Journal d'oisiveté
Juin 2013
Copyright Robert Kirkman/Charlie Adlard
Samedi 1er juin.
« ‒
Merci de nous recevoir, monsieur Julde…
‒
Juldé.
‒
Pardon, monsieur Juldé. Nous avons quelques questions à vous poser concernant
votre actu… Alors, on le rappelle, votre actu, c’est cette chronique
hebdomadaire, La Bibliothèque de Jupiter,
qui paraît tous les jeudis, je crois, c’est bien ça ?
‒
Oui, oui.
‒
Bien. Alors il s’agit d’une chronique consacrée à la littérature, et on va
dire, à un thème particulier qui touche à la littérature. De près ou de loin,
d’ailleurs, hein, puisque vous avez pu parler du roman, du monologue intérieur,
mais aussi du café, enfin… De thèmes comme ça un petit peu plus périphériques,
on va dire. Alors, la question qu’on se posait, c’était, tout d’abord :
est-ce que vous faites des recherches préalables pour rédiger vos textes, ou
est-ce que vous vous servez tout simplement des connaissances que vous avez,
enfin… Je m’aperçois en la posant que cette question n’est pas intéressante du
tout…
‒
Oui, non, elle n’est pas intéressante mais je vais y répondre quand même. Eh
bien, figurez-vous que je prévois prochainement de consacrer une chronique au
thème de l’aventure. Ah ! le récit d’aventures… Jules Verne, Stevenson,
Conrad… Et je me suis justement procuré le petit essai de Jean-Yves Tadié
consacré au Roman d’aventures. Je
suis en train de le lire, et c’est très instructif, mais d’un autre côté, je
constate au fil de ma lecture que j’aurais aussi bien pu écrire ma chronique
sans passer par là. Et c’est ce que je fais habituellement. Et ça se passe
plutôt pas trop mal. Je me contente généralement de vérifier certaines choses
dans des ouvrages spécialisés si je les ai à disposition (comme pour mon texte
sur les monstres – parce que mine de rien, j’ai un bon paquet de documentation
sur les monstres, je sais pas, c’est mon truc, moi, les monstres), et puis de
temps en temps je vais vérifier un truc ou deux sur Wikipédia. Voilà.
‒
D’accord. Et… par ailleurs, des rumeurs prétendent que vous auriez une relation
avec Kirsten Dunst. Vous confirmez ou pas ?
‒
On ne peut pas empêcher les rumeurs, vous le savez mieux que moi. Mais pour
protéger notre jardin secret, à Kirsten et à moi, vous comprenez bien que je ne
peux pas répondre à cette question.
‒
Merci, monsieur Julde.
‒
Juldé. Je ne vous raccompagne pas. »
Bref.
Cette petite plaisanterie pour dire qu’effectivement, je suis en train de lire
le Tadié et que je pense que la prochaine chronique pourrait parler de
l’aventure. Ou des aventures ?
Je ne suis pas encore bien fixé, et de toute façon, en ce moment, je me
concentre surtout sur les biographies. J’achève celle de Demi Moore ce matin,
et passe ma soirée sur Diam’s (et je dois me faire violence pour transformer en
qualités tout ce qui m’a toujours déplu chez cette rappeuse de pacotille) et
sur Diane Krüger. Il m’en restera encore trois à rédiger demain, et je serai en
mesure d’envoyer mes textes dès lundi. Poussé par la nécessité, je peux devenir
tout à fait productif…
Dimanche 2 juin.
J’avais
noté sur mon petit carnet les neuf noms de personnalités que je devais traiter
pour cette grosse commande de résumés biographiques. Dès que j’avais achevé un
article, je rayais un nom. Il m’en restait donc trois ce matin : Drew
Barrymore, et deux mecs que je ne connaissais pas. Ce soir, il ne reste plus
que le dernier, que je me réserve pour demain, finalement, parce que ce gars-là
a la mauvaise idée d’être une célébrité pas célèbre du tout : un acteur de
théâtre essentiellement, et franchement, qui ça intéresse, le théâtre ?
Alors je sens que je vais devoir tirer à la ligne, pour ce texte, et là je ne
m’en sens plus le courage.
Lundi 3 juin.
Finalement,
quand on parvient à trouver l’angle d’attaque qu’il faut pour rédiger ces 2000
signes à propos d’une célébrité parfaitement inconnue, et qu’on termine le
texte plus facilement qu’on ne le craignait, c’est plutôt un travail
satisfaisant. On pourrait prendre la célébrité par les épaules (en
l’occurrence, il s’agissait d’Eddie Redmayne), la regarder bien dans les yeux
et lui dire : « On a fait du bon boulot, toi et moi,
Eddie ! »
Je
suis surtout soulagé d’en avoir fini avec cette commande : en attendant la
prochaine, je vais pouvoir me lancer dans mon texte sur le roman d’aventures…
Je
vais pouvoir le faire, mais pas
aujourd’hui, bien sûr ! Pas avec ce soleil… C’est un temps à vivre des
aventures, plutôt qu’à les écrire !
(Évidemment,
je ne les vis pas non plus…)
Mardi 4 juin.
J’embarque
dans le bon gros livre que Norman Mailer a consacré à Lee Harvey Oswald, et je
jubile d’avance du voyage. J’aime sa façon de commencer par la bande, en
présentant d’abord des personnages secondaires, périphériques, le personnage
principal entrant en scène comme par raccroc, discrètement, le gentil flirt
américain de la jolie Russe romantique…
Et
j’embarque aussi dans mon article sur l’aventure. J’en écris une grosse partie,
laissant la suite à demain, ce qui n’est peut-être pas une bonne idée, puisque
les phrases s’enchaînaient facilement, dans un grand plaisir d’écriture… Mais
évidemment, je me suis mis au travail tard dans la nuit, et j’ai préféré
m’interrompre avant de ne plus avoir les idées très claires.
Mercredi 5 juin.
Article
achevé au réveil, et à vrai dire, je suis assez content de moi. Je dirais même
qu’il fait partie de mes meilleures chroniques de la Bibliothèque de Jupiter, avec celle sur la guerre… C’est en tout
cas l’une de celles que je me suis le plus amusé à écrire.
Jeudi 6 juin.
Je
lis Norman Mailer à la terrasse du Parvis en regardant à la dérobée les jambes
des filles. Ah ! Si j’avais dix ans de moins…
Hier,
un jeune de dix-neuf ans, militant antifasciste, est mort dans une altercation
avec un groupe d’extrême droite. Dans la presse, c’est tout de suite
devenu : « Clément Méric, agressé pour ses idées », « battu
à mort », etc. Pierre Bergé a sauté sur l’occasion pour accuser les
militants de la « Manif pour tous » et notamment Frigide Barjot
d’avoir « préparé le terrain » et « promis du sang », qui
maintenant « éclabousse la démocratie et la République ». On n’en est
plus à une récupération politique près… Quant à Bernard Debré, sur un mode
moins abject mais plus neuneu, il accuse les « jeux vidéo
hyper-violents ». Bon, mais lui, il est juste en retard d’une guerre ou
deux, visiblement.
Aujourd’hui,
un peu partout en France, l’extrême gauche se réunissait en mémoire de Clément
Méric et pour protester contre cet acte de violence. Le Front de Gauche
appelait à la dissolution des groupuscules d’extrême droite (bizarrement, il ne
prévoyait rien contre ceux d’extrême gauche).
En
fin de compte, il semblerait que ce soit Clément Méric lui-même, avec quelques
camarades « antifa », qui ait cherché querelle aux gros méchants
skinheads. Il se serait pris un coup de poing, sa tête aurait heurté un poteau,
et il serait resté au sol, en état de mort cérébrale. On est loin de la thèse
de l’agression sauvage, et du jeune « battu à mort » pour ses
« idées » ! Cette mort est absurde et révoltante, certes, mais
ce qui est encore plus révoltant, c’est cette instrumentalisation d’un
événement qui n’est en somme qu’une altercation qui a mal tourné… À peine
refroidi, le cadavre de Clément est piétiné par ceux-là même qui prétendent
honorer sa mémoire. Les mêmes qui crient « Pas d’amalgame ! »
quand des voitures sont brûlées dans les cités « sensibles »…
Aux
dernières nouvelles, la victime et ses agresseurs se seraient trouvés dans le
même appartement où avait lieu une vente privée « de vêtements de
plusieurs marques appréciées par les jeunes militants issus à la fois de
l’extrême gauche et de l’extrême droite. »
Mourir
pour ses idées, déjà, c’est con. Mais alors mourir pour un Fred Perry…
Vendredi 7 juin.
Étrange,
ces gens qui ne savent pas goûter le silence… Alors que je lisais une fois de
plus à la terrasse du Parvis, la table la plus proche de la mienne était
occupée par trois jeunes, une fille et deux garçons, les deux porteurs d’un
tee-shirt jaune vif – à tel point que j’ai d’abord cru qu’ils faisaient partie
d’une association quelconque. En fait, non : l’un d’eux portait un
tee-shirt jaune avec un peu de vert, mais je ne sais pas s’il était aux
couleurs du Brésil ou du Stade nantais. Bref : le type au tee-shirt jaune
uni parlait d’une manière intarissable, et tentait de convaincre l’autre de
postuler pour un emploi de vente par téléphone. Il lui expliquait tout le
principe de la chose, et que bien sûr il faut faire du chiffre, et que bien sûr
il ne faut jamais s’énerver même si le client potentiel vous « renvoie
chier », et que bien sûr il faut avoir la « tchatche »… La
« tchatche », le type l’avait, ça c’est sûr : on n’entendait que
lui ! Difficile, pour moi, de me concentrer sur le mariage de Lee Harvey
Oswald et de Marina Prusakova ! Et le plus insupportable, c’est que
lorsqu’il n’avait plus rien à dire, il enclenchait de la musique sur son Ipod
(du vague reggae à vomir) et chantait en yaourt par-dessus !
Mickaël
et Marie nous ont invités pour un barbecue de rattrapage après la soirée ratée
pour cause de gastro du mois dernier. Mais bien sûr, alors que le soleil a
brillé toute la journée, l’orage éclate au moment même où il faut se mettre en
route pour rejoindre la maison du couple. Je suis le premier arrivé (mais comme
l’Histoire ne retient que les trains qui arrivent en retard, ce ne sera sans
doute pas porté à mon crédit), puis arrivent Guillaume et Claire, Stan, Line et
Joséphine, et enfin Anthony. J’ai apporté des cadeaux pour les enfants,
puisque, à l’origine, nous devions fêter les deux ans de Thibault et,
accessoirement, la venue au monde de son cadet. Claire et Guillaume ont
également des cadeaux à offrir. Thibault et Joséphine se cherchent un peu
timidement d’abord – mais la soirée ne fait que commencer – et sur la table, le
petit dernier, Benjamin, attend l’heure du repas. Ce soir, c’est lait maternel,
comme d’hab’, et c’est Marie qui va dresser la table dans la chambre d’enfant,
où nous ne sommes pas conviés. Une contre-soirée, en quelque sorte.
La
grande question qui nous occupera un moment : la pluie va-t-elle se calmer
et, si oui, va-t-on tenter de dîner dehors ? À la première éclaircie
venue, on se déplace dans le jardin, de l’espoir plein les yeux, et aux
premières gouttes (qui sont tombées, je crois, à l’instant même où Tsonga
perdait contre Ferrer – parce que bien entendu, la télé était branchée sur
Roland-Garros), des dissensions éclatent dans le groupe, entre les courageux
qui voudraient, malgré tout, rester dehors, parce que c’est quand même pas
trois gouttes qui vont nous faire reculer ; et ceux qui songent qu’il est
inutile d’insister, puisque c’est un coup à devoir rentrer en catastrophe tous
les couverts et tous les plats qui auront été sortis pour les abriter.
Finalement, c’est la prudence qui l’emporte : nous sommes des trentenaires.
Ça
ne nous empêche pas, pendant que le barbecue s’embrase, de rester un peu dans
le jardin, où Thibault et Joséphine disputent une partie de football – à
laquelle on participe tous plus ou moins, du bout du pied – et vont admirer
Roger, le lapin qui nous enterrera tous (il a onze ans !). Je discute avec
Anthony et Claire de mes commandes d’articles. Cette semaine, je n’ai pas eu de
« bio » à rédiger, mais des « avis » de produits
culturels : DVD, bandes dessinées et même logiciels. Anthony s’amuse à
imaginer ce que je vais bien pouvoir dire pour vendre Norton Antivirus 2013. Je
vais trouver, je vais trouver…
Pendant
le repas, on parle évidemment de la mort de Clément Méric, et Stan nous fait
remarquer que son nom est l’anagramme de « crime » et de « merci ».
Je crois qu’on tient une piste que les enquêteurs ont ignorée jusqu’à présent…
Il faudrait voir du côté des groupuscules de joueurs de Scrabble d’extrême
droite… Stan, toujours lui, s’est entiché de l’expression « par
capillarité », qu’il ressort quinze fois dans la soirée.
On cause aussi
du vol des trois squelettes sur le site des fouilles archéologiques de
Saint-Tugal. Il ne s’agissait pas du secteur de fouilles dont s’occupait
Claire, mais ça a fait pas mal de bruit dans la presse locale. Un type est venu
piller la nécropole médiévale qui venait tout juste d’être mise à jour, et a
embarqué les squelettes dans un sac Leclerc ! Il les a restitués en
s’excusant, mais évidemment, les ossements sont devenus inexploitables. Finir
dans un sac en plastique, pour un noble du Moyen Âge, c’est plutôt triste…
Il est
également question de reprises électro de Brassens, de la chanson de Patrick
Sébastien Et quand il pète il troue son
slip, de Cyril Hanouna, de Maïtena Biraben, des tics langagiers de
Guillaume Durand, de l’émission Taratata
qui s’arrête et des multiples « nouvelles formules » de Nulle part ailleurs et du Grand journal depuis la période Philippe
Gildas (l’âge d’or). C’est donc en quelque sorte un plateau télé. La cave à vin
électrique de Mickaël a encore beaucoup fait parler d’elle, les buveurs ayant
étudié d’assez prêt l’odeur et le goût de quelques-unes de ses bouteilles, dont
la plupart, visiblement, seraient encore un peu trop acides pour faire un
vinaigre raisonnable.
Marie a été la
première à déclarer forfait et à aller se coucher (elle vient d’enfanter, ça
peut se comprendre), puis Line en fait autant (elle est enceinte, ça peut se
comprendre). Stan a pris la décision, adulte et responsable, de rester dormir
chez Mickaël et Marie, ce qui évitera de réveiller Joséphine pour la ramener
dans son lit. Peu après le départ de Claire et de Guillaume, Anthony et moi
levons le camp aussi, vers deux heures. Il ne pleut plus. On aurait pu manger
dehors…
Dimanche 9 juin.
L’après-midi,
je viens à bout de la quinzaine d’avis que je devais rédiger, concernant des
films, des bandes dessinées et des logiciels informatiques. Le soir, en guise
de récompense, je vais au Cinéville voir le film Hannah Arendt, de Margarethe von Trotta. La philosophe face à la banalité
du mal personnifiée par Adolf Eichmann – la Bête immonde sous la peau d’un
petit fonctionnaire à lunettes, enrhumé et parcouru de tics. Cette question de
la « banalité du mal » et surtout celle de la
« collaboration » des chefs juifs à la Solution finale la mettent
face à l’incompréhension de la communauté juive, qui se sent trahie par l’une
des leurs. Assez bon film, qui met en lumière cette question qui empoisonne
encore tous les débats politiques actuels : faut-il dire la vérité lorsque
celle-ci est en contradiction avec la pensée officielle, juste et progressiste,
du temps ? Peut-on la dire sans
être aussitôt insulté, condamné ? Et tenter de comprendre le mal, est-ce
l’excuser ?
Lundi 10 juin.
Aujourd’hui,
pour la première fois, j’ai refusé une commande d’articles. Je l’ai fait après
avoir longuement hésité, et avec beaucoup de scrupules : je n’aime pas
dire non. Que va-t-on penser de moi ? Mais il s’agissait d’articles
consacrés au jardinage – un domaine qui m’est parfaitement étranger. Deux articles
seulement, pour une commande de dix-sept euros, mais qui, si je l’avais
honorée, aurait inauguré une autre série de commandes plus importantes,
consacrée au même thème. En me renseignant sur Internet, j’aurais pu écrire ces
articles… mais bon, je ne me sentais pas le courage de m’attaquer à un secteur
totalement inconnu de moi. Ce refus, malgré tout, m’a occupé l’esprit une bonne
partie de l’après-midi : après tout, j’ignorais à quel moment on allait me
proposer autre chose… Et finalement, ça ne s’est pas fait attendre : à la
place, on m’envoie une dizaine de nouvelles biographies à rédiger, pour un
montant de cent quarante euros : Eh bien ! Qu’est-ce que j’ai bien
fait de refuser la première commande, finalement !
En
lisant le livre de Norman Mailer sur Lee Harvey Oswald, et surtout la période
de la vie d’Oswald en Russie, je ne peux pas m’empêcher de penser au paradoxe
invraisemblable qui fait qu’aujourd’hui encore, le communisme soit considéré
par beaucoup comme une idéologie positive et libératrice. Les gens de ma
génération n’ont pas connu le fascisme. Le seul totalitarisme qui nous soit
réellement contemporain est le communisme. La Guerre Froide est encore récente,
et nous avons vu tomber le Mur de Berlin ! Nous ne pouvons donc pas prétendre
ignorer ce que représente le communisme, à moins d’un aveuglement volontaire,
d’une mauvaise foi en titane ! Même Oswald, venu en U.R.S.S. pour fuir le
capitalisme, après trois années passées à subir la bureaucratie soviétique,
l’interdiction de circuler librement (il n’avait pas le droit de quitter
Minsk), l’interdiction de s’exprimer librement (on ne parle pas de politique en
public, pas même à la terrasse d’un café), et une surveillance de chaque
instant par le KGB (qui avait truffé de micros l’appartement qu’il partageait
avec sa femme Marina) ; même Oswald, de retour aux Etats-Unis, continuait
à prétendre qu’il n’y avait pas moins de liberté en Russie qu’en Amérique, et à
distribuer des tracts pro-cubains. Oui, vive le communisme ! Quel plaisir
de vivre dans un pays pauvre où chacun surveille chacun, plutôt que dans un
pays riche où l’individu est libre de dire et de faire ce qu’il souhaite… Il
faudrait toujours relire le Mea Culpa
de Céline.

Mardi 11 juin.
Ma mère
m’apprend au téléphone la mort de l’oncle Bernard – l’un des frères de mon
grand-père, qui avait fêté ses quatre-vingts ans tout récemment. L’enterrement
a lieu demain au Bignon du Maine.
Pas
vraiment d’idée pour ma chronique de jeudi, et avec cet enterrement, ça risque
d’être difficile de l’écrire demain – mais il le faudra bien.
Finalement,
ce soir, je décide, puisque j’avais laissé le lecteur sur un faux suspense la
dernière fois, de parler des « suites », et plus précisément des
continuations du Moyen Âge. Je commence mon texte, que j’interromps assez vite
pour aller au cinéma.
Je
suis allé voir Gatsby le Magnifique.
J’y suis allé en anticipant la déception, voire la colère, que j’allais
ressentir en voyant piétinée l’œuvre de Fitzgerald. Du coup, pas de déception,
pas de colère : ce film est le navet auquel je m’attendais, ni plus ni
moins. Qu’espérer d’autre de la part du réalisateur de Moulin Rouge, ce Navet des navets (comme il y a le Cantique des cantiques) ? C’est
comme si une délicate friandise, légère et raffinée, avait été métamorphosée en
une immense pièce montée indigeste, dégoulinante de chantilly, que vous alliez
être obligé d’avaler en intégralité, et sans vomir… Rien que le choix de Tobey
Maguire dans le rôle de Nick Carraway est une hérésie. Je m’attendais à le voir
ouvrir sa chemise et endosser le costume de Spiderman à chaque moment un peu
intense du film ! (Attention ! J’aime beaucoup Spiderman ! Mais
dans Spiderman…) Et ces couleurs
vives tout le temps, ces effets de caméras à l’attention des débiles profonds
(waooouuhhh ! la plongée fulgurante façon montagnes russes le long des
buildings, et qu’on nous ressert deux fois (au moins) au cas où on ne l’aurait
pas suffisamment appréciée à la première fournée), cette mise en scène qui vous
enfonce le clou de chaque plan, comme si vous aviez besoin qu’on vous souligne
bien tout au Stabilo pour que vous compreniez… Oh ! Le vent qui souffle
dans les grands rideaux blancs la première fois que le spectateur rencontre
Daisy, pitié !... Et le contraste exagéré jusqu’au ridicule entre l’ilôt
paradisiaque du château de Gatsby et les sombres bas-fonds du centre de New
York !... Jamais un peu de délicatesse, un peu de subtilité ? Non,
vraiment, il faut supporter du début à la fin tout ce clinquant qui sonne
faux ? Et cette bande originale insupportable… Admettons que ce soit un
choix esthétique de prendre des musiques contemporaines plutôt que des
fox-trots ou des charleston des années 20 – admettons. Mais fallait-il pour
autant choisir de la daube ? Je pose la question ? Le plus terrible,
finalement, mais par charité je mettrai plutôt ça sur le compte de la version
française, c’est que même la voix off – c’est-à-dire le texte authentique de
Fitzgerald – sonne faux, dans ce film. Et surtout redondant, comme tout le
reste. Devant ce désastre, on a parfois une pensée pour ce grand film qu’aurait
pu donner Gatsby le Magnifique, avec
un autre réalisateur que Baz Luhrmann… et un autre acteur que Spiderman.
Leonardo DiCaprio, finalement, est le seul qui s’en sorte un peu – et il a bien
du mérite, parce qu’il n’est pas aidé, le pauvre…
Mercredi 12 juin.
Ma chronique
est quasiment terminée lorsque mon frère passe me prendre en début d’après-midi
pour rejoindre la sépulture de Bernard, au Bignon du Maine. Il y a déjà
beaucoup de monde sur le parvis de la petite église, et la foule va continuer
d’augmenter, la plus proche famille étant déjà installée dans l’église. Il faut
dire que notre grand-oncle était une gloire locale, ayant été maire du Bignon
pendant douze ans, et ayant participé activement à beaucoup de travaux pour la
commune et ses environs au sein du conseil d’administration…
Mon frère, qui
a profité de sa pause pour venir, ne reste que pour la messe. Nous sommes tout
au fond de l’église, là où un Dieu un peu myope ne pourrait pas nous voir, et
nous nous levons et nous asseyons au rythme de l’office, en imitant autant que
faire se peut les autres membres de l’assistance. Nous n’allons pas jusqu’à
faire le signe de croix… Beaucoup d’hommages sont rendus au mort, de la part de
ses enfants et petits-enfants, et de celle du collègue de Bernard au conseil.
C’est au moment de quitter l’église qu’Erwan et moi sommes pris de
scrupules : faut-il agiter le goupillon au-dessus du cercueil en passant à
côté, ou peut-on se contenter de poser la main dessus ? À mon avis, on
peut se passer du goupillon, mais comme tout le monde l’utilise, on préfère
agir comme tout le monde pour ne pas créer un incident diplomatique. Erwan
dessine une vague croix dans l’air, moi j’ai plutôt l’impression de donner de petits
coups de salière au-dessus d’un plat…
Mon frère
retourne donc au boulot, moi j’attends la sortie du cortège et retrouve ma
mère, Émile et toute la famille, qui prend la direction du cimetière juste en
face. Riton et Marie-Hélène soutiennent ma grand-mère qui se déplace
difficilement. Bernard va retrouver sa Marguerite, morte il y a deux ans. Je
serre des mains et embrasse des gens que je n’identifie pas forcément, cousins
et parents que je ne vois guère qu’aux grands repas rassembleurs. L’oncle Marcel,
le frère aîné de Bernard, est le seul garçon qui reste de la fratrie Chabrun,
maintenant… Je craignais d’être beaucoup sollicité après les recherches que
j’ai effectuées autour du « grand-père » Chabrun – ma vieille
réticence à être mis en avant et à devoir prendre la parole – mais c’est
surtout avec Riton et avec Joël que j’en parlerai un peu, avec Marie-Hélène
également, et une cousine qui me dit que la synthèse de mes recherches a fait
un heureux : son fils, qui est en CM2, étudie justement la Première Guerre
mondiale, et était fier de pouvoir parler de son arrière-grand-père. Notre
procession a rejoint tranquillement la salle des fêtes toute proche, passant
devant la maison, désormais vide, de Bernard et Marguerite, et leur jardin
rempli de fleurs. Cette salle des fêtes a bien changé depuis la dernière fois
que j’y suis allé. Mon journal pourrait dire en quelle année c’était, et à
quelle occasion – moi, je suis une passoire. Les plus mémorables fêtes de mon
enfance s’y sont déroulées, tous les repas de famille, les anniversaires…
Normal qu’on se retrouve tous ici pour le vin d’honneur – pour le café, en ce
qui me concerne. Riton évoque avec ma mère l’enterrement du
« grand-père » Chabrun, en 1969. Il se souvient qu’à l’occasion, les
parents – c’est-à-dire les fils et filles de Jean-Baptiste – s’étaient mis à
chanter, transformant un événement sinistre en un rassemblement chaleureux.
Comme
Riton et Marie-Hélène doivent raccompagner « mamie » à la maison de
retraite, c’est eux qui me déposeront à Laval. C’est surtout pendant le trajet
du retour qu’on évoque le grand-père et mes recherches.
De
retour chez moi, après avoir dîné, je me remets sans grande difficulté à mon
texte pour la Bibliothèque de Jupiter.
Encore un de fait !
Jeudi 13 juin.
En
ville, je me fais interpeller par des élèves de Réaumur, mes chers premières,
qui me disent que je leur manque (eh ouais, je sais, je sais…), me demandent ce
que je fais en ce moment et comment se sont passé mes concours. Comme je leur
explique que j’écris des textes sur le Net pour gagner un peu d’argent, l’un
d’eux me dit : « En tout cas, le jour où tu publies un roman, on ira
l’acheter ! » Merci, les p’tits gars. En attendant, bon courage pour
le bac de français.
Vendredi 14 juin.
Je passe à
M’Lire où j’achète un petit recueil de textes de Mark Twain sur la
religion : Quand Satan raconte la
terre au Bon Dieu. Je prends mon café au Parvis où je poursuis la lecture
du livre de Norman Mailer.
Samedi 15 juin.
J’aide
ma mère à déménager ce matin, ou plutôt à emménager dans le nouvel appartement
qu’elle occupera à quelques mètres de chez moi. Quand j’arrive, je vois qu’elle
est accompagnée d’une femme de l’agence qui lui loue l’appartement. Une très
jolie jeune femme, d’ailleurs, avec d’incroyables yeux verts. Cette femme est
aux prises avec plusieurs trousseaux de clés pour ouvrir la cave et le local
poubelles, et avec un long tournevis pour vérifier le compteur EDF. Ma mère,
toujours prévenante, est embêtée de la voir perdre son temps à essayer toutes ces
clés, mais la belle la rassure : c’est son métier. En ce qui me concerne,
j’aurais bien aimé qu’elle se débatte avec ses trousseaux pendant encore une ou
deux heures… Mais elle finit par s’en aller, et nous voilà à vider le
camping-car. Ce sont surtout les cartons qui nous occupent pour
l’instant : les gros meubles et l’électroménager, ce sera pour plus tard.
J’arrive à me faire mal au dos en posant le grand coffre « du mort »
de ma mère (« Yo-oh-oh ! Et une bouteille de rhum ! »), et
une bonne douleur qui va me suivre toute la journée, et sûrement encore pour
quelques jours, malgré le Doliprane et le gel contre les souffrances
musculaires. Je me déplace comme un vieillard tout le reste de l’après-midi,
avec l’impression d’être un Saint-Sébastien traversé de flèches à chaque fois
que je m’assois ou que je me lève. Moi qui comptais écrire plusieurs
« bios » ce soir, je me contenterai d’une seule et passerai le reste
de la soirée devant la série The Walking
Dead. Les zombies, dans cette série, sont plus alertes que moi…

Dimanche 16 juin.
Je passe la
journée comme un bout de bois sec prêt à se briser au moment où quelqu’un aura
la mauvaise idée de le plier en deux. Je trouve tout de même le moyen d’écrire
deux biographies dans ces conditions difficiles, le dos complètement déchiré.
Je dois être une sorte de héros.
Lundi 17 juin.
Guillaume
m’ayant conseillé un livre amusant, une histoire de zombie, Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère et
retrouvé l’amour, par S.G. Browne, je lui ai demandé de me le mettre de
côté, et je vais le chercher cet après-midi.
J’ai
sérieusement ralenti le rythme de ma production de biographies de célébrités.
Je comptais en faire deux ou trois par jour pour pouvoir les renvoyer
rapidement, mais je n’en ai écrit que deux hier, les jours précédents je n’en
ai fait qu’une par jour, et aujourd’hui aucune. Et comme je vais également
devoir m’occuper de ma chronique mardi ou mercredi, cette production risque de
ralentir encore. J’ai un délai plutôt souple : je dois rendre ces textes le
1er juillet au plus tard. Mais j’aurais aimé les renvoyer dès cette
semaine. Il faudra plutôt compter sur la semaine prochaine…
Mardi 18 juin.
L’ancien
propriétaire, ou emprunteur, du livre de Norman Mailer sur Oswald que je suis
toujours en train de lire, a orné les marges de quelques remarques – ou plutôt
de quelques corrections, exactement comme un prof sur une copie d’élève. Autant
je peux comprendre qu’on prenne des notes en marge des livres (même si je ne le
fais pas moi-même), autant ce besoin de corriger m’échappe un peu. À chaque
fois que l’auteur cite l’en-tête d’une lettre d’Oswald, et que le traducteur a
noté : « Chers messieurs », le lecteur a barré rageusement le
« chers », ajoutant même une fois dans la marge : « Mauvais
traducteur ! » Il est aussi adepte du point d’exclamation scandalisé
pour souligner une faute qui lui a sauté aux yeux. Il croyait peut-être que le
traducteur prendrait connaissance de ces corrections ? Le résultat, c’est
qu’à chaque fois que je repère une coquille que ce rigoureux veilleur n’a pas
soulignée, je suis surtout offusqué par son manque de vigilance.
« Quoi ? Il ne l’a pas lue, cette page ? Il dormait, ou
quoi ? »
Mercredi 19 juin.
J’écris mon
texte sur l’adaptation pour la Bibliothèque
de Jupiter. Pas un très bon texte, cette fois. J’ai parfois un peu de mal à
doser équitablement l’humour et la réflexion, ou l’analyse pertinente…
Pertinente, elle ne l’est d’ailleurs pas toujours. En l’occurrence, sur les
adaptations cinématographiques, je ne suis pas persuadé d’avoir une opinion
très originale…
Jeudi 20 juin.
Après une
longue période de disette où je culpabilisais à la fois de ne pas avoir
d’argent et de ne pas me débrouiller correctement pour en gagner (i.e. :
de ne pas trouver de travail), j’ai savouré ce retour à des finances un peu
plus saines (et encore si précaires, pourtant) permis par ma nouvelle
occupation de rédacteur web. J’avais besoin de ce passage pour me permettre de
souffler un peu. Mais il est temps que ça cesse, que je retrouve un emploi un
peu plus sûr pour la rentrée et que je me garde aussi du temps pour écrire des
textes personnels, littéraires, et pas simplement ma petite chronique du jeudi.
L’idéal serait que je me lance enfin dans un roman, mais il faudrait pour cela
que je sois dessus tous les jours, et c’est cette discipline qui m’intimide
encore…
Vendredi 21 juin.
J’avais
complètement oublié la Fête de la Musique ! C’est en me connectant sur
Facebook et en lisant quelques statuts que ça me frappe. Ah ! Mais
oui ! C’est ce soir ! Aucune envie de ressortir de chez moi pour
aller me torturer les tympans. De toute façon, comme de son côté le soleil a
complètement oublié l’été, c’est une raison suffisante pour rester chez moi.
Oh ! Il y aurait sûrement eu beaucoup de filles très mignonnes, dans les
rues, ce soir – mais de ce temps-là je doute qu’elles aient osé les tenues
légères…
Samedi 22 juin.
Je
suis plongé dans le livre que m’avait conseillé Guillaume, Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère et retrouvé l’amour,
histoire de zombies racontée par un zombie, hilarante, et même émouvante
parfois – et c’est un sacré challenge d’émouvoir avec les peines d’une bande de
morts-vivants ! En tout cas, c’était exactement la lecture dont j’avais
besoin en ce moment où je revois la série The
Walking Dead. Série qui, décidément, est bien meilleure que ce que j’avais
cru la première fois que je l’avais vue. Il est vrai que la première saison
n’est pas une réussite, mais la deuxième est un régal d’hémoglobine et de
démembrements. Et les personnages gagnent en complexité…
Dimanche 23 juin.
J’avais
prévenu ma mère que je serais à Paris le week-end prochain, mais elle avait
compris qu’il s’agissait de ce week-end, et elle n’a pas fait appel à moi hier
pour l’aider à déménager. Je m’étais étonné qu’elle ne m’appelle pas, et je
m’étais finalement dit qu’elle avait peut-être l’intention de déménager le
dimanche, c’est-à-dire aujourd’hui, et non le samedi. Mais non, le déménagement
a bien eu lieu hier, et par chance Erwan est venu accompagné de ses copains. En
revanche, ma mère me demande tout de même un petit coup de main pour apporter
quelques pans de meubles à son appartement, ce que je fais avec Émile et elle.
C’est assez rapide et je peux ensuite retourner à mes écrits – c’est-à-dire en
ce moment les bios de starlettes.
Lundi 24 juin.
Moi
qui avais voulu me débarrasser assez rapidement de la dizaine de bios que je
devais écrire pour le 1er juillet, afin d’en toucher la rémunération
à temps pour mon week-end parisien, je me retrouve encore embourbé là-dedans,
et particulièrement fatigué. Je parviens tout de même à en écrire trois
aujourd’hui, il ne m’en restera donc plus que deux à traiter demain. En
l’espace de dix jours, j’ai donc eu à me farcir, entre autres, James Blunt,
Justin Timberlake, Keith Richards, Lorie, M Pokora, Marc Levy, Marilyn Manson
ou encore Mazarine Pingeot. Tout en rédigeant des commentaires sur des livres
et des bandes dessinées (une vingtaine en tout). Éclectisme est mon deuxième
prénom. J’en viens à bout, mais j’ai encore à écrire ma chronique pour jeudi et
mon texte pour la soirée Zapoï. Dire
qu’il y a trois mois à peine, j’étais encore un fainéant…
Mardi 25 juin.
Ce
matin, j’ai décidé de revenir au Juldé modèle 2011, et je me suis rasé la
barbe. So vintage I am !
Vingt
jours… Vingt jours qu’on nous emmerde avec la mort de Clément Méric !
Aujourd’hui, c’est RTL qui évoque une vidéo qui confirmerait la thèse selon
laquelle Méric aurait provoqué les skinheads, reçu un ou deux coups de poing,
et serait mort des suites de ces coups. Cette mort est tragique, et je trouve
tout aussi lamentables les discours selon lesquels Méric n’aurait eu que ce
qu’il méritait, que les récupérations politiques de la gauche. Les affiches
« Ni oubli, ni pardon » du Front de Gauche sont à vomir, et les
commentaires de l’extrême droite insultant Méric me dégoûtent tout autant. Mais
ce qui m’énerve le plus, c’est qu’un simple fait divers ait été transformé en
phénomène de société, et un gamin victime d’une bagarre qui a mal tourné en une
espèce de nouveau Martin Luther King, ou de nouveau Malik Oussékine… Pourtant,
ce n’est que ça : une bagarre qui a mal tourné, un fait divers lamentable
qui ne méritait guère qu’un entrefilet dans Le
Parisien… Clément Méric, mort pour ses idées ? Faut quand même pas
déconner… « Descendez, sales fachos, on va vous
massacrer ! » – c’est des idées politiques, ça ? Mais c’est
une insulte à la mémoire de tous ceux qui sont réellement morts pour leurs idées ! Mélenchon et sa clique
n’ont vraiment aucune honte…
J’ai
enfin terminé mes bios, ayant traité le cas de Mimie Mathy ce matin et celui de
Mischa Barton ce soir. Ça m’a crevé, tout ça. Ou peut-être est-ce le fait de ne
plus savoir me coucher avant trois ou quatre heures du matin, va savoir…
Mercredi 26 juin.
Toujours à
court d’idées pour ma chronique – rien ne m’emballe vraiment dans la longue
liste de thèmes que j’ai rédigée sur mon carnet – je décide, pour cette
semaine, de parler de la page blanche. Un jour, il faudra que je paie pour
toutes mes impostures.
Jeudi 27 juin.
J’écris mon
texte pour la soirée Zapoï, sans
grande difficulté. Un bon discours, je pense. Qui, bien lu, pourrait même être
assez émouvant…
Vendredi 28 juin.
La
terrasse du Marais est déjà bien achalandée quand j’arrive pour la soirée
Zapoï. J’ai mon discours dans la poche
arrière de mon jean, je suis prêt à le dégainer à tout instant, et j’ai plutôt
la forme, ce soir. Je suis en mode « social », paré pour les
discussions, et j’ai affûté mon humour avant de venir. Après avoir salué ceux
de la terrasse – Yoan, Candice, Simon et Séverine, Gérald et Émilie, Charles et
Marie, etc. – je vais voir Anthony, Stan, Gabriel, Antoine, et d’autres à
l’intérieur. Le
Zapoï n° 4 est là,
disposé sur les tables
et sur le
comptoir par paquets de trois, en éventail. Un peu psychorigide, comme
présentation… Je propose d’ailleurs qu’on adopte pour devise « Drôle et
psychorigide » pour notre revue – un peu comme le « bête et
méchant » de
Hara-Kiri… Je
discute un moment avec Yoan, on cause de notre « job » de rédacteurs
web, mais aussi du jeu vidéo
The Last of
Us, de la série
Walking Dead et
des films de zombies en général. Il n’y a pas de chorale punk ce soir pour me
piquer la vedette, mais je dois tout de même décider du meilleur moment pour
faire ma lecture, et du meilleur endroit : à la terrasse, ou à
l’intérieur ? Quand je lis à voix haute, je m’enflamme facilement, et j’ai
la voix qui porte – mais à l’extérieur, je cours le risque de m’abîmer la
gorge, et j’aimerais pouvoir en faire encore usage ce week-end à Paris… Ce sera
donc à l’intérieur. Quand on a décidé que le moment était venu, Anthony stoppe
la musique, Charles s’installe au piano pour me faire une petite introduction,
les buveurs de la terrasse sont priés de rentrer dans le bar, et je me lance
dans un hommage vibrant à ce grand inconnu que fût
Jean-Noël Gerboin.
Mon discours fait un tabac, je crois
bien n’avoir jamais eu un public aussi réceptif, et n’avoir jamais été aussi
applaudi (ou alors peut-être à l’époque de Trompe la Mort, mais j’ai oublié).
J’ai eu du mal à garder mon sérieux quand j’ai entendu Anthony éclater de rire
à ma gauche, mais je suis venu à bout de mon hommage, en jouissant de l’écoute
aussi attentive qu’amusée de l’assistance. On aurait entendu une mouche roter,
et même elles n’osaient pas le faire. Je me mets à bavarder avec Gérald, qui a
apprécié mes talents d’orateur (hum…), et nous causons notamment de
l’« affaire » Clément Méric. Charles, avec qui je discute ensuite,
m’apprend qu’il était à Paris récemment, et qu’en allant au Louvre il espérait
un peu tomber sur Pierre Cormary – mais celui-ci travaille à Orsay, pas au
Louvre ! Et d’ailleurs, comme je dois me lever tôt demain pour aller à
Paris et voir justement Pierre, je ne m’éternise pas chez Dany. Je quitte le
bar alors que les applaudissements ruissellent de la terrasse, lancés par
Gérald, immédiatement imité par tout le monde. Merci, merci, c’est trop,
vraiment…
Samedi 29 juin.
Une légende tenace – alimentée,
certes, par mon journal – veut qu’à chaque fois que je prends un train, il
m’arrive des bricoles. Je le rate, il me rate, ce genre de choses… Cette fois,
tout se passe sans problème : départ de Laval à 8 h 41, et je suis dans le
train. En revanche, la femme de ma vie l’a loupé, une fois de plus. Celle-là,
je ne la connais pas, je ne l’ai jamais vue, mais ça m’a l’air d’être une
sacrée étourdie…
Comme je n’ai rencontré aucun
problème avec le train, il fallait nécessairement que j’en rencontre un avec
l’hôtel. Je m’y suis pris un peu tard pour le réserver, et celui que j’ai pu
trouver est assez cher, 85 euros la nuit. Et comme j’ai également tardé à
renvoyer mes articles de commande, que ceux-ci ne m’ont donc pas encore été
payés, et que mes possibilités de retrait sont ridicules, je ne peux pas
utiliser ma carte bancaire. J’ai donc demandé à Pierre de me prêter en liquide
de quoi payer ma chambre, en lui laissant un chèque qu’il pourra déposer dans
la semaine. Je me rends donc à l’hôtel de l’Europe, dans le XIVe,
l’esprit tranquille : puisque je vois Pierre ce soir, je n’aurai aucune
difficulté à payer ma chambre demain.
Dès le début, pourtant, je sens que
quelque chose ne va pas, dans cet hôtel… Quand j’arrive, à environ un jet de
pierre de l’entrée, je vois qu’un type qui fait le pied de grue devant l’entrée
de la partie restaurant, sans prendre la peine de me saluer, se retourne vers
l’intérieur pour gueuler à son collègue : « V’là un client pour
toi ! » Bon. Le manque de courtoisie est peut-être une coutume
locale, je ne m’en formalise pas. J’entre dans la partie hôtel, explique que
j’ai réservé une chambre, qu’il est peut-être un peu tôt pour qu’elle soit
prête (il est à peine onze heures), mais que j’aimerais poser mes affaires
quelque part – le truc habituel. Le réceptionniste m’écoute distraitement, me
coupe : il ne veut pas m’enregistrer maintenant, je n’ai qu’à laisser mes
bagages ici, lui ne pense qu’à retrouver son lit. Ah ! Bon,
d’accord : s’il a veillé toute la nuit, je peux comprendre qu’il ait envie
d’expédier rapidement les derniers clients… Mais des horaires de nuit qui
s’achèvent à onze heures du matin, ça existe vraiment, ça ?
Bref. Je laisse mes affaires dans un
coin et retrouve le métro qui me dépose à Saint-Sulpice. Je prends de l’avance
sur mon après-midi en visitant déjà quelques librairies, à commencer par La
Procure. Je rejoins le boulevard Saint-Michel en traversant le Luxembourg.
C’est fou ce que les gens sont pressés à Paris : même dans les jardins
publics, ils courent. Et pour tourner en rond, en plus ! Enfin, parmi ces
joggeuses il y en a de bien mignonnes, tout de même, avec des corps
impeccables… L’exercice qu’elles pratiquent par petites foulées entre le Sénat
et l’École des Mines serait-il une explication à leurs silhouettes
parfaites ? Le sport serait donc bon pour la santé, contrairement à ce que
j’ai toujours cru ? Si j’avais su…
Je ne compte pas acheter grand-chose
ce week-end – je ne peux pas vraiment me le permettre, de toute façon – mais je
compense en bavant (intérieurement) devant toutes les jambes féminines qui
passent. Mentalement, je me glisse sous des dizaines de jupes et de robes,
m’égare dans des décolletés… Je déjeune au McDo, et commande par erreur un
Royal Deluxe. Je voulais un Royal Cheese, le hamburger qui contient tout ce que
j’aime… Le Deluxe contient tout ce que j’aime mélangé à ce que je n’aime pas.
Mais bon, j’ai faim et j’ai payé, alors je mange.
Je suis de retour à l’hôtel en début
d’après-midi, bien décidé à prendre possession de ma chambre, cette fois. C’est
là que les ennuis commencent. Le réceptionniste, qui ressemble étrangement à
celui que j’ai vu le matin (Joseph K., au secours !), me demande de payer
tout de suite. Je lui explique que ce n’est pas possible, qu’un ami doit me
prêter de l’argent, mais que je ne le verrai que ce soir. Alors, il ne me
donnera la chambre que ce soir. Euh… Oui, mais je risque de ne revenir que vers
deux heures du matin, avec le dernier métro ! Est-ce que le réceptionniste
de nuit s’occupe aussi des réservations ? Le type me coupe :
« Il faudra voir ça avec le boss, il sera là dans l’après-midi… » Je
ne vais pas rester toute l’après-midi ici, quand même ? Il ne sait me dire
que ça : « Il faut voir avec le boss ! » Le boss… Maintenant, quand j’entends ce
mot-là, je vois toujours un boss final de jeu vidéo, le genre qui vous tue en
un coup… Et comme j’essaie d’argumenter, il ne cesse de me donner la même
réponse. Je ne voudrais pas paraître raciste (parce que c’est mal), mais mon
interlocuteur a des origines arabes, et elles rendent la conversation
difficile. On sent qu’il ne comprendra que ce qu’il voudra, en gros, et dès que
j’essaie de trouver un arrangement, il m’interrompt. Pour finir, il me demande
d’attendre, parce que des clients asiatiques viennent d’arriver, et qu’il
téléphonera ensuite au « boss » (okay, alors « R » pour
recharger, clic gauche pour tirer…).
Je m’assois à une table… et il
m’appelle aussitôt ! « Vous parlez anglais ? » Ce
réceptionniste décidément merveilleux ne connaît pas l’anglais, et me demande
de lui servir d’interprète pour ses clients asiatiques, un homme et deux
femmes. Espérant que mon dévouement me vaudra un peu d’indulgence de sa part,
j’apporte bien volontiers mon aide dans cette affaire. Du reste, je n’ai qu’à
me dire que ce sont les clients que j’aide surtout, car ils sont très
sympathiques, et non pas l’employé… J’ai du mal à croire qu’un réceptionniste
d’hôtel soit incapable de se débrouiller pour donner des explications en
anglais, d’autant plus que généralement, les clients demandent toujours à peu
près la même chose… Ah ! Si, il a su dire breakfast, quand même… En tout cas, je me suis rendu utile, et j’ai
sympathisé avec ce groupe d’Asiatiques – même si j’ignore s’il s’agissait de
Chinois, de Japonais ou de Coréens…
Une fois achevées ces tractations
avec l’Orient, le réceptionniste retrouve son disque : « Le boss sera
là dans l’après-midi, vous verrez ça avec lui. » Il n’est plus question de
lui téléphoner, visiblement. J’en ai marre, je m’en vais.
De retour à Saint-Michel, je décide
d’appeler Pierre, pour savoir s’il est chez lui, afin de régler ce problème
avant la nuit. Il est bien là, en train d’écrire un texte, il me propose de
passer dans une heure, ce qui lui permettra de faire une pause. Parfait, en
attendant je passe d’une librairie à l’autre sur le Boul’Mich’ en reluquant des
tas de jambes qui vont par deux, toujours un peu au bord de la tachycardie.
D’un métro l’autre, je me retrouve
chez Pierre, qui va donc pouvoir me prêter l’argent tout de suite. Il vient
d’effacer par mégarde une page fraîchement écrite, je ne vais donc pas pouvoir
rester longtemps : il a du pain sur la planche pour la réécrire. Oui, je
sais ce que c’est, d’avoir passé des heures à rédiger quelque chose pour
s’apercevoir ensuite que tout a disparu et qu’il va falloir recommencer – je
compatis sincèrement. Je lui raconte mes mésaventures hôtelières avant de le
laisser retourner au travail.
Moi, je reprends le métro pour
retourner à l’hôtel. J’avais largement assez de tickets de métro pour ce
week-end parisien, mais je suis en train de tous les utiliser dans ces
allers-retours inutiles. Et mes ennuis ne sont pas finis : je laisse au
réceptionniste les deux billets de cinquante euros que vient de me confier
Pierre, et… il n’a pas de monnaie ! Il me donne la clé de ma chambre, m’explique
qu’il me rendra la monnaie plus tard – je sens le coup fourré. D’autant plus
qu’il a calculé le prix de ma chambre sans voir qu’en la réservant par
Internet, j’en avais déjà payé une partie ! Il a noté qu’il devait me
rendre six euros, alors qu’il doit m’en rendre 15,50 – on est loin du compte…
Ce n’est que dans ma chambre que je me suis aperçu de cette erreur, que je lui
ai précisée en redescendant. Il était en train de recompter une pile de billets
avec un autre employé (le fameux boss ?) et m’a prêté une oreille assez
distraite. Mais dans quel endroit je suis tombé, moi ? C’est dans ces
moments-là que ma gentillesse coutumière et ma timidité deviennent de terribles
handicaps. J’aurais dû me mettre en colère et exiger ma monnaie sur-le-champ –
mais j’étais déjà pas mal engagé dans la rue du Père Corentin quand ma colère
s’est réveillée. Jamais là quand on a besoin d’elle, celle-là, et maintenant
elle va m’empêcher de jouir pleinement du fait de me promener à Paris, sous le
soleil, avec des filles toutes plus belles les unes que les autres, entre le
boulevard Saint-Germain et la FNAC des Halles…
À 20 heures, je suis chez Pierre. Il
y a déjà Jean-Rémi et Élise, et un fond musical de jazz qui n’a pour but que de
punir Jean-Rémi, qui n’aime pas le jazz. Le thème de cette soirée vidéodrome
étant le châtiment, nous aurons tous droit au nôtre. Le mien, c’est de ne pas
boire d’alcool ce soir (je m’en sors plutôt pas trop mal). Mais comme Pierre
est avant tout un grand masochiste, il remplace le jazz par des chansons de
Damien Saez, l’inénarrable « Fils de France », et bien sûr
« J’accuse » – où l’on sent bien que la révolution passe d’abord
par une réinvention intégrale de la prononciation du français (« J’aqueuse !… Au mégaphone dans
l’assemblaie !!!... »). C’est à ce moment qu’arrive Cécile, qui
se demande un instant si Pierre n’aurait pas brusquement décidé de rejoindre le
Front de Gauche… Julien et Vanessa se présentent à la porte avec un peu de
retard, on imagine pour eux toute une série de châtiments exemplaires. Quant à
Anne, elle ne sera pas des nôtres : elle passe ses vacances en Bretagne,
ce qui nous semble déjà une punition suffisante.

Bizarrement, ce thème du châtiment
m’a assez peu inspiré. Honneur aux dames, Élise donne le premier coup de fouet
avec Orange mécanique, évidemment.
Deux extraits du film de Kubrick : Malcolm McDowell en enfant de chœur
lisant la Bible et s’imprégnant profondément des scènes de tortures, de viols
et de batailles qui y sont décrites ; et bien sûr, les yeux écarquillés
devant les écrans de la méthode Ludovico. Pierre profite de l’occasion pour
placer son analyse freudienne d’Orange
mécanique : « Dans la première partie, on est dans le Ça :
on n’obéit qu’à ses pulsions, à son animalité ; puis vient l’éducation, le
Surmoi ; et la troisième partie correspond au Moi avec ses
interdits, ses complexes, ses tabous… »
Cécile enchaîne avec un extrait de The Dark Knight (Christopher Nolan,
2009). Batman face au Joker, et Gordon face à Harvey Dent. Pierre critique le
choix de Cécile : nous ne sommes plus dans le châtiment, mais dans la
vengeance (ce qui disqualifie d’emblée un extrait que j’avais choisi de
montrer : le duel final d’Il était
une fois dans l’Ouest). Cécile soutient qu’il s’agit bien d’un châtiment
« déviant », et non pas d’une simple vengeance, puisque le hasard –
un choix à pile ou face – fait partie intégrante du supplice.
Ce débat nous anime un moment
pendant qu’on déguste nos japonaiseries habituelles. Puis nous retournons à nos
moutons avec Vanessa et La Secrétaire
(2002). Maggie Gyllenhaal et James Spader dans leurs relations de boulot.
Humiliations, fessées et reniflements devant la machine à café.
Châtiment oblige, je n’avais pas le
droit de passer à côté d’If…, le film
de Lindsey Anderson (1968) dans lequel Malcolm McDowell fait son apprentissage
de future orange mécanique. L’éducation anglaise dans toute sa splendeur. Les
meilleurs élèves font les meilleurs pions, et l’ordre règne à coups de verge.
Les mauvais élèves comptent les coups en serrant les dents… les spectateurs
aussi.
Jean-Rémi reste dans l’esprit du
collège anglais avec Harry Potter et
l’Ordre du Phénix. Harry Potter ne doit plus mentir et Dolorès Ombrage –
sorte de poupée Klaus Barbie en tailleur rose – s’évertue à lui faire entrer
cette règle morale au plus profond de la chair. Pierre constate qu’ici, il est
impossible de jouir de ce châtiment avec Ombrage, parce qu’elle-même en jouit
trop. « Oui, elle surjouit », j’ajoute.
Fini de rigoler : Julien nous
refait passer à table avec Le Cuisinier,
le voleur, sa femme et son amant, de Peter Greenaway (1989). Ici, on mange
de tout : ce soir, c’est amant aux petits oignons. Et on commence par la
queue, le meilleur morceau… Bon appétit ! Cécile, qui voulait manger une
pêche, attendra un petit peu.
Pierre veut enfoncer le clou avec
une rareté de Peter Greenaway, The Baby
of Mâcon (1993). Pour l’occasion, il a ressorti la VHS. Beauté des
châtiments religieux, ou comment exécuter une jeune fille que la virginité rend
intouchable ? En organisant un viol collectif pour que la virginité ne
soit plus qu’un mauvais souvenir… Cette joyeuse partouze bénie par l’Église, et
un peu longuette, n’est pas du goût de Cécile, qui s’exclue elle-même de
l’assemblée. Du coup, on est un peu gênés, nous autres…
Heureusement, Élise est là pour nous
ramener à quelque chose d’un peu plus léger. C’est une règle quasi immuable,
dans les vidéodromes : trouver un extrait de Harry Potter et un autre de Kaamelott.
Harry Potter, c’est fait, donc voici Kaamelott,
Livre III : « Le Magnanime ». Ou comment trop de châtiments
peuvent finir par écœurer même un grand amateur du genre comme le seigneur
Léodagan…
Cécile propose Jane Eyre. Je trouve pour ma part que Charlotte Gainsbourg est déjà
une sorte de châtiment pour le cinéma français (mais je m’égare). Éducation
religieuse « à la dure », feu purificateur et gamelles dans les
escaliers.
Jean-Rémi enchaîne avec un savoureux
nanard, Le Choc des Titans (1981).
Les dieux sont en colère, tempête dans les temples grecs, une statue en perd la
tête. « Il lui faudrait une Minerve », dis-je à tout hasard. En fait,
c’est Thétis, qui se met à parler avec de superbes effets spéciaux
d’avant-guerre, pendant que le décor s’effondre et que les acteurs bougent les
pieds pour montrer que la terre tremble.
Je ne fais pas vraiment honneur à la
série The Walking Dead en en montrant
un extrait des plus improbables : une scène coupée de la saison 2 dans
laquelle Dale fouille des bagnoles sur l’autoroute et écoute à la radio un
prédicateur se réjouir de l’invasion des morts-vivants, juste châtiment du
Ciel. Un extrait garanti 0 % de matière zombie (je devrais avoir honte).
Julien nous invite dans le Cercle de
la Merde du Salò de Pasolini. Est-on
encore dans le châtiment ou dans le simple divertissement ? De jeunes
éphèbes présentent leurs croupes : celui qui aura le plus joli cul sera
mis à mort. Ou pas…
Vanessa a choisi Seven, de David Fincher, un film qui est
à lui-même une sorte d’anthologie du châtiment. Ultime péché, celui de la
colère – ou comment Brad Pitt tombe dans le piège du tueur. Un remake de L’Arroseur arrosé, en somme…
Pierre nous montre comment un
châtiment peut se retourner contre celui qui l’a prononcé, avec Le Barbier de Sibérie, de Nikita
Mikhalkov. Trois extraits où revient en boucle la déclaration :
« Mozart était un grand compositeur ! » Un général qui aurait eu
toute sa place dans Full Metal Jacket,
face à un troufion mélomane et obstiné.
Ça ne rigole plus avec The Reader, que propose Cécile. Kate
Winslet en ancienne gardienne SS faisant face à ses juges et à ses
ex-collègues. L’analphabétisme mène à tout…
Nous étions trois à avoir apporté Dogville : Jean-Rémi, Julien et
moi. Quatre en comptant Pierre, qui n’avait pas besoin de l’apporter, puisqu’il
joue à domicile. C’est donc Jean-Rémi qui montre la destruction de Dogville par
Grace la bien nommée. Et l’on retrouve le sens premier du châtiment, qui n’est
autre que la purification par le feu.
Pierre conclut la soirée avec la fin
d’Autant en emporte le vent. Où Rhett
Butler prouve à Scarlett O’Hara que l’amour lui-même peut-être un châtiment.
« Franchement, ma chère, c’est le cadet de mes soucis. »
Voilà, la soirée s’achève, et avant
que nous ne quittions Pierre pour attraper les derniers métros, on décide du
thème du prochain vidéodrome : le temps. Il va y avoir de la DeLorean dans
l’air !
Élise, Cécile, Vanessa, Julien,
Jean-Rémi et moi nous quittons sur le quai du métro. Je prends la ligne 10,
puis la 4 pour rejoindre mon hôtel, qui est un peu mon châtiment à moi.
Dimanche 30 juin.
Ma chambre est correcte, je ne peux
pas me plaindre à ce sujet, et le petit déjeuner est convenable également –
sans plus. Bon, je trouve le beurre fadasse, comme d’habitude, et ne m’en
formalise pas : étrange coutume, tout de même, que d’imposer le beurre
doux dans les hôtels (me dis-je in petto).
Et soudain, j’entends le couple de la table d’à côté demander au réceptionniste
du beurre demi-sel, et celui-ci répliquer : « Ah ! Vous êtes de
la Bretagne, vous ! » Quoi ? Il n’y a donc que les Bretons à aimer
que le beurre ait du goût ? Décidément, le reste du monde est un peuple
bien étonnant…
Bref. Je m’attelle à mon journal le
matin, jusqu’à dix heures et demie, puis je prends mes affaires pour quitter
l’hôtel, bien décidé d’abord à récupérer mon argent… et c’est en ouvrant ma
porte que je retrouve mon réceptionniste (et vraiment, j’ai l’impression que
c’est toujours le même gars !) au beau milieu du couloir, en train de
faire les chambres. De plus en plus kafkaïen… C’est donc dans ce couloir, entre
deux portes, qu’il va me régler ce qu’il me doit, et avec l’air, en plus, de ne
pas avoir beaucoup de temps à me consacrer, évidemment, puisqu’il doit
s’occuper des chambres. Je me sens un peu comme Jack Nicholson dans Shining – mais un Jack Nicholson
encombré par ses bagages et coincé dans un couloir encombré de draps. Pour
reprendre le raisonnement de Nicole Kidman dans Dogville : s’il y a bien un endroit dont le monde peut se
passer, c’est l’hôtel de l’Europe, Paris XIVe.
Saint-Germain le dimanche matin,
c’est un peu le désert. Bon, un désert parisien, c’est-à-dire assez peuplé
quand même – mais la circulation est calme, les terrasses des cafés se
remplissent petit à petit… Je traîne du côté des bouquinistes sur les quais,
avant de retourner chez Pierre à 13 heures. Évidemment, je photographie du
regard toutes les beautés qui passent.
Pierre m’a invité pour déjeuner
d’une flammeküche, ce qu’on fait en causant essentiellement écriture, cinéma –
à propos de Man of Steel qu’il a vu
mais pas moi (je vais me rattraper) et du Gatsby
de Baz Luhrmann. On cause aussi de l’affaire Clément Méric et des skinheads.
Sur l’histoire du mouvement skin, parallèle au punk, je suis plutôt bien
informé. Je lui explique donc la genèse de tout ça, et la raison pour laquelle
« antifas » et skinheads partagent la même garde-robe. Cette
thématique nous amène à causer des deux grands totalitarismes du XXe
siècle : le gentil et le méchant. On rejoue Stalingrad en mangeant des
pêches.
Après avoir pas mal discuté, je
laisse Pierre retourner à ses écrits, et je retourne à mes pérégrinations. Je
ne sais pas combien de kilomètres à pieds j’aurai fait ce week-end, mais ça
doit être assez honorable. Hier, j’ai vu passer le cortège de la Gay Pride sur
le boulevard Saint-Michel, aujourd’hui c’est celui de la Manif pour tous que je
vois défiler sur le boulevard Saint-Germain. Avec un peu plus d’organisation,
ils auraient pu se croiser, c’est bête… Je prends un bain de foule sur le
parvis de Notre-Dame : plus il y a de touristes, plus il y a de jolies
filles à mater. À la fin, je décide de rejoindre la gare Montparnasse à pieds,
en coupant par le Luxembourg sans me faire écraser par des joggeurs du
dimanche.
Voyage du retour sans histoire, une
fois de plus. J’arrive à Laval à 20 h 15, dîne et, au lieu de me mettre à mon
journal, écris l’une des trois bios que je dois rendre prochainement – en
luttant contre la fatigue.