« Ne suis-je qu’un personnage de roman, le fruit
d’une invention en délire, l’invention d’un petit paltoquet que j’ai vu naître
et qui m’a inventé pour me faire croire que je n’existe pas ? »
Gustave Flaubert, brouillons de Madame Bovary.
Aux
écrivains en herbe qui papillonnent encore, s’amusent à ficeler des sonnets, à
construire des nouvelles, à ceux qui veulent en découdre et s’attaquent au
pamphlet, à ceux qui ne sortent pas d’eux-mêmes et rêvent d’un jour voir leur
journal intime monumental enfin livré au public, nous devons révéler la triste
vérité : tant que vous n’aurez pas écrit un roman, mes enfants, vous
n’aurez rien écrit. Vous n’existerez pas. On trouve toujours des
exceptions, bien entendu, mais enfin
dans l’ensemble, c’est comme ça. On parle toujours du « premier
roman » d’un auteur, jamais de son « premier recueil de
nouvelles », encore moins de son « premier essai ». Et si vous
vous appelez, mettons, Jean-Baptiste Patafion, et que vous avez déjà publié une
biographie de Guillaume Musso aux éditions du Rebut et un essai sur la démonologie
chez Pilon, le jour où vous vous essaierez à la fiction, vous verrez apparaître
en quatrième de couverture, sous votre photo : « Jean-Baptiste
Patafion, né en 1972, est journaliste et écrivain. Le Cri de la biscotte est
son premier roman. » Avant cela, rien. Mais désormais, vous voilà
adoubé écrivain, c’est-à-dire romancier. Ne nous remerciez pas, c’est la
moindre des choses.
C’est
que le roman, voyez-vous, est aujourd’hui considéré comme le « grand
genre » de la littérature. Un écrivain, ça écrit des romans. Ça peut
toujours faire autre chose, depuis les contes pour enfants jusqu’à l’essai
philosophique, chacun s’amuse comme il peut, mais enfin, il faut savoir revenir
régulièrement aux choses sérieuses, et s’atteler à un roman qui viendra grossir
le rayon nouveautés des librairies aux derniers jours d’août. Ce rôle de
« grand genre » a longtemps été dévolu à la poésie. Essayez
aujourd’hui de vous faire connaître avec un recueil de poèmes : vous aurez
la satisfaction de passer pour un original que l’idée même de gagner sa vie
avec son écriture n’a jamais effleuré. L’art pour l’art, c’est sympa aussi.
Maintenant, essayez de trouver un éditeur qui partage votre désintérêt pour
l’argent : bon courage…
Et
on fait des colloques sur le roman, on se demande s’il doit être comme ceci ou
comme cela, s’il doit danser sur un fil ou manger équilibré, et à quoi doit
ressembler le roman du XXIe siècle… Vaste question, vu
qu’apparemment, le roman ressemble maintenant à à peu près tout !
On
sait que le terme de « roman » apparaît au Moyen Âge, avec les
premiers textes écrits en langue romane et non plus en latin. « Mettre en
roman », c’est donc traduire en langue vulgaire. Il s’agissait d’abord de
mettre à la disposition de ceux qui ne comprenaient pas le latin les textes
hagiographiques, puis une littérature narrative écrite en langue romane est
née, Chrétien de Troyes a fait des siennes :
« Puis que ma dame de Chanpaigne
Vialt que romans a
feire anpraigne,
Je l’anprendrai molt
volentiers… »
Et
aujourd’hui, même Alexandre Jardin écrit des romans, ce qui montre bien que
c’est à la portée de tous. À un moment, le petit roman s’est senti pousser des
ailes, il est parti en flèche allez savoir où, il est aller zigzaguer à droite
à gauche, se faisant lyrique, baroque, gothique, picaresque, d’aventures,
réaliste, naturaliste, historique, Nouveau, d’anticipation, bélier rendu fou
furieux qu’on ne peut plus arrêter. « Miroir
qu’on promène le long d’un chemin » : Stendhal a le chic pour
trouver la formule qui convient. On voit bien l’image : le monde entier
s’y reflète, dans ce roman-miroir. Mais surtout, dans le miroir, qui vois-je en
premier, sinon moi-même ? Le roman me parle de moi-même ! Si ça c’est
pas mortel ! Parce qu’au fond, qu’est-ce qu’on cherche, nous autres qui
passons notre temps à lire au lieu de faire des trucs utiles ? Nous-mêmes,
bien sûr ! On cherche à se comprendre soi-même, alors au lieu d’aller voir
un psy (bien que l’un n’empêche pas l’autre), on ouvre un roman – un roman
écrit par un auteur qui cherchait à se comprendre lui-même et qui pour se
trouver, au lieu d’aller voir un psy, a pris la plume. Longtemps, je me suis
couché par écrit de bonne heure.
Il
y a des romans sur à peu près tout et des romans sur rien. Cette dernière
catégorie, après Flaubert, a eu le vent en poupe dans la deuxième moitié du XXe
siècle, notamment avec le Nouveau Roman. Écrire trois cents pages pour décrire
un volet qui ferme mal était devenu la grande idée du temps. Le roman-miroir
pouvait bien devenir un volet « qu’on promène le long d’un chemin »,
après tout il y avait toujours un peu de lumière à passer entre les lattes de
bois… Le roman n’avait dès lors plus rien à prouver : il pouvait tout, et
toutes les Emma Bovary du monde comprirent qu’au fond, elles étaient Gustave
Flaubert. Alors est venue l’autofiction. Plus besoin de parler d’autre chose
pour parler de soi : autant se confronter à l’intime sans intermédiaire.
Du reste, l’autoportrait est un genre pictural reconnu. On ne chercherait plus désormais
à faire parler les chiens ou à décrire un caillou : l’auteur se peindrait
en train d’écrire, comme dans une mise en abyme infinie. Et les critiques de
déplorer ce que le roman est devenu : à ce compte-là, n’importe qui peut
en écrire – il suffit de savoir un peu mettre sa banalité en valeur.
Eh
oui, mais c’est un art aussi, que de sublimer le néant, le quotidien, les
habitudes… N’est pas Houellebecq qui veut ! Le roman, parfois, semble
faire du surplace, ne plus savoir créer, ne plus savoir imaginer. Nous parlons
essentiellement du roman français actuel. Est-ce que c’est une impasse ou un
passage vers autre chose ? En attendant d’avoir une réponse, à nous de
faire le tri parmi les étals des librairies, ou de se replonger dans les
classiques. La prochaine révolution romanesque approche peut-être, qui
sait ?
2 commentaires:
Pas mal votre...euh...texte (je ne prends pas de risque). Je ne m'étais jamais demandé d'où venait le mot roman, ou alors j'avais oublié l'explication.
Je lis dans votre fiche signalétique que vous ne savez pas conduire. L'autofiction n'est donc pas un genre pour vous.
L'autobiographie non plus, pourtant il y aurait des textes poignants à écrire sur la lente agonie du carburateur, tué par l'injection directe. Mais là on passe très près de la pornographie mécanique et on sait qu'il est dangereux de mettre le doigt dans cet engrenage.
Je suis ravi d'avoir trouvé un blog qui partage mes passions et pour la peine je vous mets en favori juste après M6 Turbo, petit veinard.
Que de compliments ! Vous me faites rutiler les chromes...
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