jeudi 21 juin 2007

Le loft des écrivains (2/2)



GUILLAUME DURAND (voix off). — Eh bien voilà, euh… comment dirai-je, euh… nous sommes, euh, aujourd’hui, le lundi 5 juillet et euh… nos écrivains ont passé leur première nuit dans ce que les Français appellent déjà, euh… la villa Médicisseuh. Aujourd’hui, donc, zoom sur une confrontation, comment euh… intéressante, entre Michel et Guillaume. Les deux hommes discutent euh… en images.

Lundi 5 juillet 2004, 8 h 30 — Dans la salle de bain.

Michel Houellebecq et Guillaume Dustan se préparent. Guillaume se démaquille et retire sa perruque verte qui a tant amusé Philippe Sollers hier soir. Michel coiffe ses cheveux gras en fumant une cigarette du bout des doigts. Frédéric Beigbeder a dormi dans la baignoire et ronfle extrêmement fort.

MICHEL HOUELLEBECQ. — Il est difficile de trouver un truc qui lie les êtres humains entre eux. Il y avait une formule élémentaire et puissante, les « liens du sang ». Mon fils, mon père, c’est élémentaire et très fort.

GUILLAUME DUSTAN. — Il faut aller vers un truc simple et objectif : les liens de goût. Les affinités électives, ça, c’est Goethe. Et c’est good. (Frédéric Beigbeder semble avoir quelques difficultés à avaler sa salive alcoolisée). On y arrive. Il y aura des groupes de peintres, d’obsédés sexuels, de sculpteurs, de macramés.

MICHEL HOUELLEBECQ. — Oui, mais les goûts passent et lassent.

FREDERIC BEIGBEDER (dans un demi sommeil éthylique). — L’égout passe, hélas ! Vous m’y ferez penser pour mon prochain recueil de nouvelles, c’est une idée de titre géniale ça !

GUILLAUME DUSTAN (visiblement agacé). — Oui, Michel, peut-être, mais au moins on est free.

MICHEL HOUELLEBECQ (se frottant sous les bras avec un bout d’éponge). — Faut pas confondre liberté et plaisir. L’individualisme c’est globalement con. Les gens s’imaginent être des individus alors qu’ils sont des produits. Ça n’a aucun sens de parler d’un individu vivant en dehors de la société. Ce qui vous rend humain, c’est quand même ce qu’on a reçu des autres.

Maurice G. Dantec frappe (cogne) (tambourine) à la porte avec sa batte de base-ball (qui a tant amusé Philippe Sollers hier soir).

MAURICE G. DANTEC (furieux). — Vous allez pas monopoliser la salle de bain toute la journée, non ? Je vais finir par balancer une bombe méta-nucléaire dans ce bordel si vous sortez pas plus vite que ça, lopettes !

Michel Houellebecq, par sympathie pour Marc-Edouard Nabe, planque sous une serviette éponge les cinq exemplaires du Coran que Nabe a laissé près de la cuvette des toilettes hier soir, alors qu’il entamait sa prière quotidienne.


Même jour, 11 h 42 — Dans le patio.

Michel Houellebecq, en short et bob Tricatel, lunettes de soleil sur les yeux, sirote son verre de Margarita, en suivant d’un œil certainement las les déplacements de Guillaume Dustan et de Virginie Despentes qui jouent au jokari. Pour délirer, Virginie s’est coiffée de la perruque verte de Guillaume, lui-même monté sur talon-aiguille, et pousse des jurons à chaque passe.

VIRGINIE DESPENTES (visant obstinément le bas-ventre de Guillaume Dustan avec la balle de jokari). — Tiens, tafiole ! Care-toi ça dans l’string !...

MADELEINE CHAPSAL (compte les points). — Un à zéro pour Vivi !

MICHEL HOUELLEBECQ (à Philippe Sollers). — Tu vois, Philippe : il manquerait juste une ou deux petites Thaïs bien salopes, et ce serait le paradis, ici.

PHILIPPE SOLLERS (faisant danser le contenu de son verre de pouilly-fuissé dans la lumière du matin). — Paradis… Méfie-toi, Michel, c’est un mot que j’ai déjà déposé : il m’appartient désormais, comme Femmes

CATHERINE MILLET. — Moi aussi j’ai appartenu à beaucoup de monde, comme femme…

FREDERIC BEIGBEDER. — Dis donc, Michel, avec le contrat qu’on t’a filé pour quitter Flammarion, tes petites Thaïs, tu pourrais te les payer, non ?… Tu pourrais même tous nous en faire profiter, ordure !...

Marc-Edouard Nabe, furieux que plus personne ne s’intéresse à lui depuis cinq minutes, surgit soudain entre Michel et Philippe.

MARC-EDOUARD NABE. — Je prépare un coup génial ! J’ai décidé de reprendre mon Journal intime. Contre la télé-réalité, j’invente la littérature-réalité ! La réalittérature® ! Tout ce qui ne sera pas montré — parce que, bien sûr, les moments les plus intéressants seront coupés au montage —, tout ce qui ne sera pas montré se trouvera dans mon Journal ! Plus d’ellipse, plus de hors-champ ! Je me réapproprie tout !... J’appellerai ça La Vérité vraie !... Allah est grand !

Pendant ce temps, dans le jaccuzi, Amélie Nothomb essaie de se trancher les veines avec la une du Monde des livres. Puis elle songe à son prochain roman, qui paraîtra à la rentrée chez Albin-Michel, comme tous les ans, et considère qu’il vaudrait mieux s’assurer de son succès avant de se donner la mort. Retour dans le patio.

MARC-EDOUARD NABE. — Je viens d’avoir une autre idée, encore plus révolutionnaire : créons un journal en commun, trouvons des subventions, et démerdons-nous pour le publier hors de la Villa ! Le public saura simultanément ce qui se passe réellement ici et ce que la production de M6 lui cache. On pourrait appeler ça, euh… La vraie réalité ! Vous en pensez quoi ?... Enfin un titre que les trotskos me prendront pas ! J’ai des soutiens au Proche-Orient, qui pourront nous financer… Bougez pas, je passe un coup de fil à Carlos (Guillaume Dustan, raquette en main, entonne « Big bisou »), ensuite il faudrait que j’appelle Taddéï pour qu’il me réserve sa prochaine émission de Paris dernière… Ardisson aussi devrait pouvoir me donner une tribune… Ça, ce serait du terrorisme !... Je serais une sorte de Ben Laden, je ferais mon 11 septembre à moi !...

PHILIPPE SOLLERS. — Moi aussi, j’ai fait mon 11 septembre…

MADELEINE CHAPSAL. — Et un point pour Fifi !

FREDERIC BEIGBEDER. — Oui, enfin le grand roman sur le 11 septembre, c’est quand même moi qui l’ai écrit !

MARC-EDOUARD NABE. — Mais de quoi parlez-vous ? Le 11 septembre, c’est moi !... Le premier à avoir fait de la littérature à partir des attentats, c’est moi, enfin ! C’est facile d’écrire quand tous les gravats du WTC ont été enlevés… Moi, les cendres étaient encore chaudes quand ma Lueur d’espoir a été publiée…

MICHEL HOUELLEBECQ. — Hum, hum… Je m’excuse de m’immiscer dans votre conversation, mais j’ai fait paraître Plateforme avant les attentats et l’avenir m’a donné raison !

MADELEINE CHAPSAL. — Bravo, Mimi ! Jeu, set et match !

PHILIPPE SOLLERS (imitant le pape). — Ite missa est.

Maurice G. Dantec arrive en s’étirant, le teint blanchi par l’insomnie.

MAURICE G. DANTEC. — Clarté du sodium sur l’infra-monde idéaliste. Vous savez ce que disait Léon Bloy : « Qu’est-ce que les villégiatures ? Besoin étrange d’être mal, trois mois par an. » La souffrance est donc un loisir. L’avenir est aux joyeux massacres.

(Guillaume Dustan pousse un hurlement suraigu : la balle lancée par Virginie Despentes vient enfin d’atteindre sa cible.)


Texte écrit en collaboration avec DJ Zukry et publié sous une forme légèrement différente dans Le Journal de la Culture, n° 9, septembre 2004.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

J'aime bien Houellebecq qui planque le coran pour pas que Nabe se fasse défoncer... Y a de l'idée.

Sociopathe Eclairé a dit…

c'est vraiment excellent, Nabe et Houellebecq j'ai l'impression de les voir !