Le jeu de mots, méprisable comme fin en
soi, peut être le moyen le plus noble d’une intention artistique dans la mesure
où il sert à l’abrégé d’une vie spirituelle. Il peut être une épigramme
sociocritique.
Karl
Kraus.
La grande Littérature regarde de
haut les petits plaisantins, ceux que les calembours amusent. D’un haussement
d’épaule, elle se détourne des facéties : les acrobates du langage ne lui
inspirent que du mépris. Les jeux de mots sont la fiente de l’esprit qui vole,
selon Victor Hugo. Etonnant, de la part d’un type qui écrivait, dans son Booz endormi :
« Tout
reposait dans Ur et dans Jérimadeth »,
inventant un lieu imaginaire dans le but avoué –
avoué par calembour interposé – de trouver une rime à « demandait »
(« J’ai rime à –dait ») !
Alors moi, je veux bien qu’on requalifie vite
fait le jeu de mot en « licence poétique », mais il faudrait voir à
pas nous prendre pour des idiots non plus…
Le jeu de mot n’est pas noble. Il sent l’esprit
potache des soirs de beuverie, or les grands écrivains sont des gens sérieux.
On a même inventé un terme, « kakemphaton », pour désigner le jeu de
mot involontaire, celui que l’auteur, lorsqu’il le découvre trop tard,
s’empresse de corriger en rougissant comme un collégien surpris à regarder dans
les toilettes des filles. Dans le genre, Corneille est un
multirécidiviste : « Je suis
romaine hélas, puisque mon époux l’est » (Horace), « Et le désir
s’accroît quand l’effet se recule » (Polyeucte). Kakemphaton, mon œil…
On oublie – comme toujours – de rappeler les
phrases qui suivent la fameuse « attaque » de Victor Hugo contre le
calembour :
« Le calembour est la fiente de
l'esprit qui vole. (…) Loin de moi l'insulte au calembour ! Je l'honore
dans la proportion de ses mérites ; rien de plus. Tout ce qu'il y a de
plus auguste, de plus sublime et de plus charmant dans l'humanité, et peut-être
hors de l'humanité, a fait des jeux de mots. Jésus-Christ a fait un calembour
sur saint Pierre, Moïse sur Isaac, Eschyle sur Polynice, Cléopâtre sur Octave. »
Ouf ! Pas si mauvais, ce
monsieur Hugo, finalement. Et même plutôt adepte de la fiente de temps à
autres : « Chexpire,
quel vilain nom ! On croirait entendre mourir un Auvergnat. »
Les écrivains sont des
enfants : ils ne pensent qu’à s’amuser. Malheureusement, ils en ont
parfois honte, et certains s’échinent à gommer toute trace d’humour de leurs
livres. Même Antoine Blondin, qui était un maître en la matière, réservait la
plupart de ses traits d’esprit à ses articles (« Un Namur comme le
nôtre », « De la Suisse dans les idées »… Ça n’empêche pas tous
ses romans d’être drôles à crever !) Erreur grave : il n’y a pas un
seul grand écrivain qui soit totalement dépourvu d’humour ! La littérature
populaire affiche dès la couverture, souvent, son esprit déconneur (et ce n’est
pas toujours très heureux). Quelques titres en vracs : La petite écuyère a cafté (Jean-Bernard
Pouy), Nazis dans le métro (Didier
Daeninckx), Bosphore et fais
reluire (San Antonio)… Ah ! On n’est pas dans le très
haut de gamme, hein ! On sent que le budget jeu de mots était insuffisant…
C’est que l’humour est un sujet
trop sérieux pour être laissé aux plaisantins. Heureusement qu’il y a eu les
auteurs de l’Oulipo – dont on a déjà parlé ici – pour transformer le calembour
en or. Les oulipiens ont réussi à réhabiliter le jeu de mots, à l’élever au
rang d’art, à coups de lipogrammes, de méthode S+7 et en récupérant les bons
vieux rigolos de naguère, tel Alphonse Allais et ses vers holorimes…
Petit rappel du principe des vers
holorimes :
Par
le bois du Djinn où s’entasse de l’effroi,
Parle !
Bois du gin ou cent tasses de lait froid !
Si vous n’avez pas l’impression
de voir Homère, Victor Hugo, Blondin et Raymond Devos se tenir la main et faire
une ronde tous ensemble, c’est que vous n’avez vraiment aucune imagination.
Alors ? Faut-il fusiller
tous les écrivains qui usent et abusent des calembours ? Il faudrait
plutôt leur rappeler qu’un jeu de mots n’est drôle que s’il a un sens – que la
plaisanterie doit avoir un but. Pour le reste, mieux vaut en rire…
3 commentaires:
Jeux de mots jeux de vilains !
L'holorime ou la décadence finale du vers avant sa disparition ...
L'holorime ou la poésie dévorée par les vers...
très juldicieux
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