jeudi 3 avril 2014

La librairie


La presse marche bien dans l’ensemble (sauf les journaux littéraires et les journaux de cinéma). Avec ça, et un gentil petit fonds de livres « classiques », + polars, espionnage et romans à l’eau de rose, on peut à peu près s’en sortir (…). Il faut être terriblement terre à terre dans ce genre de boulot, et surtout bien se garder de vendre ce que l’on aime !
Jean-Pierre Martinet, lettre à Alfred Eibel.

            L’écrivain peut bien travailler chez lui ou dans une chambre d’hôtel, face à la mer ou face à un papier peint déprimant, dans une chemise à fleurs, un caleçon à paillettes ou un peignoir de bain, c’est dans une librairie qu’il va rencontrer son lecteur. Ou dans une bibliothèque, bien sûr, ou à l’école, ou sur le banc de square où son livre aura été oublié – mais en tout cas, la librairie est toujours l’étape numéro un.
            Il peut bien puer l’alcool et le tabac froid, avoir les pieds moisis et les cheveux gras, l’écrivain se montre au lecteur sous ses plus beaux atours : couverture souple et papier blanc, reliure collée ou brochée, prix fixe et quatrième de couverture alléchante. Le livre, c’est Brad Pitt jeune, nanti d’un chef opérateur talentueux. L’écrivain, c’est Brad Pitt dans la vraie vie, sans maquillage ni lumière savamment orientée : le poil qui grisonne, la peau qui s’affaisse, la brioche qui pousse. Céline le disait : le lecteur n’a pas besoin de visiter les cuisines. Ce qu’il veut, c’est du rêve, de l’aventure, du dépaysement. Une belle couverture, un titre bien trouvé, un volume épais : autant de promesses de longues heures de lecture passionnée.
            Je sais bien qu’on est à l’ère de la dématérialisation et qu’il faut être de son temps. Je suis comme vous, il m’arrive de passer des commandes sur Amazon. Mais je crois bien qu’une bonne librairie est le lieu où, en dehors de mon domicile, je me sens le plus chez moi.
            Il y en a qui rêvent devant des canapés en cuir, des cuisines équipées avec hotte électrique, des téléviseurs HD, des voitures avec double airbag et air conditionné, des bijoux ou des vêtements. Au fond, je ne comprendrais jamais ces gens-là. Je suis un être bienveillant, j’accepte donc de dialoguer avec eux, mais il y a un fossé entre nous. Il n’y a rien qui ressemble plus à un canapé qu’un autre canapé, ou à une voiture qu’une autre voiture. Vous pouvez dire ce que vous voulez, je ne vois aucune différence entre une Fiat Panda et une Peugeot 308 (élue voiture de l’année 2014). Comptez avec moi : elles ont exactement le même nombre de roues. Maintenant, entrez avec moi dans une librairie, je vous tiens la porte, ding-dong, je m’efface pour vous laisser passer : tadaaa ! Qu’est-ce que vous remarquez ?
            Des livres ! Des livres partout, sur les tables, dans les rayons, des gros, des petits, des grands, des à la couverture crème, rouge, verte, jaune, noire, des richement illustrés, des avec des bandeaux rouges, des que vous pourriez mettre dans votre poche, des qu’il vous faudrait des épaules de déménageur pour ramener chez vous : pas deux identiques. Ou alors il s’agit de plusieurs exemplaires du même, mais là vous cherchez juste à me contredire.
            Alors vous vous promenez devant tous ces livres, prêt à en saisir un au hasard, mais non, le hasard n’a rien à voir là-dedans. Vous en prenez un parce que le titre vous plaît, parce que la couverture vous a tapé dans l’œil ou parce que vous connaissez déjà l’auteur. Vous l’ouvrez, vous lisez les premières lignes, hop ! vous êtes déjà happé – vous voyagez. Gratis. Vous n’allez pas trop loin, de peur que le libraire qui vous surveille du coin de l’œil vous demande de lui régler la course. Vous descendez du véhicule, vous le remettez à sa place sur la pile. Gardez son titre en tête, vous reviendrez peut-être l’acheter après avoir poursuivi votre lèche-vitrine. D’ailleurs, vous vous en êtes peut-être déjà emparé : je ne suis pas au courant de tout. Et puis vous faites ce que vous voulez. Peut-être que vous, les librairies, ce n’est pas votre truc. La lecture, tout ça, pfff… Oui, ben je vous ai pas forcé à venir, hein. Maintenant, laissez-moi, je vais un peu traîner au rayon BD.


2 commentaires:

Pierre Driout gémissant et craquant comme du vieux parchemin a dit…

Oui enfin ! Un livre c'est d'abord du papier qu'on a blanchi laborieusement à la javel avant de le tacher avec de l'encre.
Je me demande parfois si les imprimeurs réfléchissent à ce qu'ils font avant de faire gémir les presses ?

Pierre Driout sous les sunlights a dit…

Au fait cette Pat Bitt c'est une ex-copine à toi ?