Wakoh Honna, Nozokiana
Journal d'oisiveté
Mars 2013
Vendredi 1er mars.
Oblomov s’est levé encore plus tard que d’habitude, cette fois :
trois heures de l’après-midi. Une honte… Mais je ne sors pas de chez moi et
m’acquitte du huitième épisode de Bag of Bones pour Tranzistor.
Il fallait tout de même que je fasse quelque chose de cette journée si mal
entamée…
Coup de fil inattendu sur mon portable. Voyant s’afficher un numéro
inconnu, je n’ai pas répondu, me contentant d’écouter le message : la Direction
de l’enseignement catholique m’appelle pour me proposer le remplacement d’une
enseignante, pour la période du 11 mars au 30 juin, dans un ensemble scolaire
de Mayenne. Ce message me plonge dans une angoisse terrible, à tel point que je
ne rappelle pas ma correspondante, préférant attendre lundi matin pour le
faire. Angoisse, parce que bien évidemment je ne suis pas en mesure de refuser
un tel emploi, qui de plus tombe à pic en ce moment où j’en suis venu à tourner
en rond, sans envie, sans volonté, et où mes finances sont catastrophiques.
Mais enseignant… Moi, donnant un cours à une classe ? Mais quel
cours ? Comment fait-on ça ? Je n’ai aucune expérience de la chose,
et l’idée même d’enseigner me panique ! La femme qui téléphonait n’a pas précisé
quelle était la matière enseignée par le professeur que je suis censé
remplacer, ni le niveau des classes concernées – l’ensemble scolaire en
question regroupant tous les niveaux de la maternelle au lycée. S’il s’agit de
donner des cours de maths, il est évident que je ne fais pas l’affaire – mais
je suppose que si l’on me propose ce poste, c’est après avoir consulté mon
C.V., et qu’il doit donc s’agir d’un poste de professeur de français. Si c’est
le cas, encore une fois, je ne suis pas en mesure de refuser. Mais suis-je
seulement capable d’enseigner le français à des élèves ? De noter des
élèves ? De leur donner un cours bien construit durant une, voire deux
heures ? Et cela, pendant quatre mois ? En veillant, peut-être, à les
préparer pour le brevet des collèges ou le bac de français ? Je ne me vois
pas dans ce rôle. Je ne me vois absolument pas dans ce rôle. Mais
je ne peux pas refuser. Refuser, ce serait s’enfermer encore dans
l’inappétence, l’attente, le découragement – ce serait une lâcheté. Mais est-ce
que ce ne serait pas pire d’être un professeur médiocre ?
Tout ce que je peux faire, c’est exposer honnêtement les faits lors de
mon entretien : je n’ai jamais enseigné, je n’ai jamais dispensé le
moindre cours à aucune classe. Au moins, si le directeur de l’établissement
m’engage, que ce soit en connaissance de cause…
Bien remué tout de même par ce coup de fil venu (peut-être) ruiner ma
carrière de chômeur, j’essaie d’oublier mes angoisses devant Le Garde du
corps de Kurosawa.
Samedi 2 mars.
Le plus terrible, avec cette proposition d’emploi, c’est que je suis si
effrayé à l’idée de devenir enseignant, même pour une période de quatre mois,
que j’espère au fond de moi que lors de l’entretien, le directeur s’avisera que
je ne fais pas l’affaire. Loin de moi l’idée d’accentuer mes défauts, de jouer
la comédie comme on le ferait pour un conseil de révision : je compte
simplement, comme je l’ai déjà dit, pointer le fait que je n’ai aucune
véritable expérience dans ce domaine, et que dispenser un cours à une classe,
et a fortiori à plusieurs, sera une première pour moi. À mon
interlocuteur de juger s’il peut prendre le risque de m’engager ou pas. Et j’ai
tellement peur que j’aimerais mieux qu’il ne m’engage pas… Mais s’il n’a
personne d’autre sous la main, il n’aura peut-être pas le choix !
Je suis incurable : n’importe qui, dans ma situation, se
réjouirait de recevoir une offre d’emploi après trois mois de chômage
seulement, et sans avoir fourni beaucoup d’efforts dans ses recherches !
Moi, je suis fauché comme les blés, on me propose un job, et j’ai envie de
creuser un trou dans le sol et de m’y enfouir…
J’essaie de me changer les idées en ville, devant un café au Parvis,
mais ce n’est pas concluant. Il y a quelque chose qui m’oppresse, et ça ne vient
pas du climat. Quelques filles exhibent leurs jambes sous des collants couleur
chair, et plus tard, vers le Carrefour Market, j’en verrai une avec une jupe
noire des plus courtes – à croire qu’elle n’a rien à cacher – et c’est toujours
agréable à regarder, mais je ne peux pas me détendre. Rien à faire.
Pourtant, ce serait merveilleux d’annoncer à tout le monde, à mes
parents, à mes anciens collègues, aux copains, que j’ai un nouveau job !
Mais c’est la réalité du truc, moi devant des élèves, étudiant un texte
avec eux, corrigeant leurs exercices, que je n’arrive pas à concevoir…
Revoir L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
ne suffit pas non plus à me distraire de cette angoisse, pas plus qu’achever la
lecture du livre très intéressant de Jean-Marie Bouissou sur le manga (qui me
donne surtout envie d’en lire jusqu’à plus soif, et pourtant ce ne sont pas les
mangas qui m’aideront à préparer des cours pour mes futurs élèves…).
Dimanche 3 mars.
Demain, je dois donc rappeler la Direction de l’enseignement catholique
pour en savoir plus sur l’emploi proposé. Eux-mêmes, d’ailleurs, n’auront
peut-être pas beaucoup plus d’informations, et me renverront simplement à l’établissement
concerné. Enfin, je serai fixé. Ce sera « à suivre » ou
« fin ». Mais si c’est « à suivre », je n’en ai pas fini
avec les angoisses… Il est idiot de souhaiter que cet entretien se passe mal,
vu l’état de mes finances d’une part, et puisque d’autre part, il faudra bien
tôt ou tard que je retrouve du travail. Alors, je suis certainement idiot, mais
je sais qu’au fond, voir ce job me passer sous le nez serait presque un
soulagement.
Depuis que j’ai quitté le lycée, j’ai perdu le contact avec beaucoup de
gens. Mes collègues, bien sûr, mais aussi mes amis. Il y a longtemps que je ne
me montre plus aux soirées, et avec le peu d’argent que me donne le chômage, je
ne risque pas d’augmenter mes sorties. Le sentiment de ma solitude profonde
m’étreint, et je ne suis pas loin de verser des larmes sur ma petite personne.
C’est cette solitude, aussi, qu’un nouvel emploi pourrait rompre. J’ai
désespérément besoin de revenir au monde…
Lundi 4 mars.
Mais il fallait le dire, que c’était un poste de
professeur-documentaliste qu’on me proposait ! Étonnant à quel point je
peux me sentir rassuré, d’un coup, et enthousiaste à l’idée de passer mon
entretien avec succès, moi qui, avant de rappeler la direction de
l’Enseignement catholique, avais encore de la fuite dans les idées ! Après
avoir eu ces précisions, je téléphone donc au directeur de l’ensemble scolaire,
qui me propose un entretien demain à 14 h 00. Oui, cette fois, j’aimerais
vraiment être embauché. Pourtant, je n’ai pas plus d’expérience dans ce domaine
que je n’en ai en tant que professeur de français, mais il me semble que je serais
plus à l’aise dans ce rôle – et puis, cela me ferait une expérience réelle à
mettre en valeur si je repasse le CAPES l’année prochaine…
Comme tout peut changer en vingt-quatre heures : maintenant, j’ai
hâte de passer cet entretien, et la seule crainte que j’ai, c’est que ma
candidature ne soit pas retenue. Toute cette semaine, je compte me lever à huit
heures dernier délai, afin de ne pas me sentir trop déphasé si lundi prochain
je devais me lever encore plus tôt. J’ai aussi prévu de passer chez le coiffeur
et de racheter des pantalons – I’m back !
Mardi 5 mars.
Je viens seulement de toucher mon chômage. Comme je craignais
qu’aujourd’hui encore, cet argent ne me soit pas versé, j’ai dû demander à ma
mère un peu d’argent afin de prendre le car pour Mayenne. Je pars du
centre-ville à 12 h 50 et descends une demi-heure plus tard à La Motte, à
l’entrée de Mayenne, ne sachant pas s’il existe un arrêt plus proche de l’établissement.
Il me faut encore marcher un bon moment pour atteindre l’ensemble scolaire, mais
je suis en avance malgré tout, alors je tourne un peu dans les environs à la
recherche d’un autre arrêt de car, mais je n’en trouve pas. Il semble donc bien
que j’aurai un peu de marche à pied à faire chaque jour – ce qui finalement ne
changera pas beaucoup mes habitudes.
L’établissement est évidemment en période de vacances scolaires, je
dois donc sonner à l’entrée pour que la femme de l’accueil, assez jeune et
souriante, m’ouvre et m’accompagne à l’étage où elle prévient le directeur de
mon arrivée.
L’entretien se déroule parfaitement, c’est du moins l’impression que
j’en ai eu, et plus les choses ont l’air de se confirmer, plus j’éprouve
vraiment le désir de travailler ici dès lundi. Seulement, il y a un
problème : l’arrêt de travail de la personne que je suis censé remplacer
n’a toujours pas été établi, et dans ces conditions il est impossible au
directeur d’engager qui que ce soit. Mon manque d’expérience réelle dans la
fonction de professeur-documentaliste joue contre moi, mais il est intéressé par
mes activités littéraires et artistiques, qui pourraient s’avérer utiles pour
monter un projet avec les élèves. Je le quitte satisfait, mais un peu déçu
aussi de devoir attendre encore avant d’avoir la certitude d’être embauché – ou
celle de ne pas l’être.
Il est 14 h 20 quand je quitte l’établissement et, vacances scolaires
obligent, le prochain car pour Laval ne part qu’à 16 h 58. J’ai donc une
après-midi entière à passer à Mayenne, et je regrette immédiatement de ne pas
avoir emporté mon appareil photo, puisqu’il y a une jolie lumière et que je ne
suis pas sûr, finalement, d’avoir l’occasion d’y retourner prochainement… Je
passe l’après-midi à tourner en rond dans Mayenne, jusqu’à en éprouver une vive
douleur aux jambes, et je suis à l’affût des souvenirs que cette ville réveille
en moi. Il y a peut-être un futur texte qui naît, là…
La ville de Mayenne est liée dans mes souvenirs aux années 98-99,
l’époque où Matthieu passait son BTS au lycée Lavoisier, et aux copains de
cette époque : Cyril, qui habitait l’immeuble qui fait face à la
Girouette, la sculpture du rond-point de l’Europe, devant laquelle je passe
évidemment, et les triplés rennais Loïc, Antoine et Méline. Bien sûr, il y a la
longue rue du 130e R.I., qui n’en finit pas de monter, et l’appartement
qu’y occupait Matthieu, juste au-dessus du Ray Vaughan, le pub irlandais. Il y
a aussi des souvenirs qui se rattachent plus précisément à la période Trompe la
Mort, notamment cette place où nous aurions dû jouer lors d’une fête de la
musique – en 2001, me semble-t-il – et où personne ne nous a laissés nous
installer. Je me souviens d’avoir fait du mauvais esprit toute la soirée, et de
mon compte-rendu plein de sarcasmes dans le fanzine Sinistre farce. Il y
a aussi la place où se tenait l’été le festival des « Quatre jeudis »
(existe-t-il encore ?), à l’occasion duquel nous avions assisté à un
concert de Dick Rivers… Le Grand-Hôtel, que je vois dressé au-dessus de la
rivière, m’évoque un autre souvenir, littéraire celui-là : c’est ici que
Blondin a écrit L’humeur vagabonde.
Lorsque j’étais enfant, la ville de Mayenne se résumait dans mon esprit
à son hôpital psychiatrique. À l’époque, pour se moquer de l’imbécillité d’un
camarade, on disait facilement « T’es bon pour Mayenne ! »,
comme un Parisien dirait « T’es bon pour Sainte-Anne ! » Mon
père a lui-même fait un séjour dans cet hôpital, pour une dépression, un peu
avant le divorce de mes parents (en 1989, donc, ceux-ci ayant divorcé l’année
suivante) et lorsque j’avais vu le téléfilm de Jean Schmidt Marche, crève ou
rêve, en 1993, je me souviens d’avoir été frappé par une scène qui y a été
tournée, et surpris de reconnaître aussi parfaitement les lieux. Aujourd’hui,
Laval aussi à son hôpital psychiatrique, mais ce n’est pas la raison pour
laquelle le nom de la ville de Mayenne ne m’évoque plus son centre médical.
C’est qu’enfant, lorsque j’allais rendre visite à mon père, je ne connaissais
que la périphérie de la ville, réduite à cet asile. Depuis, j’ai connu la ville
en son centre, et tous mes souvenirs se sont regroupés sur ces années d’amitiés
post-adolescentes.
Enfin, après avoir longuement marché dans mes souvenirs, je prends un
café dans une brasserie, où je repose mes jambes fourbues une bonne demi-heure
avant de repartir en direction de l’arrêt de car. J’ai de l’avance sur
l’horaire mais ce n’est pas grave, je lis Les Détectives sauvages de
Roberto Bolaño devant le lycée Lavoisier en attendant.
Mercredi 6 mars.
Cette semaine, je vais peut-être enfin réussir à me lever de bonne
heure tous les jours ! Ce matin, j’ai rendez-vous chez le coiffeur, et je
quitte son salon avec les cheveux courts, enfin, et moitié moins de barbe
qu’avant. Je me plairais presque, avec cette nouvelle tête. Étrange que
l’après-midi, en ville, les filles ne succombent pas toutes à mon charme – à
croire qu’une épidémie de myopie a frappé toutes les Lavalloises…
Tandis que je me faisais amputer d’une partie de ma chevelure
légendaire, la radio de mon coiffeur diffusait une émission dont l’invité était
Guillaume Canet. Celui-ci, si j’ai bien suivi l’entretien, est parti aux
Etats-Unis travailler à un nouveau film qui sera produit par James Gray.
L’association du génial réalisateur de La Nuit nous appartient avec
celui des médiocres Petits mouchoirs m’épouvante d’emblée. Et ce qui
achève de me désespérer, c’est d’entendre Canet expliquer que, oui, bien sûr,
travailler avec les Américains, c’est complètement différent, qu’à Hollywood il
n’y a pas de sentiments, que les tournages, en France, se font d’une manière
beaucoup plus humaine… C’est sans doute vrai, mais entendre Guillaume Canet
donner des leçons d’humanité à James Gray, ça me crispe.
Jeudi 7 mars.
Mais c’est la semaine des offres d’emploi ou quoi ? Je reçois ce
matin un message du directeur d’un collège privé de Laval, qui voudrait me
proposer un job. Je le rappelle en début d’après-midi pour en savoir
plus : il s’agirait d’un emploi… de professeur de français.
Rebelote : n’étant pas sûr d’être pris à Mayenne, je ne suis pas vraiment
en mesure de refuser cette proposition, mais elle ne m’enchante pas. J’explique
tout de même à mon interlocuteur que j’ai reçu une autre proposition et que
j’attends toujours la décision du directeur, et il me répond qu’il va l’appeler
pour en savoir plus et me recontacter ensuite.
J’attends donc qu’il me rappelle, mais au bout d’une heure je décide
d’aller en ville, prêt à dégainer mon téléphone portable dès que celui-ci se
mettra à sonner (pour l’occasion, je ne l’ai pas mis sur vibreur comme j’en ai
l’habitude). Je croise Gérald en ville, qui est surpris de me voir avec ma
nouvelle coupe de cheveux, et je lui raconte ces propositions d’emploi en
rafales. Je fais un tour à Chapitre, mais j’ai peur que le directeur m’appelle
pendant que je m’y trouve. Je m’installe au Parvis avec Les Détectives
sauvages et mon portable, mutique, sur la table. Je m’en vais quand une
énorme bande de jeunes se regroupe dans le hall de la Médiapole – ils sont au
moins une vingtaine, l’endroit devient une ruche, et mon téléphone bourdonne
pendant que je paie mon café. Finalement, le directeur de Laval a bien contacté
son collègue de Mayenne, qui attend toujours l’arrêt maladie de son employé, et
il a décidé de me laisser prendre ce poste de professeur-documentaliste, qui
correspond mieux à mon « profil », étant donné que lui-même a
d’autres candidats sous la main. Oui, mais peut-être que le directeur de Mayenne
ne me choisira pas, finalement ? Enfin, je suis soulagé tout de même
d’échapper à ce poste de prof de français… Reste à espérer que si le directeur
de Laval a renoncé à me rencontrer, c’est que celui de Mayenne lui a laissé
entendre que dès qu’il serait en mesure de proposer un contrat, ce serait à moi
qu’il ferait appel… On peut toujours rêver !

Vendredi 8 mars.
Ce week-end parisien commence bien… Parce que j’ai un peu trop traîné
avant de sortir de chez moi ce matin, je vois mon train partir au moment où
j’arrive à la gare. Je dois donc commencer par changer mon billet pour prendre
le suivant, qui ne part que deux heures plus tard. Je n’ai aucune raison
d’arriver tôt à Paris, si ce n’est de profiter pleinement de mon après-midi,
mais le plus pénible, c’est que j’avais choisi le trajet le moins cher, et que
ma nouvelle réservation me coûte 26 euros de plus.
Je rentre chez moi en attendant mon prochain train, et je lis le
premier tome de L’Île des Téméraires. Il faudra qu’un jour j’écrive un
texte sur le manga. Puis je marche une nouvelle fois jusqu’à la gare, et le
trajet jusqu’à Paris se fait sous la pluie. Ce n’est pas ce sale temps qui va
m’intimider : il y a si longtemps que je ne suis pas allé à Paris que je
compte bien en profiter pleinement. Malheureusement, les Parisiennes, elles,
n’ont pas mon courage, et sous les averses, elles ont une fâcheuse tendance à
se couvrir. Moi qui espérais quelques coups de foudre, j’en serai pour mes
frais.
Je retrouve l’hôtel Villa du Maine, rue Ledion, mais la chambre que
l’on me propose, la 21, me déçoit profondément. Alors que la dernière fois,
j’avais été séduit par les prestations de l’hôtel pour un prix raisonnable – 60
euros la nuit pour un deux étoiles à Paris, il n’y a pas de quoi se plaindre –
je me retrouve aujourd’hui dans une chambre minuscule à la tapisserie rose, et
sans endroit pour écrire confortablement. Il y a bien une tablette maigrelette,
mais le minibar, vide, a été placé en dessous, de telle façon que je ne pourrai
m’asseoir devant cette tablette pour écrire qu’après une amputation au niveau
des genoux. Sachant que je risque d’avoir besoin de l’intégralité de mes jambes
ce week-end pour flâner dans la ville, j’hésite.
Retour à Saint-Michel, où les passants se sont laissés pousser des
parapluies au bout des bras. En quittant la station, j’ai tout de même fait un
arrêt brusque devant une brune magnifique, aux yeux bleus comme des lacs de
montagne, et à la poitrine généreuse, semble-t-il, bien qu’il soit difficile de
s’en assurer sous les épaisseurs de vêtements. Elle était en grande
conversation avec une amie, et j’aurais pu rester à l’admirer un bon moment si
je n’avais craint de passer pour un débile profond… Je retrouve mes librairies
habituelles, les Gibert du boulevard Saint-Michel d’abord, puis la FNAC des
Halles. J’avais prévu de ne pas dépenser trop d’argent en livres et en DVD,
mais bien sûr, c’est raté, et j’achète d’ailleurs surtout des mangas (les deux
premiers tomes de la série Say hello to Black Jack du génial Syuho
Sato), ainsi que la septième saison de la série Esprits criminels.
J’apaise ma conscience en achetant essentiellement des livres d’occasion. En ce
qui concerne les vrais livres « sans images », je prends Le
Croquant indiscret d’Henri Calet et un petit livre sur la procrastination
d’un philosophe américain, John Perry.
Pour la soirée vidéodrome consacrée à la paranoïa, nous jouons les
paranos depuis des semaines, par mails, avec Pierre et tous ses invités :
Jean-Rémi, Anne, Élise, Julien et son amie Vanessa. Premier vidéodrome sans
Cécile et Jacques-Pierre, en ce qui me concerne (en version parano, ça
donnerait : « Cécile n’est pas venue parce qu’elle savait que je
serais là ! »). À l’interphone, pour me présenter, je dis :
« C’est Rouâne Adzendzio, nouvellement reçu au concours de gardien de
musée et nommé ces jours-ci au musée d’Orsay ! » Pour Pierre, je
pense qu’il n’y a pas plus beau résumé de la paranoïa que cette image… Quand
j’entre dans l’appartement de Pierre, Anne et les autres disent des trucs du
genre : « Ah mince, il est venu… Pierre, tu ne lui avais pas dit que
c’était demain, la soirée ? » Ambiance qui déteste qui, et qui est le
plus persuadé que les autres conspirent dans son dos. On joue à se faire peur
entre le saucisson sec et les pistaches, en commandant des plats japonais, et
enfin, en lançant sur le lecteur DVD les premiers extraits choisis. Là, il
s’agit de faire admettre aux autres qu’ils n’ont rien compris au thème de la
soirée et qu’ils sont hors sujet.
Pierre ouvre le bal avec Le Procès, d’Orson Welles (1962). Après
une introduction sur la Loi implacable, Joseph K (Anthony Perkins) se réveille
dans sa chambre entouré de policiers. Plafond oppressant, la chambre est une
boîte où les personnages occupent toute la place, Joseph K sait qu’il est
accusé, il ne lui reste plus qu’à comprendre pourquoi – mais jamais il ne
posera les bonnes questions. « Hors sujet ! dit Anne. C’est un
vidéodrome sur la paranoïa, pas sur la loi ! »
J’enchaîne avec Psychose, d’Alfred Hitchcock (1960). Janet Leigh
ayant dérobé de l’argent, rongée par la culpabilité, se croit observée et
suivie. Quand un policier lui demande ses papiers, elle s’empresse d’agir en
dépit du bon sens, comme une coupable. Vivement qu’elle se trouve un motel,
qu’elle prenne une bonne douche et qu’elle soit enfin tranquille…
Hitchcock revient avec Jean-Rémi et Fenêtre sur cour (1954).
James Stewart observe ses voisins, et les déplacements de l’un d’entre eux
déclenchent dans son esprit un raisonnement qui finit par aboutir à un soupçon
tenace : et s’il avait tué sa femme ?
Les plats japonais arrivent à ce moment-là, et un débat est lancé entre
Pierre et Jean-Rémi, le premier considérant qu’il n’y a pas à proprement parler
de paranoïa dans Fenêtre sur cour, puisque les soupçons de James
Stewart s’avèreront fondés, et surtout qu’on est parano pour soi, pas pour les
autres. Croire que votre voisin veut votre mort, c’est peut-être de la
paranoïa, mais croire qu’il a tué sa femme, ce n’en est pas.
Pendant la pause repas, les discussions en viennent à nos propres
paranos, Pierre raconte sa rencontre récente avec une nymphomane alcoolique
cinglée, Julien nous parle de ses angoisses (il serait du genre à faire des
réserves en cas de catastrophe mondiale), et Anne raconte une promenade en
amoureux qui a tourné au grotesque à Enghien-les-Bains (hors sujet !).
Réouverture du conflit avec Anne, qui nous propose A history of
violence, de Cronenberg (2005). Course poursuite de Viggo Mortensen pour
secourir sa famille qui n’est menacée d’aucun danger… pour l’instant. Et le
fils hérite de la paranoïa du père.
Julien a de quoi être parano, lui : le lecteur DVD refuse les
disques gravés qu’il lui propose. Heureusement, Pierre possède son
extrait : Les Affranchis, de Martin Scorsese (1990). Jamais on n’a
parcouru dix mètres aussi lentement que le fait Lorraine Bracco pour aller
chercher des robes volées… Crainte d’on ne sait quoi, qui sait de quoi les
gangsters sont capables ? Finalement, mourir pour des fringues, ça ne vaut
pas le coup…
Scorsese revient grâce à Anne et à Shutter Island (2010).
Leonardo DiCaprio en U.S. Marshal persuadé d’un complot contre les patients
d’un hôpital psychiatrique, qui découvre qu’il y est lui-même interné depuis
deux ans pour de graves troubles mentaux et que les médecins ont décidé
d’entrer dans son jeu. S’il ne guérit pas, c’est la lobotomie qui l’attend.
S’il guérit, c’est une réalité atroce. Que choisir ?
Élise entre en scène avec Lost Highway, de David Lynch (1997).
Générique terrifiant et génial, cette route nocturne aux bandes jaunes qui
défile à tombeau ouvert. Bill Pullman fume, interphone angoissant, Dick
Laurent is dead, rue vide, maison cossue, murs nus, Patricia Arquette en
robe rouge, cassette vidéo. La peur comme à la maison.
Jean-Rémi enchaîne avec Lynch, de nouveau, et Mulholland Drive
(2001). Ou comment, autour d’un expresso, un cinéaste apprend que son film ne
lui appartient plus. Parano, complot et voyeur paraplégique. This is the
girl.
Vanessa débarque avec Répulsion, de Roman Polanski (1962).
Catherine Deneuve en angoissée pathologique : insomnies, souffle court et
murs tripoteurs.
En France, l’insomnie se soigne au Lexomil. Je propose La Moustache,
d’Emmanuel Carrère (2005). Vincent Lindon a rasé sa moustache, sa femme
Emmanuelle Devos ne s’est aperçue de rien. À la recherche du poil perdu.
Pierre présente l’Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon,
d’Elio Petri (1970), merveilleux film de parano-spaghetti. Le Procès à
l’envers : le chef de la brigade criminelle a tué sa femme, il clame sa
culpabilité à tout va, fournit les preuves les plus accablantes, mais il n’y a
rien à faire : c’est l’innocent idéal.
Vanessa revient avec Meurtre mystérieux à Manhattan, de Woody
Allen (1993). Une femme est morte de façon étrange, et la voilà qui réapparaît
de façon tout aussi étrange dans un bus. Sa voisine, en tout cas, est persuadée
qu’elle l’a vue. Son mari (Woody Allen), est persuadé qu’elle débloque.
La théorie du complot refait surface quand j’enchaîne avec Docteur
Folamour, de Kubrick (1964), parce qu’il fallait bien un Kubrick ce soir…
Sterling Hayden en général de l’armée américaine persuadé que les Rouges en
veulent à ses précieux fluides corporels – ou ma vie sexuelle à l’heure de la
menace soviétique.
Après le complot, l’invasion : Julien propose le sketch des
Inconnus, Les Envahisseurs. Marcel Vincent les a vus, ces êtres étranges
venus d’ailleurs en tajine, au majeur démesurément long. « J’ti jure, on
va tous les niquer ! »
Puisque nous voilà partis dans l’humour, Pierre lance Y a-t-il un
pilote dans l’avion ? de Jim Abrahams et des frères Zucker (1980).
Parodie des films catastrophe, deux répliques suffisent à rendre le cliché de
la paranoïa. Tout est calme, bien trop calme…
Jean-Rémi réplique avec Battle Royale, de Kinji Fukasaku (2001).
Durant un jeu mortel sur une île du Pacifique, un groupe de filles s’entretuent
après qu’une de leurs copines a été empoisonnée. Psychose, hémoglobine,
mitrailleuses M4 et jupes plissées.
Je montre un exemple de société paranoïaque avec Brazil, de
Terry Gilliam (1985). Ou comment un problème de clim peut faire de vous un
ennemi du gouvernement. Clim et châtiment ?
Je croyais qu’on n’y aurait pas droit cette fois, mais si : Pierre
ressort Harry Potter et les Reliques de la Mort, première partie (2010).
Ron, aux prises avec l’horcruxe, affronte son pire cauchemar : Hermione
dans les bras d’Harry Potter.
Jean-Rémi revient aux choses sérieuses avec Eve, de Mankiewicz
(1950). Une actrice quadragénaire (Bette Davis) est peu à peu détrônée par sa
doublure de vingt ans plus jeune (Anne Baxter). Mais c’est la peur, infondée,
que cette gamine séduise son mari, plus que celle de se faire voler la vedette,
qui empoisonne la star. Quand la paranoïa se trompe de menace.
Vanessa propose The Game, de
David Fincher (1997). Ou
comment bien pourrir la vie des gens en leur offrant des jeux incompréhensibles
qui transforment leur existence en enfer. C’était ça ou une cravate.
Anne conclut la soirée avec un joyau du cinéma français : À la
folie, pas du tout, de Laëtitia Colombani (2002), avec Samuel Le Bihan,
Audrey Tautou et Isabelle Carré. Excusez du peu. Un médecin est harcelé par une
érotomane qu’il n’a jamais vue, il soupçonne tout le monde. Jeu d’acteurs
lamentable, suspense mou, sentimentalisme à pleurer de rire. Anne nous veut du
mal, c’est sûr.
Il est plus d’une heure quand on met un terme à cette soirée. Difficile
d’attraper le dernier métro… Élise et moi prenons le dernier de la ligne 8, les
autres devront se débrouiller avec les taxis ou les vélibs. Je descends à
Boucicaut et rejoins ensuite la rue Ledion à pieds.
Samedi 9 mars.
Je me lève à neuf heures et descends prendre le petit déjeuner. Je note
ensuite quelques lignes sur mon journal, mais la femme de chambre étant déjà
venue frapper deux fois à ma porte pour savoir si j’y étais encore ou si elle
pouvait la nettoyer, je décide de m’en aller vers onze heures. En rejoignant la
station Alésia sous le soleil qui ose enfin se montrer, je constate que la
ligne 4 est fermée pour travaux sur sa portion Porte d’Orléans – Montparnasse.
Je me dis vaguement qu’il faudra que je m’en souvienne ce soir à l’heure où je
devrai partir à la gare, et tandis que je rejoins à pieds le boulevard Saint-Germain,
je pense à autre chose. Pierre, avec qui je devais déjeuner, me téléphone pour
me dire qu’il n’a pas grand-chose à me proposer et qu’il serait préférable
qu’on se voie plus tard. Ça me convient parfaitement : le midi, j’ai
l’habitude de manger léger. Un café gourmand au Relais-Odéon me suffira. Et
tout en lisant Les Détectives sauvages, je pourrai regarder les filles
qui montrent enfin leurs jambes, et dont les cheveux attirent tous les rayons
du soleil. Je fais du lèche-vitrine.
Je suis chez Pierre vers deux heures. Je n’ai pas réfléchi à une
manière originale de me présenter à l’interphone, et il refuse de m’ouvrir tant
que je n’ai rien trouvé. Alors, bon, je me contente d’un : « C’est Rouâne
Adzendzio nouvellement installé dans l’immeuble ». Ça ira pour cette fois.
Nous voilà partis dans une de nos grandes discussions sur le cinéma, le dernier
Brian de Palma, le dernier Paul Thomas Anderson, le prochain Terrence Malick,
le prochain Dumont, sur Facebook dont Pierre fait l’apologie, et je suis bien d’accord
avec lui. Ah ! Si nous avions eu Facebook à l’époque du lycée, nos
adolescences auraient été complètement différentes ! J’avoue mes
difficultés à écrire depuis quelque temps. À propos de mon texte sur
l’inondation de Laval, qu’il a beaucoup aimé, Pierre me dit : « Tu
devrais être à Laval ce que Bruno Deniel-Laurent est à Angers ! » Il
me conseille de reprendre sur mon blog une sorte de journal d’où j’évacuerai
l’intime pour ne parler que de mes lectures, mes films, mes promenades, mes
disques – ce qui me permettrait de redonner à mes publications sur ce blog une
régularité qui lui manque cruellement. Étrange qu’il m’en parle alors que j’y
avais moi-même songé dernièrement – pas exactement en ces termes, mais depuis
un moment je me dis qu’il me faut donner à mon journal un caractère un peu plus
« littéraire », que je m’efforce à tirer de l’écrit de tout ce que je
vois, ce que je lis, ce que j’écoute… Il me montre son nouveau PC qui
fonctionne sous Windows 8, et me fait part de tous les problèmes auxquels il
est confronté avec cette bécane. Je ne peux pas vraiment le conseiller sur ce
plan-là, alors je lui raconte des anecdotes : le virus
« gendarmerie » qui m’a occupé l’été dernier, ou cette histoire que
m’avait raconté Guillaume H. : une cliente à qui il avait demandé de faire
une « copie disquette » de ses fichiers lui avait tendu une
photocopie de sa disquette… Il est toujours rassurant de trouver plus nul que
soi.
J’accompagne Pierre qui doit aller acheter des cigares, puis des
gourmandises diverses, et tout en faisant le tour de La Motte-Piquet, nous
causons amour et sexualité. Vaste programme pour nous : c’est comme si
Bouvard et Pécuchet parlaient de la conquête spatiale… On se quitte devant le
magasin Nicolas, et je retourne encore une fois à Saint-Germain, où je compte
tuer le temps qui me sépare du départ de mon train, à 18 h 38. À L’Écume des
Pages, j’achète la revue Schnock et le livre de Milan Dargent, Le
Tournant de la rigueur, dont Pierre m’a parlé. Je traîne à la librairie, et
m’engouffre à 18 h 00 dans la station Saint-Michel, me trompe de quai et pars
dans la direction Porte de Clignancourt, m’aperçois de mon erreur et descends à
Cité… où il me faut cinq bonnes minutes pour comprendre qu’il n’y aura pas de
métro pour Montparnasse, puisque la ligne 4 est coupée sur cette portion !
Et pourtant, le quai de la rame est plein de monde, à croire que personne n’a
compris. Pas le temps de convaincre un monde incrédule que le cauchemar a déjà
commencé : je remonte en courant, mon sac sur les épaules, sors de la
station et commence à chercher un taxi. Quand je dis que je cours, il serait
plus honnête de dire que je trottine – c’est à peu près tout ce dont je suis
capable. Je trouve un taxi dans la rue Saint-André-des-Arts, il me dépose à la
demie devant la gare, à 18 h 36 je suis sur le quai… mais l’embarquement des
passagers est terminé. Train loupé à l’aller, train loupé au retour. La voilà,
la parano : la SNCF et la RATP se seraient-elles liguées contre moi ?
Bon, évidemment, c’est plus simple que ça : si je ne m’étais pas bêtement
trompé de direction à Saint-Michel, je l’aurais eu, mon train…
Je suis évidemment en colère, mais je constate que le mécontentement a
sur moi un effet curieux : plus je suis contrarié, plus j’éprouve le
besoin de redoubler de courtoisie avec les gens que je croise : le
chauffeur de taxi, l’employé de la SNCF auprès de qui je vais échanger mon
billet après une bonne demi-heure d’attente dans la queue, la dame-pipi de la
gare, le serveur de La Grande Assiette qui pose devant moi une Francfort-frites
plus coûteuse que consistante… Alors qu’habituellement, je me contenterais d’un
simple « bonjour », « au revoir », je m’efforce d’en
rajouter : « Au revoir, monsieur, bonne fin de journée… » Je
suis si vigilant à ne pas faire subir ma mauvaise humeur à ces gens qui n’y
sont pour rien, que j’en deviens exquis. Et ceci, je le précise, sans
affectation, sans fausseté – c’est de la politesse au premier degré !
Finalement, les gens qui m’entourent ont tout à gagner à ce que je sois de
mauvais poil…
Le prochain train pour Laval part à 20 h 08, et j’arrive à destination
un peu avant 22 heures. Pas de journal ce soir, rien du tout, laissez-moi
tranquille.
Dimanche 10 mars.
Je me lève à midi et passe une journée de repos total, de lecture et de
fainéantise. Je ne m’occupe même pas de mon journal de ce week-end.
Lundi 11 mars.
N’ayant toujours pas reçu de nouvelles, je téléphone à l’ensemble
scolaire de Mayenne en milieu d’après-midi, mais la secrétaire que j’ai au bout
du fil m’apprend que le directeur n’en sait toujours pas plus que la semaine
dernière. Ça devient pénible, cette histoire, et je sens mon enthousiasme qui
faiblit…
Il pleut toute la journée, je sors peu de temps, simplement pour faire
quelques provisions. Je poursuis la lecture des Détectives sauvages,
mais j’en suis toujours à me demander si ce livre me plaît, ou s’il m’ennuie.
Et je crois bien qu’il m’ennuie de plus en plus…
Mardi 12 mars.
Ça y est, j’ai rechuté : je me suis levé à midi. La pluie a fait
place à la neige. En plein mois de mars, il y a un petit côté punition divine
assez sympathique. À Chapitre, je vois Sébastien, et nous nous lançons dans une
grande conversation qui nous emmène jusqu’à une table du Parvis. Je lui raconte
mes propositions d’emploi et l’attente où je suis toujours d’une réponse de Mayenne,
lui qui est au chômage aussi attend son bilan de compétences. Je lui raconte
mon week-end parisien, lui son dernier séjour à Paris, durant lequel il a écumé
les salles de cinéma et les musées, notamment Orsay et l’exposition Hopper en
nocturne. On parle du dernier film de Spielberg, Lincoln, il me
conseille vivement Holy Motors, que je n’ai pas vu, et j’évoque mon
projet d’utiliser mon blog pour y faire une sorte de journal littéraire.
Toujours pas de nouvelles de Mayenne. Je me sentais pourtant prêt pour
ce boulot, et maintenant, plus le temps passe, moins j’y crois.
Mercredi 13 mars.
C’est donc l’archevêque de Buenos Aires, monseigneur Bergoglio, qui a
été élu pape ce soir, sous le nom de François Ier. Jésuite et
franciscain, donc : un vrai pape des pauvres. Pour moi qui ai dépensé sans
vraiment compter lors de ce séjour à Paris – et qui ai dépensé bien plus que je n’aurais eu à le faire si je
n’avais pas raté mes trains – ça devrait être un peu rassurant de savoir qu’un
pape veille sur moi…
Jeudi 14 mars.
Toujours dans Les détectives sauvages, dont la lecture continue
de m’ennuyer. La première partie, sans me passionner, m’intéressait un peu,
malgré tout : le journal de ce Juan García Madero, racontant sa rencontre
avec les réal-viscéralistes et ses amours compliquées avait une certaine
cohérence. Mais la deuxième partie est constituée de témoignages divers de
personnes ayant côtoyé le groupe des réal-viscéralistes, et j’ai du mal à me
repérer dans tous ces noms latino-américains. Le jeune Madero semble avoir
disparu, plus personne n’en parle, et d’ailleurs je n’arrive plus vraiment à
savoir de quoi il est question dans tous ces discours qui semblent ne pas avoir
vraiment de lien les uns avec les autres. Je poursuis ma lecture, pourtant,
malgré l’ennui qu’elle me procure, parce que je soupçonne que si j’ai autant de
mal à suivre l’histoire, c’est à cause de ma paresse intellectuelle du moment.
Roberto Bolaño a une telle réputation que son livre doit effectivement être bon
– c’est moi qui ne suis pas à la hauteur, sans doute…
Voilà, nous sommes le 14 mars et je ne peux de nouveau plus retirer
d’argent. Je ne sais vraiment pas comment je vais pouvoir me sortir de cette
impasse. Et plus ces histoires d’argent m’angoissent, plus j’ai envie de
m’acheter des livres ou d’autres produits culturels – un peu comme ces gens qui
ont besoin de se jeter sur la bouffe pour se rassurer…
Vendredi 15 mars.
Je décide de rappeler une fois de plus Mayenne ce matin, en espérant
cette fois une réponse définitive, que je soupçonne bien entendu négative,
puisque l’établissement scolaire n’a pas jugé bon de me contacter toute cette
semaine. Effectivement, je tombe sur une secrétaire qui m’explique qu’elle
était justement en train de m’envoyer un courrier pour me dire qu’ils se
passeraient de mes services. Pas de surprise, donc, mais cette nouvelle me
ramène à mon désastre financier, et j’ignore de quelle façon je vais m’en
sortir.
Le pire, dans cette histoire, c’est que ce n’est pas un emploi qui
m’est passé sous le nez, mais deux, puisque le directeur du collège de Laval
m’avait également contacté pour un poste de professeur, et qu’il a décidé
d’aller voir ailleurs quand je lui ai expliqué que j’attendais une réponse de Mayenne.
Samedi 16 mars.
Les problèmes de finances entraînent la morosité ; la morosité
entraîne l’oblomovisme – je me lève à deux heures de l’après-midi. Horizon
bouché. Je stagne dans la lecture des Détectives sauvages, et je crois
bien que je vais enfin me décider à l’abandonner. Étrange comme certains livres
de 800 pages peuvent vous enthousiasmer au point qu’en ayant atteint la page
300, vous considérez avec gourmandise les cinq cents pages qu’il vous reste
encore à dévorer (comme ça pouvait être le cas quand je lisais Les Nus et
les morts, par exemple), et combien ces même cinq cents pages, dans un
autre livre, peuvent vous sembler un calvaire sans fin. Le livre refermé, vous
regardez l’emplacement du marque-page, et c’est terrifiant : il a l’air d’être
resté bloqué au premier quart du livre, et le nombre de pages qui le suivent
semble ne jamais diminuer. Parfois, j’ai presque l’impression de comprendre les
gens qui n’aiment pas lire.
Dimanche 17 mars.
Humeur déplorable, lever tardif, Internet, jeux vidéo. Je comptais
profiter de cette journée pour mettre en place mon Journal d’oisiveté
(je crois que ce sera son nom) sur mon blog – mais je n’ai aucun élan pour
rien.
Mardi 19 mars.
Ayant, de guerre lasse, renoncé à la lecture des Détectives
sauvages (j’ai remis le livre à sa place dans ma bibliothèque, en me disant
que je lui laissais une deuxième chance de me plaire, dans une période plus
propice pour moi – ou pour lui), me voilà absorbé dans celle du petit livre de
John Perry sur la procrastination. Un petit livre à l’allure un peu ridicule –
couverture vert fluo – comme toutes ces méthodes censées nous aider à
vivre : j’éduque mon enfant, j’apprends à parler à mon poisson rouge, je
me réconcilie avec moi-même, etc.
Je ne suis pas certain que ce genre de lecture me soit très
profitable – je suis même plutôt convaincu du contraire. Je parcours ces pages
en y cherchant une justification à tous mes défauts, la satisfaction d’être
enfin compris et pardonné. Mais oui, le personnage que décrit l’auteur, c’est
tout moi ! D’ailleurs, le livre s’ouvre sur une phrase de Mark
Twain : « Ne jamais remettre au lendemain ce que l’on pourrait
faire le surlendemain. » Ce n’est pas ce que l’auteur de Tom Sawyer
a écrit de meilleur, mais enfin c’est un signe : John Perry et moi sommes
de connivence. Je peux prendre à mon compte tout ce qu’il examine par la suite,
et me racheter ainsi à mes propres yeux. On connaît tous ce sentiment rassurant
qui nous enveloppe à la découverte d’un mot qui définit à la perfection ce qui
nous faisait honte jusque là. Ce terme de procrastination en est un bel
exemple : qui n’a pas poussé un soupir de soulagement en l’entendant pour
la première fois ? L’instant d’avant, on n’était qu’un vulgaire fainéant,
une larve tout juste bonne à attendre que le temps passe, et soudain, d’un coup
de baguette magique, nous voilà atteint de procrastination. Ce nouveau vêtement
a l’air tellement plus riche, si savamment brodé, cousu si finement ! Nous
voilà admis dans un nouveau club, nous qui nous sentions si seul et si
incompris dans notre inaptitude à l’action… Pour cela, le livre de John Perry
est remarquable : hier encore, je désespérais de voir s’étaler tout autour
de moi des tas de papiers et de livres, sur mon bureau, ma table, mes chaises, et
jusqu’à mon lit – aujourd’hui, j’ai compris que j’étais tout simplement « un
organisateur horizontal dans un monde conçu pour les organisateurs
verticaux. » Ça a quand même plus de classe que d’être simplement
bordélique…
Mercredi
20 mars.
On dirait bien, pourtant, que la méthode John Perry
fonctionne, puisque je me suis levé tôt ce matin et que je me suis
immédiatement lancé dans la préparation de mon Journal d’oisiveté –
c’est-à-dire la collecte et parfois la réécriture de certains passages de mon
journal de février et de mars. Il me reste encore un peu de travail à faire
là-dessus, mais si je ne reviens pas trop vite à ma somnolence, je devrais
pouvoir publier dès la fin de cette semaine le mois de février sur mon blog. Il
serait temps que je revienne un peu sur le devant de la scène (enfin, quand je
dis « le devant », et quand je dis « la scène », j’exagère
peut-être un peu l’importance de tout ça…).
Jeudi
21 mars.
Les problèmes d’argent me font
honte, vraiment honte, ce qui explique que lorsqu’ils surviennent, plutôt que
d’aller voir ma banque ou mes créditeurs pour leur demander des délais, je me
cache, je fais le mort, tout en sachant pourtant qu’il faudra bien que je me
décide à les contacter. Je repousse toujours un peu plus le moment de prendre mon
téléphone ou de me présenter à eux, et les choses empirent.
Vendredi
22 mars.
C’est en regardant les chroniques de
3615 Usul sur YouTube, petits formats humoristiques plutôt intelligents consacrés
aux jeux vidéo, que me vient l’idée de faire quelque chose de semblable, à
l’écrit, sur la littérature. Bien sûr, il s’agirait de le faire à ma façon,
mais ce qui m’a intéressé chez Usul, c’est cette idée d’aborder chaque semaine
un thème différent, parfois clairement en rapport avec les jeux vidéo (les
cinématiques, l’arcade, les phases de recherche, les développeurs…), parfois
plus général (la violence, la virilité, le tennis, les chatons (!)…). Installé
devant mon café au Parvis, je me suis mis à faire une liste préalable de thèmes
que je pourrais ainsi illustrer, histoire de voir si ce projet est viable.
Parce que si je me lance là dedans, il s’agira de faire une chronique
hebdomadaire, que je publierais le jeudi. Pourquoi le jeudi ? Parce que
c’est le jour de parution des suppléments littéraires des quotidiens (
Le
Monde,
Libé,
Le Figaro…). J’ai donc intérêt, avant même que
la première de ces chroniques ne paraisse, jeudi prochain donc, d’en avoir
rédigé une ou deux d’avance, afin d’être sûr que le premier essai ne sera pas
aussi le dernier. Je me connais, avec mes enthousiasmes qui disparaissent aussi
rapidement qu’ils sont venus…
Mon blog, du coup, va se réanimer
violemment, avec une fois par mois mon Journal d’oisiveté et, une fois
par semaine, ma chronique. Ça fait au moins cinq textes d’assurés par mois,
auxquels s’ajouteront ceux que je pourrais écrire par ailleurs (s’il y en a).
Je me demande même si, pour plus de visibilité sur la Toile, je ne devrais pas
créer un Tumblr qui serait exclusivement réservé à cette série hebdomadaire. Il
faudra d’ailleurs que je lui trouve un nom. J’hésite encore entre Les jeudis
littéraires et Jeudi, je lis. La sobriété du premier titre me plaît.
L’autre a l’air d’un jeu de mots torché pour une émission littéraire de la
Cinquième, avec Daniel Picouly et François Busnel… Mais d’ici jeudi, justement,
je peux peut-être encore trouver autre chose…
Samedi
23 mars.
Première véritable journée de
printemps, et qui tombe au bon moment : un samedi. Rues pleines de gens,
filles pleines de jambes. Je m’installe au Parvis pour lire Le Tournant de la
rigueur, de Milan Dargent, roman rock, si ce genre existe, et aux
références que je ne peux qu’approuver : Velvet Underground, Troggs, Jam,
Undertones, Stooges, Alan Vega… Je me surprends tout de même à avoir une petite
réaction de puriste outré quand l’auteur évoque « la guitare prête à
éclater en mille morceaux de la pochette de London Calling ».
Guitare ? Mais il s’agit d’une basse, celle de Paul Simonon ! Pur
plaisir de rajouter mentalement de la référence à la référence…

Le bar des Artistes organise un
vide-dressing, avec DJ l’après-midi et chorale punk le soir. Je m’y rends vers
cinq heures pour voir le set de Yoan, et c’est un peu comme si j’entrais dans
une baignoire remplie de filles – sauf qu’il n’y a pas de baignoire. Moi qui
n’ai pas eu la chance d’avoir de sœur, je suis tout vacillant à m’enfoncer dans
cette atmosphère de féminité, entre les portants à roulettes, les cintres, les
jupes, les vestes et les robes. Je me joins au petit groupe qui joue au
Scrabble au fond du bar, et dont Charles représente le seul spécimen doté d’une
prostate, pacha alangui au milieu d’un harem en quête d’un mot compte triple.
Évidemment, je ne participerai pas à cette partie de Scrabble, parce que je
crois bien que je préférerais affronter Godzilla avec en guise d’arme un
cure-dent plutôt que de jouer à ce jeu. Alors que Yoan passe sa musique, je
discute avec lui, notamment des Reflets du cinéma. Je ne suis allé voir aucun
des films programmés, évidemment, puisque je n’ai pas un sou. Il me conseille,
pour l’année prochaine, de proposer des articles au petit magazine publié à
l’occasion du festival, ce qui permet d’avoir accès à toute la programmation
gratuitement.
Dimanche
24 mars.
J’ai mis en ligne le mois de
février de mon
Journal
d’oisiveté cette nuit, et à mon réveil ce matin j’ai pu apprécier sur
Facebook les premiers commentaires des anciens lecteurs de mon journal, ravis
de me voir de retour. Pourtant, j’ai râlé contre les nouveaux outils de
conception de Blogger. À force de ne plus publier qu’une fois tous les trois
mois, j’ai l’impression que ces outils changent tout le temps. Et pour corser
le jeu, la page de création du texte n’a rien à voir avec l’aperçu du même
texte tel qu’il apparaîtra sur le blog. Comme sur ce blog, je ne peux pas créer
d’alinéas, j’avais l’intention d’insérer une ligne de séparation entre chaque
paragraphe, ce que j’ai fait. Or, cette ligne a disparu sur le blog, où le
texte apparaît comme un bloc compact, difficile à lire. Mes lecteurs ont
d’autant plus de mérite à avoir eu le courage de venir à bout de ce long
billet…
Lundi
25 mars.
Dès le matin devant mon écran pour pondre un nouveau texte,
le premier de cette chronique hebdomadaire qui devrait finalement s’appeler La
Bibliothèque de Jupiter – le jeudi étant le jour de Jupiter, Jovis dies.
J’avais hésité entre ce titre déjà un peu pompeux et un autre, Errances
jovidiennes, qui pour le coup aurait été vraiment hermétique. Cette
chronique initiale est consacrée à la première phrase des livres. Il faut bien
commencer par le commencement. Plaisir d’écrire un texte qui
« vient » bien, de voir les phrases couler sans difficulté, et
satisfaction, dès midi, d’avoir déjà tiré un beau profit de la journée.
J’ai un peu amélioré la mise en page
de mon Journal d’oisiveté. Contrairement à ce que je pensais, sur
Blogger, il est encore plus simple, pour obtenir un texte lisible, de se
contenter d’un copier-coller de la page Word, plutôt que de batailler avec des
interlignes et des tailles de police qui ne correspondront pas, une fois le billet
publié, à ce qu’on avait voulu faire. C’est bon à savoir.
Mardi
26 mars.
J’écris ce matin un deuxième texte
pour la Bibliothèque de Jupiter, afin de prendre un peu d’avance pour
les prochaines semaines. Connaissant ma faible volonté, je pense qu’il est
judicieux d’avoir toujours un ou deux textes d’avance.
J’achève la lecture du court roman de Milan Dargent,
histoire d’un groupe punk lyonnais en 1983, au moment où la fin des illusions
du rock fusionne avec la fin de celles de la gauche socialiste. Roman plein
d’humour sur ce groupe de losers, qui montre à quel point le rock est affaire
de mythologie. Une mythologie aussi enthousiasmante que stérilisante. Il y a
les grandes figures qu’on voudrait égaler, Bowie, Lou Reed, Iggy Pop, les
Stones ; et les orgueils mal placés qui font entre autres refuser une
première partie de Supertramp parce qu’on ne va quand même pas se compromettre
avec ce groupe de variétés. Et puis il y a la culotte de Debbie Harry, qui
restera mon passage préféré du bouquin, allez savoir pourquoi…
Cette épopée rock, sous la plume de Milan Dargent, est
teintée d’amertume. Rien à voir avec la joie que Bégaudeau mettait en avant
dans Deux singes : la joie avant tout, avant la provocation, avant
la rébellion – joie d’être dans un groupe de rock, de monter sur scène et de se
croire indestructible, de se prendre pour le centre du monde l’espace d’un
quart d’heure, d’une heure de concert… L’affirmation de ce plaisir pur est
peut-être typiquement nineties. Les musicos des années 80 ont vu leurs
illusions s’envoler avec la récupération massive du rock par la Fête de la
Musique, MTV et les Live Aid. L’instant d’avant, ils toisaient encore leurs
contemporains, ceux qui n’y connaissaient rien au rock, avec un air
supérieur : « À la caisse, une grande blonde achetait le
nouveau Bruce Springsteen, Born in the USA. Celle-là n’aurait pas besoin
d’être initiée, mais rééduquée. Cette fille ne connaissait sûrement pas
Monochrome Set. Ni les Associates. Ni Kevin Ayers. Ni Robert Wyatt. Les Troggs,
on n’en parle même pas. » Puis leur génération étant devenue
officiellement celle du rock, un rock subventionné, bien nourri, un rock aux
joues rouges, solidaire, caritatif, ils se sont vus ringardisés d’un coup et,
pire encore, dépouillés de leur bien le plus cher. « Des années de
fanatisme à collectionner l’intégrale de David Bowie pour en arriver là, à
cette version de Heroes du Live Aid, si peu héroïque. Heroes, une
chanson on ne peut plus intime, une mélopée méditative qui ne doit pas quitter
les quatre murs de votre chambre, livrée ainsi à la foule obéissante d’un stade
embrigadé, ça la foutait mal. Heroes, votre chanson à vous, votre jardin
secret, soudain transformée en un putain d’hymne. Heroes portait
le déguisement de l’hymne et désormais ce déguisement était pris pour son
identité réelle. Tout ce que le rock représentait pour Guillaume se dissolvait
sous ses yeux, dans une pluie d’eau de rose et de collectivisme
triomphant. »
Soirée nanard avec La montagne
du dieu cannibale, de Sergio Martino (1978). Un film qui vaut surtout pour
le corps nu d’Ursula Andress. Musique omniprésente dans les moments où il ne se
passe rien, totalement absente durant les scènes d’action, qui ressemblent du coup à des disputes de
sourds-muets. Les indigènes qui accompagnent les explorateurs occidentaux sont
bien entendu soit lâches, soit un peu idiots, s’enfuient au moindre problème ou
se font bouffer par les alligators (quels cons !), et les autres sont des
sauvages cannibales qui feront payer cher aux européens avides de trésors
d’avoir profané leur terre sacrée. Il y a aussi un nain, évidemment sadique,
pour couronner le tout, et une héroïne (Ursula Undressed, donc) qui ne
sait pas crier ‒ ce qui est un peu dommage pour un film d’horreur.
Non, vraiment, une bien belle
expérience de cinéma.
Mercredi 27 mars.
Je me suis lancé dans la
lecture du premier tome du Cycle des robots d’Isaac Asimov. Étrange
comme après avoir été toute ma jeunesse réfractaire aux jeux vidéo et à la
science-fiction, je me découvre aujourd’hui un tel intérêt pour la culture geek…
Jeudi 28 mars.
Je publie aujourd’hui la
première chronique de La Bibliothèque de Jupiter, à la fois sur mon blog
général et sur un nouveau blog, créé spécialement pour cette rubrique sur
Tumblr. Comme dirait Zuckerberg dans The Social Network : « Il
faut se déployer. »
Vendredi 29 mars.
Quand on est au chômage, les
journées se ressemblent toutes, et quand on n’a pas d’argent, c’est encore
pire. Si seulement le printemps se décidait à venir, mon quotidien s’en verrait
amélioré : nul besoin d’argent pour apprécier la lumière du jour et les
jambes des femmes aux terrasses des cafés – ce plaisir-là est parfaitement
gratuit. Mais non, même le ciel est en crise. En rentrant chez moi à l’heure de
la fin des cours, je passe devant un collège et vois un ancien collègue qui
surveille les élèves devant l’arrêt de bus. On se salue, et je me dis qu’il
peut être fier de son job, de protéger les enfants et de les accompagner – ce
que j’ai fait pendant six ans. Malgré tout, un beau métier. Me revoilà un homme
sans situation.
Samedi 30 mars.
Sans
avoir jamais lu Isaac Asimov, je connaissais globalement son Cycle des
robots, et notamment les trois lois de la robotique : « 1° Un
robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet
être humain exposé au danger. 2° Un robot doit obéir aux ordres donnés par les
êtres humains, sauf si de tels ordres entrent en contradiction avec la Première
Loi. 3° Un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection
n’entre pas en contradiction avec la Première ou la Deuxième Loi. »
C’était à peu près tout ce que je savais. Le génie d’Asimov est de bâtir ses
histoires de robots en partant de ces trois lois fondamentales, et d’imaginer
les dysfonctionnements qui peuvent survenir chez certains robots lorsqu’ils se
voient confrontés à des dilemmes qu’ils ne sauraient résoudre sans enfreindre
l’une d’elles. On est à mille lieues des robots destructeurs de Metropolis
ou de Terminator.
Je n’ai
jamais été très intéressé par la science-fiction pure, celle qui se déroule à
des millions d’années-lumière de notre monde et au 37e siècle, par
exemple – parce qu’elle me parle de choses qui me sont complètement étrangères.
J’aime l’évocation de sociétés futuristes, comme celles d’Orwell ou d’Huxley,
parce qu’il est possible d’en retrouver les origines dans notre histoire
immédiatement contemporaine. De la même façon, lorsque Asimov parle de robots
créés avant tout pour faciliter le travail des humains, je sais de quoi il parle.
Ce genre de robots, d’ailleurs, existe réellement aujourd’hui. Mais s’il s’agit
d’évoquer des batailles de planètes dans des galaxies lointaines, planètes
gouvernées par des monstres plus ou moins anthropomorphes et dans un futur si
lointain que plus rien ne semble nous rattacher à lui, ça me demande un tel
effort d’imagination pour m’identifier aux personnages et comprendre leurs
choix et leurs buts, que la plupart du temps, je n’éprouve pas l’envie de m’y
intéresser. J’ai le même problème avec les mondes imaginaires de l’heroic
fantasy. Pourtant, bien sûr, il est toujours possible d’y voir un écho
des croisades religieuses ou des grandes explorations du quinzième siècle,
ainsi que des récits mythologiques de l’Antiquité – mais les épées laser me
laissent froid.
Cela
dit, maintenant que j’ai écrit ceci, et puisque je me sens de plus en plus geek
en ce moment, je ne serais pas étonné de me plonger un jour (quand je me
remettrai à acheter des livres) dans Fondation ou dans Le Seigneur
des Anneaux, et d’y trouver un certain intérêt… Pur esprit de
contradiction.
Dimanche 31 mars.
Ce
dimanche de Pâques où je me suis levé tard aurait pu être entièrement voué au
néant si je n’avais pas redressé la barre en fin d’après-midi pour écrire un
nouveau texte destiné à la Bibliothèque de Jupiter. L’honneur est sauf,
et ce mois de mars aura décidément été celui de mon réveil après une longue
période de sécheresse et de renoncement. Tremblez, bande d’humains, car je suis
de retour !