jeudi 18 avril 2013

L'ironie



« L’ironie ne dessèche pas, elle lutte contre les mauvaises herbes. »
Jules Renard.
           
Après la publication de ma dernière chronique, consacrée à l’alcool, une courageuse Anonyme m’a écrit ceci :

           « Je suis ROUGE de colère en lisant ton message et je suis sobre comme à peu près tous les jours.
Ouhhh l'alcool c'est le MAL!!!
D'un père alcoolique et d'une mère qui ne boit jamais, je te jure que j'ai beaucoup plus appris en regardant mon père sur la vie que ma mère. Mon père m'apprenait la vérité des choses ( avec beaucoup de simplicité de beauté et de souffrance ) , ma mère leur surface ( il n'y avait aucune vie la dedans ) . A toi de choisir ton camp. Reste dans ta vision dorée des choses mais ne publie rien.
La littérature mène à l'alcool???? Tu prends le problème complètement à l'envers. C'est la vie elle même qui nous mène à la bouteille.
Mais faisons une expérience de pensée : laissons nos enfants grandir devant la télé, qu'ils s'enivrent de toutes ces conneries, qu'ils jouent de longue avec une manette entre les mains, en gros qu'ils s'abrutissent et ne comprennent rien de la VERITABLE realité des choses. Et quel sera le résultat? Vont ils être des êtres tout beaux tout mignons? Tu crois leur éviter la case bouteille?
Réfléchis abruti
Il y a encore tellement de choses à écrire mais je suis sure que tu n'en vaux pas la peine
J'espère ne jamais te croiser sur mon chemin, tu es un être ignoble et dangereux pour les gens qui t'écoutent. »

Très bien. J’avais prévu de parler de l’ironie plus tard, mais tant pis : on va le faire maintenant.
Cette charmante demoiselle (« charmante », je ne fais que l’imaginer ; « demoiselle », ou « dame » peut-être, je le suppose au fait que l’avant-dernier paragraphe est accordé au féminin), cette charmante demoiselle, donc, qui me traite d’abruti, d’« être ignoble et dangereux » pour vous autres qui m’écoutez, et qui me conseille de ne rien publier, semble méconnaître ce procédé littéraire pourtant fort usité qu’est l’ironie.
Doit-on l’en blâmer ?
Non, bien sûr : le principe de l’ironie étant de « dire, par une raillerie, ou plaisante, ou sérieuse, le contraire de ce que l’on pense, ou de ce que l’on veut faire penser », comme le définit Pierre Fontanier dans Les Figures du discours, elle court toujours le risque de ne pas être comprise. Le poète Alcanter de Brahm, alias Marcel Bernhardt, avait proposé à la fin du XIXe siècle d’inventer un nouveau signe de ponctuation : le « point d’ironie ». Ce signe typographique qui ressemblait à un point d’interrogation inversé, placé à la fin d’une phrase, indiquait que celle-ci devait être prise au second degré. Malheureusement, cette idée brillante n’a pas connu de succès, et les écrivains ont continué à demander à leurs lecteurs des efforts de compréhension pour déceler ce qui, dans leurs écrits, était à prendre pour argent comptant, et ce qui relevait de la dérision.
De nos jours, l’utilisation des émoticônes a souvent le même but que celle du point d’ironie : signaler que les propos de l’auteur ne doivent pas être pris au sérieux. Les écrivains répugnent encore, et c’est sans doute un grand tort de leur part, à faire usage de ces symboles, notamment du très courant point-virgule-fermez-la-parenthèse ;) qui suppose une connivence entre l’auteur et son lecteur, et pourrait être traduit par : « mais nan j’décooooonne !!! ».
J’aurais sans doute dû, moi aussi, placer dans mon article sur l’alcool, aux points les plus stratégiques, certaines de ces émoticônes. Cela aurait certainement aidé cette chère – ;) – Anonyme à comprendre que mon texte visait, non pas à reprocher réellement aux écrivains d’être de mauvais exemples pour notre saine jeunesse, mais bien au contraire, à caricaturer le discours des ligues de vertu qui voudraient purifier l’art et la littérature de ses prétendus sombres instincts. Comment pouvait-elle deviner que je faisais de l’ironie, puisque, comme elle me l’a écrit ensuite, elle n’a pas « décelé une seule trace d'humour dans [mon] texte » ? Remarque qui m’a beaucoup flatté, cela va de soi.
Pardon, je veux dire : remarque qui m’a beaucoup flatté, cela va de soi ;)
Il n’empêche que, là encore, elle soulève une question importante ! L’humour est chose subtile (surtout le mien) et bien souvent, il est difficile à repérer. Mes lecteurs les plus fidèles n’auront sans doute eu aucun mal à comprendre que mon discours était à prendre au second degré, habitué qu’ils sont à mes facéties. Un lecteur qui débarque sans avoir jamais rien lu de moi peut, très sincèrement, se demander si c’est du lard ou du cochon. De même, un curieux qui ne connaîtrait rien de Voltaire et se lancerait dans la lecture de Candide ne pourrait-il pas prendre ce conte philosophique pour argent comptant, et le comprendre tout de travers ?
Il existe, pourtant, certains signes.
Je vais me livrer à un petit exercice un peu périlleux : souligner dans mon texte précédent deux ou trois manifestations de cet humour légendaire qui est le mien ;) et qui auraient dû mettre la puce à l’oreille de notre amie. Exercice périlleux, parce qu’une blague perd toujours de son effet à être expliquée. Mais tant pis, je me sacrifie pour la science.
Dès la deuxième phrase, par exemple, le locuteur se demande s’il est bon « de laisser nos enfants s’approcher des livres, ces objets inquiétants remplis de mots », et s’il ne vaudrait pas mieux qu’ils passent leurs journées à jouer aux jeux vidéo, ou à trafiquer au coin d’une rue. Il me semblait évident, en écrivant cette phrase, que le lecteur comprendrait que j’opérais un habile renversement du cliché montrant les parents inquiets de voir leurs bambins rester des heures devant Call of Duty au lieu de se cultiver. Il me semblait tout aussi évident qu’aucune dame patronnesse n’irait jusqu’à préférer voir un enfant « pratiquer quelque trafic au coin d’une rue » plutôt qu’ouvrir un livre. Visiblement, ça ne l’était pas. Voilà ce qui arrive, quand on suppose une quelconque intelligence à son lecteur ;)
Un deuxième exemple, pour finir : lorsque j’écris, à propos de Baudelaire : « Et le binge-drinking ? Ah, ça, il n’en parle pas, du binge-drinking, notre grand poète ! » Je pensais qu’il y avait dans cette phrase un certain anachronisme qui allait immédiatement sauter aux yeux du lecteur.
Ben non.
En résumé, l’ironie, pour être opérante, doit être comprise du lecteur. Cela suppose que ce dernier fasse un léger travail d’analyse, essaie de déceler, dans un texte qui peut être en apparence sérieux (et Dieu sait que le mien, en apparence, ne l’était pas) un léger changement de ton, une légère variation qui trahit le véritable point de vue de l’auteur. Bien sûr, le point d’ironie de notre cher Alcanter de Brahm lui épargnerait ces efforts. Mais cette indication ne nuirait-elle pas au propos ? Le lecteur a-t-il besoin qu’on lui signale à quel moment l’auteur se moque de l’esprit du temps, comme dans ces séries télévisées qui abusent des rires enregistrés ? Les écrivains peuvent-ils encore faire confiance à la sagacité de leurs lecteurs, ou devront-ils, désormais, leur mâcher tout le travail en écrivant clairement ce qu’ils pensent vraiment, sans détour, sans s’amuser à dire exactement le contraire pour faire les malins ?
Ou alors, j’ai tout simplement eu affaire à une idiote. Mais ça m’étonnerait, quand même…

4 commentaires:

Dj Zukry a dit…

Rien compris.

Pierre Driout a dit…

Moi je Lol toujours avec Zorro-Juldé !

Raphaël Juldé a dit…

Vous avez raison. Dans le doute, il vaut mieux toujours rire.

Pierre Driout a dit…

Quand je pense que Baudelaire a osé être misogyne, ce sac à vin !