Je vais
t’envoyer dans un collège communal… Là tu feras ton apprentissage d’homme, tu
t’aguerriras au métier.
Alphonse Daudet, Le
Petit Chose.
On
n’écrit plus beaucoup de romans d’apprentissage, de nos jours. Voilà un genre
qui a eu son heure de gloire, entre les XVIIIe et XIXe
siècles, mais qu’on a quelque peu oublié aujourd’hui. Oh, on n’oublie pas de
les lire, ces romans, ni de les faire
étudier aux lycéens – mais on n’en écrit plus. On estime qu’au XXIe
siècle, c’est bon, on n’a plus rien à apprendre. Si on se pose des questions,
il y a Wikipédia.
Il pourrait
être intéressant, pourtant, de suivre la formation d’un jeune homme des années
2000, né dans une société de loisirs où tout semble facile, où rien ne l’est
vraiment… Les amitiés, l’amour à l’ère des réseaux sociaux, l’Éducation
nationale passée au tamis de l’écriture romanesque, les études supérieures, les
diplômes, l’entrée sur le « marché du travail », un terme qui
n’existait pas au XIXe, et qu’on entend quotidiennement maintenant
que la réalité voudrait qu’on parle surtout de marché du chômage…
Oui, le roman
d’apprentissage est aussi un bon moyen de montrer la société du temps sous des
jours peu flatteurs.
Il n’est pas
inutile de le rappeler à nos amis les jeunes : il y eut une époque où le
roman d’apprentissage – dit aussi roman de formation
– avait la cote. Un peu comme les stages de formation aujourd’hui. C’était un
temps où l’AFPA ne recrutait pas encore.
Certains
préfèrent appeler ça le Bildungsroman
– ça leur permet de faire les érudits dans les salons, on sait jamais, ça peut
servir s’il y a de jolies filles un peu impressionnables (et qui n’ont pas fait
LV2 allemand).
Un bon roman
d’apprentissage doit en apprendre autant au lecteur qu’au personnage. C’est le
but : le héros avance dans la vie en tirant un enseignement de ses
expériences, de ses erreurs et de ses victoires, et le lecteur comprend que
tout cela s’adresse à lui – que lui aussi est en formation. Lors d’un
entretien, si un employeur vous demande de parler de vos expériences et que
vous vous sentez un peu léger sur le sujet, vous pouvez toujours essayer de
vous en tirer en disant que vous n’avez pas fait grand-chose, mais que vous
avez lu Les Années d’apprentissage de
Wilhelm Meister. Ça peut marcher.
Lire un roman
d’apprentissage, c’est apprendre à vivre. Moi, par exemple, c’est en lisant des
romans d’apprentissage comme L’Éducation
sentimentale ou Illusions perdues
que je me suis aperçu que je préférais la lecture à la vie.
Le monde
décrit dans les romans d’apprentissage ressemble beaucoup au monde tel qu’il
est, banal et quotidien. On y rencontre assez peu d’extra-terrestres et on y
vit assez peu de drames épiques. Sauf quand l’action se situe pendant les révolutions
de 1830 ou de 1848 – et même là, les auteurs s’amusent généralement à dégonfler
l’héroïsme comme une baudruche. À dix-huit ans, on fait la révolution comme on
fait l’amour : maladroitement, et avec un lyrisme un peu bête. Chez
Flaubert, on s’enflamme toujours à blanc, on est à côté de la vie, on la regarde
passer. Voilà ce que j’ai appris dans les romans d’apprentissage. Je ne sais
pas si ça peut m’être d’une quelconque utilité à Pôle Emploi…
« Il voyagea.
Il connut la mélancolie des paquebots, les
froids réveils sous la tente, l’étourdissement des paysages et les ruines,
l’amertume des sympathies interrompues.
Il revint.
Il fréquenta le monde, et il eut d’autres
amours encore. Mais le souvenir continuel du premier les lui rendait
insipides ; et puis la véhémence du désir, la fleur même de la sensation
était perdue. Ses ambitions d’esprit avaient également diminué. Des années
passèrent ; et il supportait le désœuvrement de son intelligence et
l’inertie de son cœur. »
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Comme disait Henry Lafont le chef de la Gestapo française :
« Je ne regrette rien, Madame, quatre années au milieu des orchidées, des dahlias et des Bentley, ça se paie ! J’ai vécu dix fois plus vite, voilà tout. Dites à mon fils qu’il ne faut jamais fréquenter les caves. Qu’il soit un homme comme son père ! ».
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