mercredi 14 janvier 2009

Le bal des pleutres


Non, je n'ai jamais été amoureux, jamais. Je ne l'ai jamais été. Tu comprends, Bérénice, ça ne m'est jamais arrivé. J'ai d'autres chats à fouetter, moi, que de tomber amoureux. Jamais. Je ne connais pas. Jamais entendu parler. Tu m'emmerdes avec tes anges. Il n'y a rien de plus obscène que les sentiments. Toutes ces paroles. Que l'ombre d'un ange, un jour, s'approche de toi, alors que tu fais consciencieusement ton travail de pute, les pattes écartées, comme toutes les salopes de cette planète pourrie, les mères, les soeurs, les fiancées, baisées, bourrées, enfilées, défoncées, démolies, haletantes, toujours à essayer de prolonger en jouissant le cauchemar de la vie, comme si ça ne suffisait pas comme ça, mais non, encore, encore, haletantes, trempées, tournées, retournées, malaxées, concassées, habillées, déshabillées, en hiver, en été, toujours dans des chambres étouffantes, gigotant, sautant, hurlant, bavant, oh oui que l'ombre d'un ange, par n'importe quel temps, s'approche, dans le silence absolu, et décrète la fin de cette mascarade. Car la vie n'est pas douce, et elle n'est pas bonne, contrairement à ce qu'on essaie de nous faire croire un peu partout. Pas de raisins dans la vigne, pas de figue au figuier. Les feuilles sont flétries, les eaux empoisonnées. La création est ratée, Solange le disait souvent, et les grandes villes sont des repaires de chacals, maintenant : une sale brume recouvre tout, lentement.

(Jean-Pierre Martinet, Jérôme)



Vous êtes une plaie purulente. Un "écorché vif", comme disent gentiment ceux que rien n'écorche. Et vous, d'ailleurs, il ressemble à quoi, le fer planté dans votre chair de poule ? A rien, si vous y réfléchissez cinq minutes. Où sont-elles, les déchirures, dans votre passé d'huître cloisonnée, claquemurée, bien à l'abri de tout ?...

Vous êtes une vieille douleur qui n'a pas de nom, qui ne s'est greffée sur votre ventre d'obèse précoce que parce que vous avez toujours eu soin de ne prendre aucun risque. Ne pas s'engager, ne pas décider, ne pas sortir de chez soi. Surtout, ne pas tomber amoureux. Tout sauf ce cancer. En faisant cette erreur, vous risqueriez de souffrir. Vous souffrez déjà trop d'avoir passé votre vie à fuir toute souffrance pour vous imposer celle-là en plus. Ce serait malheureux, si près du but - du ratage complet... De toute façon, vous ne supportez pas qu'on vous touche. Vous tendez des bras comme des branches mortes en direction des quelques êtres vivants qui passent encore à votre portée, rêvant parfois d'agripper le mollet d'une fugitive adolescente. Vous sentez confusément que c'est la seule chose qui vous manque pour exister. En approcher une, rien qu'une fois, sentir sa peau brûlante contre votre viande froide, son souffle chaud rampant contre votre oreille, disparaissant couleuvre derrière votre nuque... Toucher la réalité. Mais vous ne le ferez pas, vous contentant de rêver. Vos rêves, c'est tout ce que vous avez réussi, dans votre vie. C'est là que vous êtes puissant, décidé, que vous avez du répondant, un vrai caractère, du charme et de l'humour - vous êtes presque beau, tout seul dans votre chambre, faisant cracher votre os inutile... Priape eunuque.

Vous vous dites chaque soir que demain vous renouerez avec le monde. Au fond, il n'a pas l'air si abject, à travers les rideaux. Vous pourriez presque parler à des gens, dans la rue en bas. Chercher du travail. Aborder une fille. Mais bien sûr, vous resterez là, puceau frigide, à regarder la pluie tomber et vos voisins se jeter par la fenêtre. Parce qu'au fond, vous savez bien que vous n'êtes qu'un lâche. Un pleutre. Une poule mouillée. Vous êtes tellement mieux dans vos rêves - là, au moins, vous vous quittez quand vous voulez.




Alors, vous ouvrez un livre de Martinet. Ils sont tous comme vous, dans les livres de Martinet. Voyez comme les premières lignes de Jérôme réchauffent déjà ce vieux caillou oxydé que vous nommez votre âme : "Solange me répétait souvent, ces derniers temps, comme à peu près chaque année à la mi-avril, qu'il allait falloir bientôt se méfier de la douceur de l'air. Surtout ne pas s'abandonner, ne pas se laisser aller à la nostalgie de l'amour et des caresses, car alors on est foutu." Il y a longtemps que vous le savez : un grand écrivain, c'est quelqu'un qui me parle de moi. Vous n'êtes plus seul, avec ce monstre de Jérôme Bauche - les souffrants parlent aux souffrants. Vous pouvez remettre à une date ultérieure votre désertion définitive de la vie : une main s'est posée sur votre épaule.

Une main froide.

Mais une main.

Jérôme Bauche, cet ogre castré, montagne d'angoisse et de haine jetée sur les routes comme une épidémie de peste, c'est vous ! Sa fuite en avant vous venge de ces années de honte à vous terrer sous vos couvertures pour ne pas affronter le monde. Vivre est une humiliation. Vous qui avez pris soin de vivre le moins possible, de ne pas trop vous frotter à cette plaisanterie qui ne vous a jamais fait rire, ce n'est pas pour rien qu'on vous surnomme Bartleby ! Surtout, rester dans l'ombre, celle des forêts. Se faire rat. Disparaître dans les fissures. Inexister.

Ne pas.



Enfoncez-vous plus loin encore dans l'Ombre des Forêts, écoutez l'histoire déso(pi)lante de Monsieur et de Rose Poussière : "Aucune douce lumière. Ni atroce blancheur de ciel. Se coudre les paupières, avec du fil de fer, comme on faisait autrefois aux éperviers sauvages. Ne plus supporter cette saloperie qui me nargue, et continue à me cracher à la figure son immonde lumière jaunâtre, épaisse, gluante, du pus." Tous ces corps qui se frôlent, se regardent de loin, s'observent, hésitent, ne se rencontrent jamais - Céleste, Monsieur, Edwina Steiner, dite Rose Poussière, que la moindre goutte de pluie pourrait désintégrer. Quand les corps se rencontrent, c'est un viol, c'est un meurtre, un chien jaune battu à mort - nulle douceur, ou très furtive, irréelle. Un moment fugace qu'on recherche ensuite éternellement sans jamais le retrouver. "Car le spectacle n'était pas permanent. Et à la fin, il avait bien fallu partir. Rentrer chez soi, l'abrutissement simple, les jours."

Même les nuits ne sont pas reposantes. Le sommeil est encore de la peur qui remonte à la surface, comme un poisson mort au ventre gonflé de chagrin, grouillant. "Ils veulent tous affirmer qu'ils sont vivants, mais pas un seul n'est capable d'en apporter la preuve. Résultat : même l'éternité pourrit. Le silence est contaminé."

Vous ne vous voyez même plus dans les miroirs. Regard fuyant, toujours. Vous ne savez plus très bien ce que vous avez perdu, mais vous l'avez perdu à l'heure de votre naissance. Un cordon, peut-être ? Pour vous pendre, alors. Georges Maman, l'acteur raté qui n'en mène pas large, c'est dans son frigo qu'il l'a trouvé, son point final. Toute une vie à chercher à s'échapper de soi-même, quitter le navire avec les rats... Le naufrage des autres ne vous console pas de sombrer. Vous vous sentez moins seul, c'est tout. Et c'est déjà énorme. Vous vous sentez compris. Sauver sa peau ? Quelle peau ?

Jean-Pierre Martinet, qui prend parfois des accents céliniens, sait bien ce qu'il en est, de ces dégringolades. On se lance dans la course avec un souffle au coeur, les pieds entravés. Comment voulez-vous y arriver ? La conscience, cette merde... Vous passez votre vie à vous chercher, pour comprendre à la fin qu'il n'y avait rien à trouver. L'héroïsme, c'est peut-être ça : le savoir d'avance, et continuer. Pour voir. "On naît larve, entre le caca et l'urine, on repart crabe baveux, à reculons, quelques pattes en moins. Mais on aura tenu le coup. La fierté, justement, c'est de boucler la boucle."


Jean-Pierre MARTINET (1944-1993) enfin réédité :

La grande vie, L'Arbre vengeur, 2006.
Nuits bleues, calmes bières, Finitude, 2006.
Jérôme, Finitude, 2008.
Ceux qui n'en mènent pas large, Le Dilettante, 2008.
L'Ombre des Forêts, La Petite Vermillon, 2008.

jeudi 7 août 2008

Ma cérémonie d'ouverture (rediff d'été)


[Peu de gens se souviennent que durant ma carrière déjà courte, j'ai été commentateur sportif. A l'occasion de l'ouverture des J.O. de Pékin - tous ces beaux athlètes arrivant à pied par la Chine -, je ne résiste pas à l'envie de rééditer mon compte-rendu d'une autre cérémonie : celle qui a eu lieu à Athènes il y a quatre ans. Ne serait-ce que pour permettre au lecteur de comparer les deux. Gérard Holtz a-t-il enfin compris le principe des dates avant Jésus-Christ ? Quelle est la capitale du Zimbabwé ? Robert Meynard portera-t-il la flamme olympique ? Le Dalaï-Lama est-il nu sous sa robe ? Ce n'est pas en lisant ce texte que vous le saurez, mais en regardant France 2 (vive le sport sur) demain soir. Et qui sera éliminé à Koh Lanta ? Que de mystères, mon Dieu...

Pour les nostalgiques du sirtaki, voici l'adresse où vous pourrez retrouver les quelques chefs-d'oeuvre que les jeux d'Athènes nous inspirèrent, à moi et à quelques affidés : http://palindrome.hautetfort.com/archives/category/il_est_temps_de_rend.html ]


N’aimant pas la moussaka, et encore moins la foule, j’ai préféré rentrer au bungalow pour regarder la cérémonie tranquille. Déjà, ça a commencé beaucoup trop tôt. Je m’installais confortablement à vingt heures devant mon téléviseur pour prendre ma ration quotidienne de désinformation sur France 2, et voilà que nous étions déjà en Grèce, avec un écran bleu comme une rupture de faisceaux. « Vive l’amour ! Vive l’amour ! », disait Gérard Holtz devant un couple de patineurs artistiques censés représenter Eros. Quand on entend Gérard Holtz parler de l’Antiquité, on sait déjà qu’il s’agit de sport. « On remonte l’Histoire : nous étions en 2000 avant J.-C., nous voilà en l’an 1000. » Mais alors, mon petit Gégé, si c’est le cas, on ne la remonte pas, l’Histoire ! Non, non, je t’assure : on va dans le bon sens… Des guerriers aux torses nus et peints en blanc comme des statues de marbre viennent de passer : je vais me faire cuire une omelette. De quatre œufs.


J’ai encore laissé cuire trop longtemps mon entrecôte « cordon bleu » (on est célibataire ou on ne l’est pas), mais pour l’omelette ça devrait aller. Trop salée, peut-être. Il se passe des choses très, très intéressantes, parmi les plus pointues qui soient en matière de cérémonies d’ouvertures, mais je ne sais pas prendre de notes en mangeant. Vous ne saurez donc rien du petit « jeu des capitales » lancé par les deux commentateurs, mon petit Gégé demandant, à chaque fois que les représentants d’un pays entrent sur le stade de Maroussi, quelle est la capitale de ce pays, et son compère Jean-Paul Ollivier enchaînant en ajoutant quelques anecdotes faussement inintéressantes (je suppose) sur cette capitale.


J’ai mangé plutôt vite : j’ai fini mon assiette avant qu’arrive la Guinée-Bissau, suivie du Danemark. Moi aussi je vise une performance, ce soir : je dois informer mes lecteurs, au risque de manger trop vite et d’avoir une digestion difficile. Mais je dois aussi laver ma vaisselle. Je laisse mes plats sécher tous seuls, pas le temps de les essuyer, je dois suivre cette cérémonie pour vous livrer mes réactions à chaud. Je dois aussi sortir mes poubelles. Mon petit Gégé s’interroge sur la capitale du Kazakhstan. Plein de choses parmi les plus pointues qui soient, je ne vous ai pas menti. Je reviens juste à l’instant où le Tibet fait son entrée. Lui, pourtant, n’était pas descendu au local poubelle, sinon nous nous serions croisés. Sur TF1, au même moment, les Mogo et les Chapera s’inquiètent beaucoup de la réunification et surtout de la présence d’un certain Guillaume. Je ne donne pas cher de sa tête au prochain conseil. Cette cérémonie d’ouverture est vraiment passionnante.


Je passe sur Canal +, parce que les J.O., ce n’est pas seulement France Télévisions. Ce serait une erreur de le croire. Stéphane Bern salue l’apparition de la Corée. Ils ont l’air de rigoler beaucoup plus sur Canal. Canal + de potes ! Je n’ai pas envie de rigoler, il y a un temps pour tout : je zappe. Ah ! sur la 6, il y a Natacha Amal, médaille d’argent du décolleté (sauf là). Je ne comprends pas trop ce qu’elle dit, visiblement elle a des ennuis : elle se fait interroger par une blonde aux yeux bleus, du genre qui pourrait très facilement me faire tout avouer, d’autant que je suis très chatouilleux.


Retour sur la 2 : voici la Lettonie. Mais où donc est Stan ? Déjà la Biélorussie : les distances sont vraiment réduites, ce soir. Au premier rang, une magnifique brune au sourire inconcevable qui agite son petit drapeau m’évoque un peu Ornella Muti. Stan ! La Lituanie, nom de Dieu !... Petite pensée pour Bertrand Cantat, médaille de bronze de lutte gréco-romaine. C’est un peu monotone, cette suite de nations : on dirait qu’il y a de moins en moins de monde dans les délégations… Je ne vais jamais pouvoir tenir jusqu’à onze heures et demie. Ah ! Voilà la Mongolie… Elle aussi est venue se faire voir chez les Grecs. À Koh Lanta, les candidats sont debout sur des rondins de bois au beau milieu de l’eau. Ce n’est rien, comme épreuve, comparée à l’enjeu qui est le nôtre : tenir deux semaines devant Gérard Holtz, David Douillet ou Stéphane Bern. Les Polonais portent des chapeaux rouges. Voilà une information primordiale. Il y en aura d’autres du même acabit tout au long de ces prochains jours : le Palindrome est sur la brèche. Pas la peine de regarder les J.O. : nous nous occupons de tout.


Bon, j’abrège tout de même, évidemment, sinon la folie nous guetterait tous. Sur Koh Lanta, j’ai raté le conseil. Sur France 2, alors que défile la Grèce, mon petit Gégé parle d’un mystère autour du champion qui devait porter le flambeau et qui ne s’est pas présenté aux contrôles antidopages... Hum ! hum... Tout cela ne manque pas d’intérêt... Je ne sais pas si je parviendrai à retenir les noms des sportifs grecs, moi. Ça risque d’être un problème. Je demanderai à Yanis de me faire un petit pense-bête. Sur leur île, l’équipe réunifiée tire sur un élastique pour récupérer des morceaux de bois. Les jeux de plage m’ont toujours fatigué. « Regardez comme c’est beau, un monde qui croit au sport », déclare Gérard Holtz. J’écrase une larme sur le rebord de ma paupière. Ça me fait souvent ça quand je bâille.


22 h 25 : Björk entonne Oceania. J’ai rarement trouvé mon poste de télé aussi sexy. Bon, je ne vais même plus pouvoir dire de mal de cette soirée, alors ? Les salauds avaient bien préparé leur coup ! Ceci, tout de même : la chanson de Björk était cent fois plus courte que sa robe, ce qui est une faute de goût impardonnable. Ensuite, deux crétins viennent dire bonjour aux caméras depuis l’espace — comme s’il n’y avait pas mieux à faire dans l’espace… Gianna Angelopoulos-Baskialaki a de jolies jambes. Elle faisait son discours sur une plateforme, sous un olivier en carton : je me demande si les spectateurs qui se trouvaient dessous pouvaient voir sous sa robe. Sur la une, un type attrape un requin au lasso. Sur la deux, Jacques Rogge dit non au doping. Il faudrait que ça se termine vite, maintenant. Huit personnes trimballent un drapeau frappé des anneaux olympiques pendant une éternité : j’en ai mal aux pieds pour eux. Je ne sais pas pourquoi ils sont tous déguisés en marins pour regarder monter le drapeau, mais tout cela doit avoir un sens. On attendait une flamme olympique, mon petit Gégé et moi, et on voit arriver une vingtaine de gus pendus à des câbles et tenant de faux flambeaux en néon. J’allais crier à l’imposture, mais non, la voilà, la flamme, la vraie de vraie. Vu le peu de temps que chaque relayeur la tient en main, je ne m’étonne plus qu’il y en ait eu onze mille depuis Olympie ! La vasque ressemble à un suppositoire monumental. Le porteur de la flamme l’allume. Reste à savoir si elle fondra durant les jeux. Si c’est le cas, ça risque de puer l’eucalyptus pendant un moment. Nous vous en tiendrons informé.
Palindrome, 14 août 2004.

vendredi 18 juillet 2008

Voyage à Rome (11/11)


Dimanche 18 juillet 2004.


Dernier réveil à Rome : Sébastien en tombe de son lit. Dernier petit-déjeuner aussi : ces dix jours sont passés comme une flèche dans la croupe d’un cow-boy. Un peu après dix heures on frappe avec nos valises à la porte de Carine, qui a des bagages très lourds à cause des babioles qu’elle a décidé de ramener. Nous rendons nos clés au réceptionniste et Carine a même droit au baisemain. Ah ! Ces ritals…


En route ! Nous traînons nos valises sur le trottoir jusqu’à la gare de Termini. En chemin, j’échange ma valise avec celle de Carine : la mienne est moins lourde, mais un peu plus chiante à diriger. Selon moi, je gagne un peu au change. D’ailleurs elle reprendra assez vite son sac… Arrivés à la gare, nous prenons des billets de train pour l’aéroport, et Carine vide un peu de son sac dans ma valise : un peu de linge, des chaussures, une assiette… On rejoint l’aéroport les pieds posés sur la valise de Sébastien. Un portable, dans le wagon, sonne l’intro de Light My Fire, qu’un large Anglais en short, bronzé, très colonial d’aspect, sifflote ensuite. Pour contrer l’attaque, nous entonnons les Enfants du Pirée dès qu’on l’entend siffler.


Nous avons tout notre temps à l’aéroport : il est tout juste midi et demi, l’embarquement n’est qu’à 14 h 15. Malgré cela, Carine s’impatiente dans la file d’attente pour l’enregistrement des bagages, alors que ça ne la fera pas arriver plus vite à Montenay et à son cher lit dans lequel elle va enfin pouvoir dormir !... Petite pause, assis par terre dans la gare. Sébastien est allé chercher une bouteille d’eau, Carine a ses biscuits à la noix de coco, ce ne sera pas de faim que nous mourrons. Nous passons sans encombre et sans enlever nos chaussures au détecteur de métaux, et nous rejoignons le terminal d’embarquement, la porte B1… avant de comprendre que c’est en B15 qu’il faut aller. Dans la file, une blonde un peu forte mais pas désagréable du tout s’explique avec l’hôtesse parce qu’il lui manque une partie de son coupon d’embarquement. Carine râle un peu, comme toujours quand elle est fatiguée. Une fois que nous sommes passés, le couloir d’embarquement nous mène à une navette, qui ne part que lorsqu’elle est remplie vers l’avion qui nous attend. Décidément, tous nos avions auront eu du retard. Pas beaucoup en ce qui concerne celui-ci, et il le rattrapera en vol. Je lis Rome sous la pluie, Sébastien la Guerre des Gaules et Carine un polar pour la jeunesse qui se passe à Rome. À partir des Alpes, on sent bien que la France est beaucoup plus nuageuse que l’Italie. Sous l’avion, il y a la plus grande île flottante de l’univers.


Vers dix-sept heures, nous sommes à Roissy. Les bagages arrivent sans se presser — un bagagiste noir regarde les passagers qui attendent, inquiets, leurs valises, et rigole : « Oulàh ! Souriez ou je vous donne pas vos bagages, moi, hein ! » Carine était effrayée de voir avec quelle violence les sacs sont manipulés (pourtant, nous l’avions prévenue), parce qu’elle a ramené beaucoup d’objets fragiles. Finalement, une fois rejoint le quai de la gare, elle fait une inspection rapide et constate qu’il n’y a pas eu de casse. Son frère lui téléphone, il lui propose d’aller la chercher à la gare de Laval afin d’éviter à Sébastien un détour par Montenay. Dans le train, une gamine d’à peine deux ans ne cesse de gesticuler et de crier dans les bras de son père d’abord, de sa mère ensuite, des deux enfin, aussi dépassés l’un que l’autre. Je pourrais être de très mauvaise humeur pour ça, mais le problème c’est qu’elle a de magnifiques yeux bleus et qu’elle m’offre, rien qu’à moi, des sourires qui me font fondre la banquise… Qu’est-ce qu’elles ont, ces gamines, à m’adorer, quand leurs mères ne me remarquent même pas ?...


Nous arrivons à Laval un peu avant neuf heures, David récupère sa sœur, Carine récupère ses effets personnels éparpillés dans tous nos sacs et, après quelques vannes rapides, Sébastien me dépose au Bourny. Je n’ai pas vu passer Rome.

jeudi 17 juillet 2008

Voyage à Rome (10/11)


Samedi 17 juillet 2004.


Et voici déjà notre dernière journée romaine. Le réveil est aussi difficile que celui de la veille, Carine à qui rien n’échappe et que rien n’écharpe (elle est en débardeur décolleté) remarque d’ailleurs que j’ai un œil rouge. Effectivement, mon œil droit est douloureux, ce qui est mauvais signe. Lorsque nous sommes allés frapper à sa porte pour le petit déjeuner, elle cherchait son marque-page qui s’est glissé, croit-elle, sous le meuble qui lui sert de tête de lit. Après avoir retourné sa chambre, nous n’avons rien trouvé. Ce ne sera jamais qu’un des mystères de plus de cette chambre 313 de l’hôtel Stella, via Castelfidardo, à Rome…


Avant de partir pour le centre de Rome, nous allons au supermarché parce que Sébastien et Carine veulent acheter de l’alcool. Carine reçoit le panier de plastique d’un consommateur dans la jambe : il y a un complot italien contre les gambettes de ma mie, ou quoi ? On cherche à l’immobiliser complètement ?... Sébastien prend une bouteille de Chianti d’une contenance raisonnable, Carine trois litres de Grappa et une énorme bouteille de Chianti. Se rend-elle compte qu’elle devra ramener ça en France dans ses bagages ?


C’est la dernière journée, nous sommes tous fatigués, donc nous ne prévoyons pas grand-chose à faire. Nous partons à pied en direction du palais de Victor-Emmanuel II, que Carine aimerait visiter, et que nous comptions bien voir de près aussi. Sébastien lui fait croire que nous allons à la villa Borghèse, alors que nous nous sommes résignés à l’idée de ne pas voir cette galerie, dont la visite ne peut se faire que par réservation. Carine cherche des souvenirs, voire des jouets, pour les enfants que sa mère garde. Elle aura passé plus de temps à chercher des souvenirs qu’à découvrir la ville ! Ah ! Ces gens qui ont le sens de la famille et de l’amitié… Elle ne trouve rien d’intéressant ni à la Feltrinelli, au rayon français, ni dans les petites boutiques de souvenirs qui marquent les étapes de notre route. Nous arrivons piazza Venezia, devant le palais de Victor-Emmanuel II, la « machine à écrire » des Italiens, dont nous gravissons le clavier pour avoir une vue étendue sur Rome. Ça ne vaut pas le Janicule (qu’on voit, du reste, au loin), mais c’est assez beau, d’autant que le ciel pourrait difficilement être plus dégagé. Nous entrons pour visiter le musée militaire et celui du Risorgimento. Étalage d’uniformes, d’armes de poing, de sabres, de calots, de grenades à main… Sous une voûte ornée d’un Saint-Sébastien (il est partout, celui-là !), la tombe du Soldat inconnu. Au-dessus d’elle, une Crucifixion en mosaïque.


Le musée historique du Risorgimento retrace l’histoire de l’Italie, notamment sous les règnes de Victor-Emmanuel II et III. Beaucoup de bustes d’officiers et notamment de maréchaux, trognes patibulaires ou plutôt comiques, gros bustes prétentieux, bien vulgaires avec ces épaules démesurées, ces coiffures mal sculptées, grossières. À côté de ces bustes, on trouve aussi des photographies d’époque, des « unes » de journaux, des feuilles satiriques, des livres, des carnets, des lettres de combattants, etc. Tout cela fait très officiel, très « trésor de la Nation » — je précise que la visite était gratuite…


Nous redescendons tranquillement les marches du palais, il ne nous reste plus grand-chose à faire, si ce n’est trouver un magasin de jouets pour Carine. Nous rejoignons tranquillement la place de la Colonne, là où se trouve une galerie marchande, mais dans celle-ci, aucun magasin de jouets. Après un coup d’œil sur le guide de Rome, Carine en trouve mentionnés piazza Navona et place du Peuple. Comme la Navona est la plus proche, nous nous y rendons. La première boutique est fermée, ça commence bien, l’autre est ouverte mais, à travers la vitrine, les jouets présentés ont l’air plutôt luxueux. On dirait un magasin pour collectionneurs plus qu’un magasin de jouets. Un gigantesque chameau en peluche (taille réelle !) accueille les clients à l’entrée. Carine ne sait pas trop quoi chercher, d’autant qu’une barrière a été posée devant l’escalier qui mène à l’étage des peluches, sans doute pour dissuader les enfants d’y monter et éviter les accidents. Carine préfère ne pas demander s’il est possible de déplacer cette barrière. Nous trouvons tout de même des Ferrari miniatures, mais elles sont encore un peu trop grosses pour Carine qui a enfin compris que tous les souvenirs qu’elle a achetés jusqu’à présent, il lui faudra les caser dans ses bagages. Nous ressortons, faisons un pause à l’ombre piazza Navona, et finalement, Carine se décide. Elle achète les Ferrari : c’est nous qui les mettrons dans nos valises. Maintenant nous pourrions rentrer, mais Carine aimerait goûter au chocolat chaud italien, nous empruntons donc de petites rues sans but précis, à la recherche de la première terrasse où nous pourrons nous asseoir. Nous errons dans le dédale des rues et, via di Panico, nous remarquons que nous nous éloignons du centre. Nous reprenons donc le bon chemin et, alors que nous atteignons notre point de départ, la piazza Navona, Carine trouve ce qu’elle cherchait également depuis plusieurs jours : un artisan ambulant qui fabrique des bracelets romains, ces bracelets qui s’entortillent au-dessus du coude, près de l’épaule. Carine ayant de très petits bras, il doit resserrer les anneaux de son bracelets en s’aidant d’une pince : « Più piccolo ! più piccolo ! » Carine repart avec son bracelet, et place Farnèse nous nous attablons devant une terrasse. Devant le palais Farnèse, une Française déclare : « Il est beau, hein. Il a quand même de la gueule… » Que c’est laid, cet enthousiasme chauvin pour les lieux et les monuments représentant la France lorsqu’on les rencontre dans un pays étranger… Carine et moi essayons vainement d’avoir un chocolat chaud avec de la crème, très conseillé par le Routard qui devrait, à l’avenir, nous éviter ses conseils à la con. Le café où nous sommes n’en fait plus (c’est pourtant sur la carte). Je prends un jus d’orange (je n’aurais pas été fâché qu’ils y rajoutent des glaçons), Carine choisit du jus de citron, la serveuse revient lui dire qu’il n’y en a pas et lui apporte une glace au citron. Sébastien, lui, a pris une bière sans problème. Les choses semblent s’arranger ensuite, puisque lorsque la serveuse nous apporte les commandes avec l’addition, nous nous apercevons qu’elle a oublié de compter la glace de Carine. Mais ce n’est qu’une illusion, puisque lorsque nous payons, elle s’aperçoit de son erreur. Ces terrasses à touristes sont vraiment formidables.


Nous repartons en direction du premier arrêt de bus. Le 64 nous dépose à Termini. À proximité de l’entrée du métro, un gamin se fait tabasser par de plus grands que lui. Un clochard handicapé pisse devant tout le monde, dans son fauteuil roulant. Il est cinq heures et demie, nous donnons rendez-vous à Carine à sept heures. Nous étions censés aller frapper à sa porte, mais la flemme nous a dissuadé de le faire, et c’est elle qui frappe à la nôtre, alors que je suis encore dans mon journal intime. Je termine la phrase que je suis en train d’écrire (« Je prends un jus d’orange », etc.) et range mon cahier dans ma valise. Elle tend la main, me dit : « Fais voir ce que t’as écrit ? » En fermant ma valise, je dis juste : « Non. » Ce journal de bord est encore très brouillon, je me réserve le droit de le reprendre un peu pour le mettre sur Internet, et je n’ai pas envie que quelqu’un lise ce qui n’est encore qu’une étape intermédiaire.


Nous potassons nos guides respectifs pour savoir où manger du côté de la piazza Navona, et finalement, après avoir de nouveau vainement cherché le marque-page de Carine, nous reprenons le bus pour le Corso. Le bus est bondé, quatre types entrent, dont trois parlent fort en rigolant, avec l’air déjà bien intéressant des gens imbibés. Des « rigolos de kermesse », comme dirait Carine. Le quatrième est juste à côté de moi et je ne quitte pas ses mains des yeux, au cas où il lui prendrait l’envie de me faire les fouilles. D’ailleurs, il préfère s’enfoncer plus loin dans le corps des voyageurs que de rester près de moi. Il faut jouer des coudes pour sortir du bus, mais on y parvient sans encombre (Carine a même encore ses jambes) et on rejoint le Campo dei Fiori, noir de monde. Toutes les terrasses sont bondées, à certaines même une queue est en train de se former. Nous nous engouffrons dans de petites rues et de fil en aiguille nous nous décidons pour la Taverna del Campo, un petit restau très animé et d’allure un peu conviviale, avec une serveuse à la Marielle Goitschel qui slalome entre les clients avec brio et sans ciller. Carine hésite entre un calzone jambon, champignons, mozzarella et un (des ?) crostini jambon, mozzarella, en grande partie parce qu’elle ne sait pas ce qu’est ni un calzone, ni un (des ?) crostini. Je me décide aussi sans en savoir plus qu’elle pour un (des ?) crostini jambon, mozzarella, Carine choisit le calzone et Sébastien la suit un peu distraitement, puisqu’il n’aime pas le jambon. Il a été trop vite, n’a pas vraiment retenu quels ingrédients se trouvaient dans son plat, et voilà… Le (les ?) crostini est constitué de pain grillé recouvert, donc, de fromage et de jambon fumé. Le calzone est un plat enrobé dans de la pâte à pizza. C’est plutôt comique de voir Sébastien se battre pour ne manger que la pâte en évitant soigneusement la bouillie composée par les champignons et le jambon, d’autant que Carine, assez vite comblée par ce plat qui a l’air assez consistant et même plutôt gras, finit par l’imiter… Moi, je me régale avec mon (mes ?) crostini : pour une fois que ce n’est pas moi ou Carine qui choisissons mal nos plats ! Au dessert, Sébastien prend sa revanche en commandant un délicieux tiramisu tandis que Carine et moi, pas échaudés par notre tentative de l’après-midi, demandons un cioccolatto con panna, ce que nous pensons être le chocolat chaud italien… et nous voyons surgir de simples brownies surmontés d’un peu de Chantilly qui a un goût très rance. Décidément, nous ne saurons pas quel goût a le vrai chocolat chaud italien… Un couple de Français se lève de table après leur repas et nous entendons l’homme dire en quittant la terrasse : « Bon, c’est un peu gros cul comme endroit, mais c’est sympa… » Par « gros cul », il voulait sans doute dire « populaire », enfin c’est ce que j’ai compris… D’ailleurs, la véritable insulte, c’est toujours « sympa ». À la table proche de la nôtre, trois personnes ont commandé le même dessert que nous et semblent déguster la crème comme du petit lait, ce qui a tendance à agacer Carine.


Nous payons l’addition et repartons en direction du Campo dei Fiori, de nouveau, pour retrouver le palais de Victor-Emmanuel II, illuminé, la colonne de Trajan, illuminée, le forum illuminé… et le Colisée bizarrement sombre, au grand dam de Carine. Elle a attrapé nos bras, à Sébastien et à moi, et nous l’aidons à avancer en chantant un medley de tous les airs qui nous ont trotté dans la tête depuis notre arrivée à Rome, à commencer par les Enfants du Pirée (Speedy Gonzales remix), Volare ou la chanson de Boulette par Katerine (ça, c’est mon petit apport personnel), et Carine se lance même dans la Digue du cul. Toujours bien penser à avoir une amie grivoise pour animer ses soirées… Nous faisons le tour du Colisée, Carine veut aller aux toilettes mais celles qui sont publiques ferment la nuit, et pour celles du métro, il faut passer par les portillons automatiques et donc prendre un ticket. Nous n’avons plus aucune monnaie et nous ne pouvons pas en faire dans le coin, donc il faut rentrer à l’hôtel à pied. Nous ressortons un peu par hasard du métro, alors que nous cherchions toujours les toilettes, et nous rentrons en trouvant, un peu par hasard, une ligne pratiquement droite qui mène à Termini et nous fait repasser devant Sainte-Marie Majeure. Plus personne ne chante, surtout pas Carine, tiraillée entre la fatigue et son envie pressante. Nous arrivons à l’hôtel où elle peut enfin soulager sa vessie et où nous avons une ultime nuit à passer.

mercredi 16 juillet 2008

Voyage à Rome (9/11)


Vendredi 16 juillet 2004.

Avec mon sacré journal, on ne peut pas dire que j’aie beaucoup dormi. Les nuits romaines sont courtes. Carine, à qui rien n’échappe, remarque d’ailleurs tout de suite que j’ai les yeux fatigués. Elle aussi a mal dormi, mais visiblement elle ne dormira correctement qu’une fois de retour à Montenay… Nous prenons le petit déjeuner à l’hôtel puis partons en direction de l’église Sainte-Marie Majeure. Avant de quitter l’hôtel, Carine, qui s’était mise en short, doit remonter se changer car les deux basiliques que nous allons voir aujourd’hui ne peuvent être visitées que vêtu décemment. Elle me confie son short que je mets dans mon sac et nous nous mettons en route, dans le tap, tap, tap de ses tongs. Nous découvrons Sainte-Marie Majeure par l’arrière. Son campanile est le plus haut de Rome. Nous la contournons pour y entrer : magnifique plafond à caissons, un magnifique Couronnement de la Vierge dans l’abside. Dans la nef de droite est censée se trouver la pierre tombale du Bernin, mais nous ne la voyons pas. Les coupoles des nefs donnent une extraordinaire impression de profondeur. C’est l’une des plus importantes basiliques de Rome avec Saint-Pierre, Saint-Jean de Latran et Saint-Paul Hors-les-murs. C’est encore un morceau de Vatican en plein cœur de Rome. Sa première pierre a été posée le 5 août 352, la Vierge ayant fait tomber de la neige à cet endroit pour faire comprendre au pape Libère Ier qu’elle voulait une église.

Sortis de Sainte-Marie Majeure, nous prenons la route de Saint-Jean de Latran. Celle-ci, nous l’abordons de côté. Nous y pénétrons par la nef de droite. Le baldaquin de l’autel est très impressionnant. Ce n’est évidemment rien à côté de celui de la basilique Saint-Pierre, mais c’est déjà une belle chose. Il renferme les crânes de saint Pierre et de saint Paul. Dans cette église, le pape est évêque de Rome. Dans le transept, immenses statues de marbre des douze apôtres. L’or de l’une des chapelles étincelle sous la lumière du soleil. Nous y restons un bon moment, puis nous quittons la basilique. Une petite pause sur les marches du monument, Carine se remet de la crème solaire, la bouteille d’eau circule ainsi que les barres aux fruits de Sébastien. Nous devons trouver un bus qui nous mène à la via Appia, mais nous n’avons plus de tickets. Je désigne les toilettes publiques à Carine qui va s’y changer (je me retrouve avec son pantalon dans mon sac), et nous entrons dans un bureau de tabac pour acheter des tickets. Ceci fait, nous montons dans le 218 qui nous dépose sous un soleil impitoyable au carrefour de la via Ardeatina et de la via delle sette Chiese (des sept églises), que nous empruntons pour aller voir la basilique Saint-Sébastien et surtout ses catacombes. C’est là que saint Sébastien fût martyrisé et c’est là qu’il fût enterré. Dès notre entrée, la dame du guichet nous propose une visite en anglais dans un quart d’heure. Apprenant que nous sommes Français, elle nous annonce que la visite en français vient justement de commencer. Nous rejoignons donc le groupe qui s’engouffre dans les catacombes. Je suis un peu déçu : pas d’os à se mettre sous la dent. Toutes les tombes sont vides. L’endroit n’est même pas glacé, nous nous enfonçons trop peu profond pour atteindre la fraîcheur. Il faisait bien plus froid dans la Maison dorée… L’endroit était tout d’abord voué à l’adoration des reliques de saint Pierre et saint Paul, avant d’honorer le martyre de saint Sébastien. Carine s’amuse de la petite taille du sarcophage (vide) du Saint, puisqu’elle se moque souvent de la taille de Sébastien. Ah ! Ces deux-là !… Incapables de rester tranquilles, de vrais gamins ! Après nous avoir fait remonter à la surface, la guide nous laisse dans la basilique où ceux d’entre nous qui ont des zooms dignes de ce nom et des flashes efficaces (c’est-à-dire Sébastien) peuvent prendre des photos. Il prend le gisant de son Patron, placé juste au-dessus de la crypte d’où nous venons, et Carine ne parvient pas, malgré son flash, à photographier la voûte trop élevée.

Nous ne ferons pas la via Appia : Carine n’a pas envie de trop marcher. Nous pensions en faire une petite partie et rebrousser chemin, mais il aurait fallu que cela soit une promenade, or avec ce soleil qui nous assomme et la fatigue accumulée, ce serait un calvaire. Nous décidons donc de reprendre le 218 pour nous ramener sur la piazza San Giovanni, devant Saint-Jean de Latran. Carine et moi allons nous renseigner dans la petite boutique de souvenirs près de l’arrêt de bus pour se procurer des tickets. J’ai à peine le temps de poser, en anglais, ma question : « Excuse me, do you… », que la vendeuse me répond : « No ! » Elle m’apprend que pour obtenir des tickets de bus, je dois me renseigner à la boutique des catacombes de San Callisto, juste en face. J’ai trouvé un peu cavalière sa manière de me montrer qu’on l’emmerdait à longueur de journée à lui poser la même question, mais nous allons chercher nos billets et le 218 arrive immédiatement. Il y a très peu de monde, nous pouvons nous asseoir tranquillement, reposer un peu nos carcasses. Quo vadis ? On va se faire crucifier ailleurs…

Piazza San Giovanni, je remplis ma bouteille d’eau à la fontaine la plus proche et nous nous lançons en direction des thermes de Caracalla. Nous payons cinq euros le droit d’entrer dans ce jardin rempli de murailles gigantesques de pierres roses, vestiges impressionnants que nous visitons très vite, puisque beaucoup de barrières sont dressées pour empêcher le visiteur de visiter. Quelques mosaïques, ça et là, et le soleil entrant à flot dans l’apodyterium. Contre les thermes, une scène a été montée pour une représentation de Nabucco. Nous sommes un peu écœurés d’avoir payé pour regarder de vieilles pierres, certes immenses, mais qui ne nous enseignent pas grand-chose. Nous rejoignons le Circus Maximus, que nous longeons un peu avant de reprendre le métro. Sébastien prend un billet, mais en voulant en prendre pour moi et pour Carine qui n’a plus de monnaie, je m’aperçois que le distributeur ne fonctionne plus. Il a avalé ma pièce de deux euros, il a fait mine d’imprimer les billets… et rien. Donc nous resquillons une fois de plus (mais j’ai payé tout de même, j’ai donc ma conscience pour moi). Une floppée de jeunes filles anglophones court vêtues pénètrent dans notre voiture et nous nous retrouvons serrés comme des sardines marseillaises. Tout ce petit monde sort en trombe à Termini, c’est comme une bouteille de champagne qu’on a agitée en signe de victoire, et nous rentrons à l’hôtel. Il est à peine 19 heures, nous donnons rendez-vous à Carine à 20 h 30, ce qui me laisse le temps de commencer à rédiger mon journal : ce sera toujours ça de moins à faire ce soir. Sébastien, lui, s’endort : ce sera toujours ça de moins à faire cette nuit ?

C’est peut-être la dernière fois que nous mangeons au Rossi. Le serveur francophone, en nous voyant arriver, se met tout de suite à nous parler français, nous installe une table en terrasse — dans le passage, pour bien gêner les gens, j’adore ça — et avant même que nous ayons commandé, nous dit : « Une eau naturelle et trois jus d’orange ! » Nous sommes des habitués qui s’en vont bientôt. Je prends un plat de rigatoni alla Papalina (petits pois, jambon, fromage et une sauce à base d’œuf), Sébastien une pizza au thon, Carine des bruschettes al salmone (pain grillé au saumon) et du jambon. En dessert, nous prenons de la glace et pour finir… comme à Istanbul nous avions goûté le raki, nous voulons, à Rome, goûter la grappa. Trois piètres buveurs comme nous, c’est un peu idiot… L’odeur est très forte. Allez, on se lance pour la première gorgée, qui brûle tout sur son passage — infect, ce truc : autant boire un insecticide ! Mais bon, il faut mettre fin au supplice, et on en vient à bout en trois ou quatre gorgées. Hilares devant nos têtes écoeurées, on paye l’addition. Sébastien, grand prince, veut laisser 60 € alors que le repas n’en a pas coûté 57, mais le serveur nous appelle alors qu’on s’en va : il n’y avait que 50 € dans la coupelle qu’on lui a tendue. On croit faire plaisir, et voilà…

mardi 15 juillet 2008

Voyage à Rome (8/11)


Jeudi 15 juillet 2004.


Le réveil sonne à 6 h 30, je vais comme un zombie me réveiller sous l’eau froide. On frappe à la porte de Carine une heure plus tard. Elle n’est pas tout à fait prête, et Sébastien marque son impatience d’une façon assez visible. Carine ne le prend pas au sérieux et se prépare tranquillement. C’est que nous avons une journée assez chargée qui nous attend. Pas le temps de prendre le petit déjeuner, d’ailleurs le restaurant de l’hôtel n’est pas encore ouvert. Nous nous engouffrons encore ensommeillés et muets dans le métro de la station Termini et émergeons à quelques mètres de la place Saint-Pierre. Tout de suite, nous rejoignons la file d’attente déjà assez longue qui déploie ses anneaux sur le trottoir, au pied du bunker qui renferme les musées du Vatican. À peine arrivés, nous sommes déjà suivis par des dizaines de personnes. Groupes d’étrangers, Japonais, étudiants, nonnes… Le musée ouvre à 8 h 45, et la file alors avance très vite. Au pas de course, même. Nous passons à la billetterie — 12 euros l’entrée —, faisons glisser nos sacs sur le tapis roulant en passant nous-mêmes au détecteur de métaux, et c’est la ruée vers les escaliers. Les galeries traversées à vive allure, celle des Candélabres, celle des Tapisseries, celle des Cartes, mériteraient toutes une attention émerveillée (plafonds somptueux, tapisseries tissées sur des cartons de Raphaël, cartes topographiques splendides) ; mais tout le monde est collé à tout le monde, et veut avancer, avancer jusqu’à la chapelle Sixtine — parce que beaucoup ne sont venus là que pour elle. Passage en trombe dans la salle Sobieski, puis descente par des escaliers encombrés vers, enfin, la sweet Sixtine…


Une chapelle, ça ? C’est un hall de gare !... Tous les visiteurs amassés dans un bloc compact font un brouhaha incessant, malgré les « chut ! » lancés par certains gardes. Pourquoi chut ? Parce qu’à l’origine, il s’agissait d’un lieu de culte ? Allons, la Sixtine n’a plus rien de religieux : c’est un musée, un point c’est tout. Je croyais qu’on entrerait dans une chapelle qui se trouvait à l’extérieur de l’édifice, qu’on en verrait la façade, or il n’en est rien. On se retrouve tout de suite dedans au pied d’un escalier, agressé par le bruit et la cohue autant que par les couleurs criardes dégoulinant des murs et des plafonds récemment restaurés. Déception, c’est le mot. Le Jugement dernier de Michel-Ange, oscillant entre bleu turquoise et rose-bonbon, m’apparaît avant tout comme une vaste étude de l’anatomie humaine, comme un exercice appliqué, soigné certes, mais trop mignon pour être beau. Dans d’autres circonstances, je l’aurais sans doute perçu différemment, mais ce déferlement de muscles exagérés, de corps humains en pagaille, passée la première impression assez forte, me laisse dubitatif. Ce qui me gêne, surtout, ce sont les lignes noires très prononcées qui encerclent les personnages : ce style bande dessinée avant la lettre m’écoeure un peu. Bien sûr, il y a des parties magnifiques dans cette œuvre : la barque de Charon, saint Barthélémy, sa peau à la main, certains damnés… mais ce bleu abominable est-il vraiment sorti de la palette de Michel-Ange, ou est-il dû aux travaux de restauration ? Les fresques du Pérugin sur Moïse ne sont pas franchement ce qu’il a fait de mieux. En général, je n’aime pas trop les fresques, cette manière de raconter en un seul tableau des événements qui se sont produits sur plusieurs jours ou plusieurs années… Il faudrait, pour apprécier vraiment la Sixtine, être en petit comité et prendre le temps d’apprécier chaque détail. Ce temps, nous ne l’avons pas. À lever les yeux vers la voûte de longues minutes nous ne pouvons que tenter d’extraire quelques détails de ce fouillis de formes et de couleurs : la Création du Soleil et de la Lune, la Création de l’Homme, évidemment, le Péché originel, le Déluge… Le désir de Michel-Ange était-il d’assommer son spectateur ? De l’air, de l’air !...


Nous quittons cette foire aux bestiaux avec soulagement, il n’y a personne d’autre que nous trois dans la chapelle de Pie V, et peu de monde dans le couloir de la galerie d’Urbain VIII. Nous respirons. Salle des papyrus, musée égyptien où se trouve une fascinante femme momifiée… La bibliothèque, malheureusement, est tout juste visible : des cordons empêchent le visiteur de s’en approcher. Lors d’une première escale dans un carrefour où se mêlent articles de souvenirs, livres d’art et bureau de poste, nous achetons des timbres pour nos cartes postales. Nous recherchons la Pinacothèque, que nous finissons par trouver. Nous prenons cette fois-ci notre temps pour admirer ces Botticelli, ces Caravage (la magnifique Déposition de croix), ces Poussin, ces Véronèse, ces Titien… et la salle aux tapisseries, avec le triptyque de Raphaël : la Madone de Foligno, le Couronnement de la Vierge et son champ du cygne : la Transfiguration !


Nous avons raté le musée Pio Clementino et l’escalier de Bramante, mais pas une salle des animaux assez étonnante. Après une pause dans une cour que nous n’avons même pas le courage — ou pas la présence d’esprit — de visiter vraiment, nous repartons en direction des chambres de Raphaël. Nous entrons dans la salle de Constantin, aux fresques décevantes. D’ailleurs, Raphaël n’en est pas l’auteur, c’est en grande partie Giulio Romano qui a exécuté les fresques murales, et Tommaso Siciliano a brossé le Triomphe du Christianisme sur le Paganisme sur la voûte. Éblouissement dans la chambre d’Héliodore : sa Libération de saint Pierre, à la lumière si géniale, qui joue avec la lumière naturelle de la fenêtre située dessous, est une merveille. Héliodore chassé du temple et Léon le Grand à la rencontre d’Attila, la Messe de Bolsène : trois chefs d’œuvre. La salle de la Signature, avec l’École d’Athènes, est un nouvel émerveillement. Contrairement à Michel-Ange (je parle du Michel-Ange de la chapelle Sixtine), Raphaël ne fait pas d’effets de manches. La pureté de ses cadrages, l’extrême diversité de ses modèles, la vie au sens propre, la vie biographique qu’on peut deviner derrière les traits de ses personnages, l’intensité de sa palette quand Michel-Ange travaille par grands aplats de couleur, tout cela, c’est l’empreinte du génie. Nous finissons par la chambre de l’Incendie de Borgo, à laquelle Sanzio ne travailla qu’en partie. Le tableau éponyme est entièrement de sa main.


Pour finir, Sébastien voulait voir les appartements de Borgia, mais il s’est mis à douter de son désir en apprenant qu’il s’agissait d’une galerie d’art contemporain. Nous nous sommes finalement lancés, et la galerie vaut surtout pour ses plafonds. Il y a là un très oubliable Bacon, une étude pour ses Papes, deux Dali — dont une Crucifixion — pas mauvais, une poignée de décevants Buffet (quel besoin avait-il de préciser en énorme sur ses toiles le sujet de celles-ci, alors que n’importe qui peut deviner qu’il s’agissait d’une Pietà, par exemple, ou d’un portait du Christ en croix ?)…


Nous quittons enfin le musée, où nous avons passé plus de deux heures, et nous asseyons à l’ombre, à côté d’un groupe de jeunes français avec lesquels je n’ai aucune envie d’entrer en contact. Carine se remet de la crème solaire, moi je somnole un peu, déjà…


Avant de quitter le Vatican, nous devons trouver des enveloppes pour nos cartes postales et Carine veut acheter des souvenirs pour ses proches. Je l’accompagne dans les magasins tandis que Sébastien va à la Poste chercher les enveloppes… et qu’il en profite pour acheter un livre sur Michel-Ange et Raphaël qui nous avait bien alléchés tous les deux. Finalement, je l’achète aussi, Sébastien m’ayant avancé de l’argent parce que je n’avais plus suffisamment de liquide. Entre-temps, après avoir réussi à force de lutte à coller nos putains d’enveloppes, nous avons aussi posté nos cartes, qui ne parviendront à leur destinataire qu’après notre retour, mais bon… Nous empruntons la via della Consolazione pour quitter le Vatican et retrouver Rome, où nous longeons le Tibre aussi vert que les feuilles des arbres. Sébastien marche vite devant nous et je sens bien que Carine est fatiguée : elle suit derrière et ne dit pas un mot. C’est que nous avons du chemin à parcourir jusqu’à la basilique Santa Maria in Cosmedin, où se trouve la célèbre Bocca della Verità, la Bouche de la Vérité où les touristes viennent plonger la main pour savoir s’ils seront mordus, ce qui prouveraient qu’ils sont des menteurs. Nous y arrivons en même temps qu’un car de touristes japonais qui font la queue pour se faire prendre en photo la main dans le sac. Nous entrons dans la basilique, du XIIe siècle, nous asseyant sur un banc comme nous le faisons habituellement pour admirer plus à notre aise, et j’ai bien du mal à garder les yeux ouverts. La courte nuit et le soleil coriace m’ont assommé.


Sébastien a des messages à envoyer sur Internet, Carine des souvenirs à acheter encore, nous voulons prendre le bus pour Barberini. Après avoir attendu de longues minutes sous un soleil de plomb le bus qui convenait, nous décidons de monter dans le 44, qui nous dépose piazza Venezia. De là, nous recherchons toujours un bus pour Barberini… que nous finissons enfin par trouver sur le Corso. Nous n’avions encore jamais composté nos tickets de bus, les véhicules de Rome étant pourvus de deux machines pour deux sortes de billets différents. La machine qu’il nous fallait étant toujours trop loin et les voyageurs trop nombreux, c’était inutile d’insister. C’est donc aujourd’hui la première fois que je poinçonne mon ticket ainsi que ceux de mes compagnons d’épopée. L’émotion de la première fois !


Via Barberini, Sébastien va donc à la boutique Easy Internet, et j’accompagne Carine, qui a les épaules sciées par les lanières de son sac à dos, dans un magasin de souvenirs. Elle trouve vite ce qu’elle cherche, je l’aide à porter ses sacs et nous rejoignons Sébastien, qui ne nous attendait pas si tôt, essayant de nous plonger, Carine dans un Fred Vargas, moi dans Rome sous la pluie, de Burgess, pour ne pas lire ce qu’écrit Sébastien. Ça marche tellement bien que je commence à m’endormir sur mon livre. Pour finir, comme il reste une dizaine de minutes sur le compte de Sébastien, Carine veut lire mon journal, enfin en lire une partie : le début du mois de juillet 2003.


Le métro nous ramène à Termini, Carine nous conduit dans l’immense magasin d’un marchand de vin où elle souhaite trouver de la Grappa à ramener à son frère. Il y a trop de choix, elle renonce.


Nous sommes tous très fatigués quand nous nous retrouvons pour aller au restaurant. Pour ne pas avoir à choisir, nous optons pour le Rossi, ce restau de la via Palestro où nous avons déjà mangé deux fois et où l’un des serveurs parle français. Je prends des spaghetti au saumon, Carine une pizza aux crevettes, Sébastien une aux fruits de mer. Nous sommes très poisson, ce soir. On n’est pourtant pas vendredi… Pour finir, Sébastien et moi commandons de l’ananas et Carine prend un Cappuccino. En sortant de notre hôtel, nous sommes tombés sur les musiciens d’hier qui jouaient encore Les Enfants du Pirée à Mach 5. Comme ils nous l’ont joué une deuxième fois à la terrasse du Rossi, nous avions cet air-là dans la tête toute la soirée. Nous nous sommes encore bien amusés, la fatigue aidant à trouver drôle n’importe quelle connerie.

lundi 14 juillet 2008

Voyage à Rome (7/11)


Mercredi 14 juillet 2004.


Nous avons décidé que cette journée serait vouée au repos. C’est donc à 10 h 30 que Sébastien et moi nous levons, et une heure plus tard que nous frappons à la porte de Carine. Comme il n’est plus temps de déjeuner à l’hôtel, nous faisons quelques achats au supermarché d’à côté, où Carine trouve le moyen, en ouvrant une boîte par curiosité, de répandre du cacao sur le sol. Notre mesquinerie masculine nous force, Sébastien et moi, à lui rappeler continuellement cet épisode qui ne l’honore pas. Nous retournons à l’hôtel, où nous nous faisons notre propre petit déjeuner. Lorsque la femme de chambre vient frapper à la porte pour nettoyer la nôtre, je lui explique que pour l’instant, ce n’est pas possible. Bien jolie, cette camériste : brune, la peau mate, un petit sourire gêné… Gentille soubrette tout à fait troussable. Finalement, elle reviendra me confier des serviettes propres et reprendre les sales.


L’après-midi, nous prenons la direction de la librairie Feltrinelli, près de la place de la République, qui propose un rayon de livres plus ou moins neufs, en français. J’hésite à acheter les Chroniques italiennes de Stendhal et finalement, me réserve pour une autre occasion. J’achète un plan de Rome — je pense que désormais, lorsque je visiterai une ville étrangère, j’en achèterai le plan sur place, plus par désir de garder un souvenir que pour des raisons pratiques. Nous achetons, Sébastien et moi, quelques cartes postales, Carine un marque-page représentant le Colisée, puis nous allons tranquillement en direction du Panthéon. En chemin, Carine trouve une douzaine ( !) de cartes postales qu’elle doit envoyer, puis on poursuit notre route jusqu’à la place Saint-Louis-des-Français, tout près de la piazza Navona, où se trouve une librairie française, rien de moins que la Procure. Dans l’entrée se trouve un rayon de livres français sur Rome, romans et chroniques, ouvrages d’histoire ou d’art, etc. Je comptais acheter une monographie sur Raphaël, mais les couleurs des reproductions étaient vraiment trop vives, j’y ai renoncé. Je me suis contenté d’acheter les Promenades à Rome de Stendhal et les Vies des douze Césars de Suétone. Nous sommes restés là un bon moment, d’autant qu’il y avait du jazz pour musique de fond, puis nous sommes ressortis chacun avec un bon nombre de livres. Carine et Sébastien ont acheté le Voyage en Italie de Chateaubriand, qui m’intéressait aussi. Malheureusement, il n’en restait que deux exemplaires. Lorsque nous ressortons, le ciel s’est couvert. Nous ne craignons pas vraiment la pluie, mais son apparition nous ennuierait tout de même un peu. Nous rejoignons la via Barberini en faisant quelques escales devant les magasins de vêtements ou de souvenirs où Carine entre sans rien acheter, si ce n’est une petite poterie pour la mère de son ami. Nous montons la rue des Quatre-fontaines que nous commençons à bien connaître, surtout Carine qui s’y est massacré le pied contre un pavé vendredi. Puis, via Barberini, entrons une petite heure dans un cybercafé où Sébastien, s’apercevant qu’il n’a pas l’adresse e-mail de son frère Arnaud, doit la demander à son autre frère Thomas. Carine cherche sur Internet les adresses de certaines de ses connaissances qui lui ont demandé une carte postale, mais n’y parvient pas. Je leur fais lire, pour finir cette heure sur Internet, les dernières entrées de mon journal : Sébastien n’avait pas lu celle du 7 juillet, veille de notre départ, et Carine, ne lisant pas mon journal, s’amuse de mon résumé de la soirée du 6 au restaurant chinois. Nous rentrons tranquillement, toujours à pied, jusqu’à l’hôtel. Un quart d’heure plus tard, nous nous retrouvons pour décider d’un lieu où manger. Après un petit tour dans le quartier, nous décidons de nous attabler à la terrasse du restaurant le plus proche de notre hôtel, où deux accordéonistes et un contrebassiste se lancent dans une interprétation extraordinairement rapide des Enfants du Pirée. C’est la mode, en Italie : toutes les terrasses des restaurants voient passer, comme les rames de métro à Paris, des musiciens qui viennent jouer quelques airs (souvent Comme d’habitude…), très vite pour ne pas être virés par les patrons, ou ce sont des vendeurs de montres, de roses, etc. Je prends un plat de ravioli aux épinards (une éternité que je n’ai pas mangé d’épinards), Sébastien aussi, Carine mange des spaghetti all’amatriciana. Puis nous optons tous les trois pour un tiramisu en dessert, suivi pour Sébastien et moi d’un Cappuccino, pour Carine d’un thé. De retour à l’hôtel, nous avons tous des cartes postales à écrire (Carine en a douze !), et moi j’ai mon journal qui m’attend… Une carte pour mes parents, une autre pour mon frère et Aurélie, une enfin pour Adrianne à qui je tricote un petit sonnet, et je retourne à mon cahier.