samedi 25 janvier 2014

Vidéodrome 2 : l'enseignement (23 septembre 2011)


Vendredi 23 septembre 2011.
            (…) Je ne sais pas ce que j’ai, aujourd’hui : les gens m’emmerdent. Pourtant, il fait un temps magnifique et je suis ravi de m’expatrier pour vingt-quatre heures, mais le train est rempli de voyageurs, nous sommes en pleine heure de pointe, il y a un enfant braillard, ça me donne envie de sortir une batte de base-ball pour faire triompher le silence. Il y a tout de même, assise face à moi, sur la rangée d’à côté, une blonde très fine en courte robe rose, et je profite de ses jambes dorées jusqu’à sa descente du train, à la gare du Mans – mais, bien qu’elle soit tout à fait le genre de fille au physique censé faire fantasmer tous les hommes, je ne suis pas sous le charme. Le spectacle n’est pas déplaisant, mais pas inoubliable.
            Arrivé à Paris à 18 h 25, je patiente un peu à la gare en lisant Jaenada, Pierre m’ayant dit qu’il risquait de ne pas être chez lui avant 19 h 30. Puis je descends vers le métro et parcours les quatre stations qui me séparent de La Motte-Piquet.
            En passant devant la terrasse du Pierrot, terrasse pleine de jambes de femmes dans le jour déclinant, j’ai une pensée émue pour ce haut-lieu du voyeurisme, puisque c’est de ce café qu’il est question dans Une sale histoire d’Eustache.
            Au moment où Pierre décroche son interphone, un couple sort de son immeuble (la femme est une très jolie Asiatique) et me perturbe un peu au moment de sortir ma plaisanterie habituelle pour me présenter : « C’est Neville Londubat ! » Pierre termine sa douche lorsque j’arrive, et je ne pense pas une seconde à lui donner mes photos de Paimpol et à récupérer les siennes, alors que j’avais apporté ma clé USB pour l’occasion !
            Jean-Rémi arrive et nous parlons de l’Alice de Svankmajer, de sa classe de sixième « débile » et des ULIS de son collège – et Jean-Rémi explique à Pierre ce que sont les ULIS : « Rien à voir avec L’Odyssée ! »
            Cécile et Jacques-Pierre font leur entrée, ce dernier a apporté du foie gras, et nous commanderons tous le même menu japonais pour accompagner les vidéos. Ma barbe fait son petit effet, tout le monde trouve que ça me va très bien. « Item validé ! », me dit Cécile.
            Pierre propose de commencer ce vidéodrome sur l’enseignement de façon chronologique, en partant de la plus ancienne vision de l’école que nous ayons. C’est donc Cécile qui ouvre le bal avec Jane Eyre et l’école à l’époque victorienne. J’avais totalement oublié que j’avais parmi mes choix l’école au Moyen Âge, avec… Kaamelott !
            Nous commençons donc avec une vision très sombre de l’éducation : le péché de vanité, enseigné à la dure à de jeunes filles « en cheveux ». Pierre enchaîne avec The Wall, de Pink Floyd, auquel je n’avais même pas pensé. Merde, alors ! Pierre m’a battu sur mon propre terrain, celui du rock’n’roll ! L’éducation comme machine à décerveler, l’élève aliéné, homologué, lobotomisé, et finalement débité en saucisse. We don’t need no education !
            Oh que si, you need education, bande de bâtards ! Avec Battle Royale, Jean-Rémi venge tous les profs écœurés par leurs élèves insupportables. Ici, si tu n’apprends pas, tu es exterminé. Ici, les assistants d’éducation sont en kaki, et on lève le doigt pour parler. Arigato gozaimasu !

            J’enchaîne avec Blackboard Jungle, de Richard Brooks, avec Glenn Ford et Sidney Poitier. Les lycéens déjà délinquants, arrogants et dangereux des années 50, et un prof d’anglais nouvellement nommé qui saura les « cadrer » intelligemment.
            Jacques-Pierre est le premier à nous faire quitter le monde de l’école, avec un film italien de 1958, Le Pigeon. C’est un peu l’enseignement au GRETA, un cambrioleur aguerri apprenant à des novices l’art d’ouvrir un coffre-fort… Le cours d’E.M.T. pour les vrais de vrais !
            Nous restons en Italie avec Amarcord, un choix de Pierre : galerie de portraits à la Daumier de professeurs et d’élèves tous plus ridicules les uns que les autres, en pleine Italie fasciste.
            La surprise de la soirée nous vient de Cécile, qui a osé exhumer Pause-Café, la sitcom sirupeuse avec Véronique Jeannot en assistante sociale trop dégoûtée par les plaisanteries méchantes des profs à l’heure de la cantine. Mais bon, elle va se faire draguer par un beau jeune homme aux plateaux, l’amour triomphe, ouf ! Cécile avait même pensé à la vision de l’école dans les séries d’AB production, la « cafet’ » d’Hélène et les garçons… Il y avait aussi La Philo selon Philippe, qui aurait sûrement valu son pesant de nougat ! Cécile pensait, et moi aussi, que Pause-Café évoquerait des souvenirs à tout le monde, à l’exception de Jacques-Pierre peut-être – mais non : Pierre était sans doute déjà trop âgé à l’époque de la diffusion de cette série, et Jean-Rémi encore trop jeune. C’est notre truc à nous deux, Cécile et moi, les états d’âme de Joëlle Masard…
            On ne quitte pas le kitsch avec l’extrait suivant, proposé par Jean-Rémi : La Revanche d’une blonde, ou de la difficulté de passer pour une étudiante cultivée quand on est une ravissante idiote…
            À mon tour de quitter l’école et les bancs de la fac pour une option meurtre, avec C’est arrivé près de chez vous. Benoît Poelvoorde donne les barêmes pour lester un corps : à vos ardoises ! Cette fois, c’est moi qui étais persuadé que Cécile connaîtrait ce film, pourtant culte pour les gens de notre génération… Eh bien non.

            Après la Belgique, toujours plus loin vers l’Est : Jacques-Pierre nous emmène en Allemagne avec un premier extrait de la série Heimat. En Bavière, un professeur de musique débarque dans une famille de détraqués : le gamin n’en fait qu’à sa tête, les parents ont abandonné depuis longtemps, et le beau professeur est pris entre deux feux : les clins d’œil aguicheurs du gamin et les sourires coquins de la mère.
            Pierre ne pouvait pas résister, et nous aurons droit à Sacha Guitry et à Remontons les Champs-Élysées. Élèves attentifs et intelligents, prof mégalomane à la rhétorique admirable : l’école idéale.
            Cécile nous ramène à la dure réalité des choses (après un débat sur les rapports de Guitry avec la collaboration, qui oppose Pierre et Jacques-Pierre) en nous passant un extrait de La Journée de la jupe. Insupportables zyvas qui se bousculent, s’insultent et ne tiennent pas en place, prof désespérée qui craque et s’empare d’un flingue… Bienvenue en Z.E.P. ! « Marine, vite ! », glapit Pierre.
            Jean-Rémi nous montre les mêmes « sauvageons », mais filmés par Abdellatif Kéchiche dans L’Esquive, et redevenus des élèves rêvés. Pas des intellos, simplement des gamins avides d’apprendre et appliqués, jouant Marivaux devant la classe. Et nous avons droit à un nouveau débat sur Marivaux, entre Pierre et Jacques-Pierre. Ah ! Ces deux-là !

            C’est l’heure du conseil de classe, avec Le Péril jeune, mon choix, et un prof de maths baba-cool et ruisselant de bons sentiments : « Aujourd’hui, le jeune est tourné vers l’avenir. Mais l’avenir ne se tourne plus vers le jeune. Doit-il aborder l’avenir en lui tournant le dos, le jeune ? » Il me rappelle une CPE qui ne croit pas aux sanctions… Ce qu’on rigole ! The more the Meirieu !
            Retour en Allemagne avec un nouvel extrait de Heimat, proposé par Jacques-Pierre : désertant le cours de gym, des lycéens causent philosophie. Plutôt Kant que Cantona !
            Cécile a fait appel aux frères Coen et à leur Serious Man. École rabbinique, et profs à l’écoute de leurs élèves et avides de nouvelles technologies. On entend vraiment de la musique en s’enfonçant ce truc dans l’oreille ?
            Décidément, Jean-Rémi est à l’heure japonaise ! Voilà Tampopo, et l’apprentissage des bonnes manières de table. Mais les bonnes manières ne valent rien, face au plaisir d’ingurgiter ses nouilles le plus bruyamment possible…
            Retour à une éducation virile et dure, celle du sergent Hartmann de Full Metal Jacket, extrait que j’ai choisi (mais Jean-Rémi avait aussi apporté le même film). T’as intérêt à m’chier des perles tous les matins, mon p’tit Baleine ! Troisième et dernier débat animé entre Pierre et Jacques-Pierre, cette fois sur la violence dans le cinéma anglo-saxon. Bon, on va vous séparer, vous deux !

            Pierre nous montre que tout s’enseigne, même le sexe (je devais être grippé, moi, ce jour-là), même très jeune et même avec une borgne : Louis, enfant-roi.
            Et je conclus, comme il se doit, avec Kaamelott et un roi Arthur désespéré devant une bande d’abrutis qui ne comprennent rien à son cours sur la catapulte. « Est-ce qu’on peut s’en servir pour donner de l’élan à un pigeon ? » Dans la foulée, on passe d’autres épisodes de Kaamelott, qui n’ont plus rien à voir avec notre soirée thématique.

            Alors que nous parlions de If…, le film de Lindsay Anderson avec Malcolm McDowell, que j’avais pensé apporter mais auquel j’avais finalement renoncé, persuadé que Pierre l’avait chez lui, je propose un thème pour le prochain vidéodrome : la révolte. Tout le monde est emballé. Cécile avait pensé à la psychanalyse, ce qui est une idée à retenir…

1 commentaire:

Pierre Driout oui chef ! a dit…

Si Monsieur-tout-le-monde pouvait avoir son mot à dire ... il y aurait moins de petits cons sur terre !