« La
vie, le malheur, l’isolement, l’abandon, la pauvreté, sont des champs de
bataille qui ont leurs héros ; héros obscurs plus grands parfois que les
héros illustres. »
Victor Hugo.
Aujourd’hui,
le héros de roman a la déprime facile. Il peut rester assis des heures devant
une rediffusion de L’Amour est dans le
pré en fumant un pack de 1664 et en songeant à sa mort prochaine, à la
dispersion de ses cellules. Il s’est fait larguer, il a perdu son boulot, il en
accuse la terre entière. Les drames quotidiens de ce vieux monde le font rire. Aujourd’hui,
le héros n’a plus la classe, il le sait et s’en fout. L’absurdité de la
condition humaine, Kafka, Beckett, tout ça tout ça… Il s’ouvre une autre bière.
Le
héros est né avec la littérature. L’épopée de Gilgamesh fait partie des œuvres
littéraires les plus anciennes de l’humanité. Elle a été rédigée en
pictogrammes sur des tablettes d’argile, dans la Mésopotamie du XVIIIe ou XVIIe
siècle av. J.-C. Gilgamesh, roi de la ville d’Uruk, n’est pas le genre à
s’ouvrir des bières en regardant Direct 8. Gilgamesh, « Dieu aux deux tiers, pour un tiers homme », c’est
plutôt le roi craint de tous, la tolérance zéro, une main de fer dans un gant
de boxe. Jusqu’au jour où une déesse fabrique un sosie parfait avec de
l’argile : un Gilgamesh bon et juste. Les deux héros vont s’affronter, se
reconnaître comme égaux et s’unir pour accomplir de nombreux exploits. Parce
qu’un héros, ça accomplit des exploits. Ça va pas simplement se chercher un
reste de pizza dans le frigo.
C’est
que le héros a une fonction sociale, voyez-vous : c’est par le récit de
ses hauts faits que s’est façonné le monde occidental. Le héros est un exemple
à suivre. Un exemple de bravoure et de justice. Le héros entre en scène quand
la civilisation est menacée.
Le
héros est un demi-dieu. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est son étymologie. Ça
ne veut pas dire qu’il est exempt de tout péché, loin de là… Ulysse a été un
mari plutôt absent, dans l’ensemble. C’était toujours Pénélope qui se tapait la
vaisselle.
Un demi-dieu,
c’est aussi un demi-homme, et ça a tendance à l’oublier. Ça se prend pour un
dieu tout court, ça fait son malin, ça n’écoute pas les avertissements
courroucés du Ciel… On appelle ça l’hybris,
et ça énerve beaucoup les vrais dieux 100 % pur beurre. Alors, pour calmer un
peu l’orgueil survolté du héros, ils lui font des petites misères. Du genre
l’attacher à un rocher et envoyer un aigle lui dévorer le foie, celui-ci
repoussant éternellement, pour que l’aigle revienne éternellement (Prométhée) ;
le laisser éternellement au bord d’un cours d’eau, l’eau se retirant
immédiatement dès qu’il tente de la boire, et les fruits sur les arbres en
faisant autant dès qu’il essaie de les manger (Tantale) ; l’obliger à
pousser un énorme rocher jusqu’au sommet d’une colline, et chaque fois qu’il
approche de son but, le rocher retombe et il doit recommencer (Sisyphe)… Les
dieux grecs avaient un goût prononcé pour l’humour de répétition.
La femelle du
héros est l’héroïne. Pandore, Ariane, Europe, Psyché, les Parques… Mêmes
qualités et mêmes défauts que les hommes, mais avec de beaux seins.
Le héros
médiéval n’a plus rien de divin, c’est un homme vertueux, courageux, fidèle à
son souverain jusqu’à la mort. La légende arthurienne, ou matière de Bretagne,
est remplie de chevaliers tous plus braves les uns que les autres. En
Allemagne, Siegfried est un modèle de courage et de dévotion à la femme aimée.
La matière de France immortalise les prouesses de Roland, de Bayard, ou le
mystère de Jeanne d’Arc.
En parodiant
les romans de chevalerie, Cervantès invente en 1605, avec Don Quichotte, le héros moderne, qui n’est plus issu ni de la
mythologie, ni de l’Histoire – qui n’est que pure fiction. Après quoi
l’aventurier est érigé au rang de héros. Le voilà donc une fois pour toutes
humain. Fort, noble et courageux, certes, mais humain. Ses exploits,
d’ailleurs, n’en sont que plus méritoires…
Les dignes
descendants des demi-dieux de l’Olympe sont évidemment les super-héros des
comics américains : Superman, Spiderman, le Surfer d’Argent et toute la
clique. Les héros Marvel et leurs ennemis forment une nouvelle mythologie qui
est aussi complexe que les mythologies grecques ou latines. Le héros
littéraire, lui, s’est un peu perdu en chemin. L’anti-héros l’a remplacé :
un peu paumé, un peu neurasthénique, souvent alcoolo, le personnage principal
des romans modernes est en crise. Il ne veut surtout pas être un héros ! Ce
terme persiste, pourtant, pour le désigner – les vieilles habitudes sont dures
à changer. Et la vie quotidienne, après tout, n’est-elle pas un combat
permanent ? Le capitaine Pantoufle remplissant sa feuille d’impôts, ou ce
brave Patafion allant porter plein d’espoir son manuscrit hautement refusable à
un grand éditeur parisien, ne sont-ils pas des croisés téméraires luttant
contre des dragons économiques, des hydres sociales ? Précarité, Solitude,
Désenchantement, Ostéoporose ne sont-ils pas autant de modernes Cyclopes,
Gorgones et Minotaures ?
Il reste des
bières ?
2 commentaires:
Zarathoustra-Juldé est beau, grand, fort et généreux, il nous verse son sirop d'orgeat dans nos gosiers assoiffés !
Signé Fidèle Grandgousier
Bof ! la littérature c'est de la publicité mensongère ...
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