais est-il vraiment revenu ? Par son hébétude, par sa
difficulté à reconnaître ces gens qui essaient de lui rappeler des choses du
passé, il continue à être absent, hors du monde, à n’être qu’un corps… Évidemment,
cette histoire me rappelle aussi celle de Hirō Onoda, le soldat japonais qui a
poursuivi la guerre du Pacifique, tout seul, pendant trente ans…
Et,
bien sûr, je voulais revoir ce film, Retour
à Kotelnitch, et comprendre pourquoi son premier visionnage m’avait laissé
froid. C’est un film lent, c’est vrai, et un film qui se cherche. Ou plus
exactement, c’est l’histoire d’un réalisateur qui cherche un sujet de film – un
film qui montre le film qui se cherche. Une technique « à la Emmanuel
Carrère », évidemment. Peut-être que cette lenteur, cette recherche,
avaient eu raison de moi la première fois. Au contraire, cette fois, je suis
totalement conquis. Comme dans ses romans, Carrère filme le moindre de ses
scrupules, ses atermoiements, dit ce qu’il aurait voulu filmer, ce que le film
aurait pu être, ce qu’il ne sera pas, parce qu’à partir du moment où la
tragédie s’en mêle, le meurtre particulièrement sordide d’Ania et de son
enfant, le film ne peut plus parler d’autre chose. Et que cet ultime retour à
Kotelnitch, pour commémorer le quarantième jour qui suit la mort d’Ania, donne
soudain un sens à tout ce qui a été filmé auparavant. Comme si le film en
lui-même s’était chargé de trouver son sujet, et qu’il n’avait pu le faire
qu’au prix de la mort de cette jeune femme souriante, qui chantait, jouait de
la guitare, apprenait le français, et de son enfant.
Voilà
donc pourquoi je n’ai pas regardé France-Islande.
Mardi 12 juillet 2016.
« Publier était, et est toujours pour
moi, un peu comme de se risquer à faire un faux pas dans le vide. Si jamais
j’en venais à voir un jour mon roman publié, j’en souffrirais comme d’un
outrage, d’une humiliation, un peu comme si je me déshabillais devant quelque
commission médicale militaire en uniforme. »
Je
lis les Suicides exemplaires
d’Enrique Vila-Matas. Et comme toujours, moi qui continue, à l’aube de mes
quarante ans, à me débattre avec mon Bartleby intérieur, je suis frappé par
cette œuvre qui ne cesse d’explorer la question de la disparition, de
l’effacement, du renoncement – et dont l’auteur a toujours été actif,
prolifique, bien présent… Moi aussi, j’écris sur la disparition, l’absence à
soi, l’échec, mais c’est parce que je suis réellement
en conflit permanent avec ce désir d’écrire et d’être lu, reconnu en tant
qu’auteur, et cette peur de la réussite qui m’obligerait à sortir de mon
isolement. Il faut parvenir à quitter cet état, à poser son moi inadapté, veule
et décourageux, devant soi pour l’étudier, le décrire et publier ces
observations. On ne peut écrire sur sa maladie qu’en étant guéri – ou tout au
moins en rémission…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire