Jeudi 10 juillet 2003.
Nous avons décidé de prendre un bus pour nous rendre dans le quartier de Fatih. Nous descendons vers Eminönü, sur l’embarcadère du Bosphore, afin d’en trouver un. Seul problème : il n’existe pas de plan des lignes de bus et nous piétinons une bonne heure sans savoir quel véhicule emprunter. En fin de compte nous posons la question au guichetier en lui montrant sur la carte l’endroit où nous voulons nous rendre, il prend un morceau de papier et note les numéros des bus que nous pouvons prendre : le 91 ou le 37. Nous lui achetons donc deux tickets, mais un doute nous saisit, Sébastien d’abord puis moi : comment savoir dans quel coin de Fatih nous laissera le chauffeur ? Nous nous décidons enfin et montons dans le 91. Nous constatons que les passagers paient leur voyage à un type assis derrière un guichet dans le véhicule, à leur montée, et que ce type ne semble pas intéressé par nos tickets. C’est alors que Sébastien se souvient que le Routard en parle : les bus bleu et vert comme celui-ci sont des véhicules privés, et le paiement se fait à l’intérieur. Les tickets ne sont valables que pour les bus rouges. Nous pensons redescendre mais notre voisin, qui voit que nous sommes dans l’embarras, se renseigne à notre place pour savoir si ce bus passe par la mosquée de Fatih et, sûrs de notre route, nous payons nos places.
Le guichetier nous prévient : « Fatih Camii ! » (prononcer « djami »). Nous y sommes.
Fatih est un quartier extrêmement religieux. Les femmes voilées de noir y abondent, les barbus aussi. Il s’agit donc d’être prudent et discret, et nous évitons de prendre des photos.
Dans cette mosquée immense et somptueuse, celle de Mehmet II « le Conquérant », des hommes prient tournés vers le mirhab, tandis qu’un pédagogue enseigne le Coran a des enfants. Nous restons en retrait, contemplant le dôme splendide, le minbar de marbre. Toutes ces mosquées commencent à me tourner dans la tête, se confondant les unes les autres… Nous ressortons, reprenons nos chaussures. On sent qu’ici les gens vivent en vase clos et n’aiment pas trop que des étrangers viennent les déranger. Aucune hostilité, mais quelques regards… Nous longeons les étalages des marchands autour de la mosquée, marchands d’objets pieux pour la plupart. A l’entrée du cimetière est placé le mausolée du Conquérant – le vrai, cette fois. Nous nous déchaussons de nouveau et y entrons. Des femmes en prière, presque en extase, entourent le magnifique tombeau du sultan.
Nous continuons notre chemin jusqu’à la mosquée de Selimiye, construite au XVIème sur l’ordre de Soliman le Magnifique qui voulait honorer la mémoire de son père Selim Ier « Le Terrible ». Toutes ces histoires de sultans commencent à sérieusement me passionner. Cette mosquée est d’une très grande sobriété, qui tranche avec toutes celles que nous avons déjà vues. Dans un cadre que nous avons mis un certain temps à trouver alors qu’il était sous nos yeux se trouve un morceau d’étoffe provenant de la Kaaba de la Mecque. En faisant le tour, nous surplombons la Corne d’Or. Nous repartons, la citerne d’Aspar, à nos pieds, transformée en terrain de sport.
Et commence l’errance. A la recherche du patriarcat grec orthodoxe, nous pénétrons dans les petites ruelles de Fatih, quartier à flanc de colline. Les gens y vivent en une communauté très fermée : nous ne voyons pas un seul touriste et nous nous sentons un peu intrus. Les rues formidablement inclinées nous entraînent dans cette société étrange, cette misère à ciel ouvert où la religion tient une place primordiale. Mais les rues ne portent pas de plaques et nous avons du mal à nous y retrouver. Le patriarcat semble pourtant bien être cette énorme bâtisse rouge devant laquelle nous sommes passés ! Nous décidons de revenir sur nos pas, c'est-à-dire de gravir la colline. Istanbul, la ville aux sept collines !... On peut dire qu’on les sent dans les jambes !... Après avoir fait le tour de ce que nous pensons être le patriarcat sans avoir pu en trouver l’entrée, nous ne sommes pas plus avancés. Alors nous restons un peu à l’ombre, sur les marches d’une mosquée. Courageusement, Sébastien repart en quête, histoire d’en avoir le cœur net, tandis qu’une petite fille qui traîne des pieds en suivant sa mère voilée me lance de chaleureux sourires, et qu’un chat rachitique vient se coucher à l’ombre de mon dos. Sébastien revient bredouille, évidemment. Nous repartons, parce qu’il faut bien repartir, sous le soleil qui a décidé de ne pas nous faire de cadeau aujourd’hui. Nous nous enfonçons dans ce labyrinthe interminable, de Fatih à Fener, à la recherche, cette fois-ci, de l’église Saint-Sauveur-in-Chora. Nous achetons une bouteille d’eau dans une épicerie. A la sortie, une première femme voilée nous accoste par la gauche – « Money, money… » -, une autre par la droite. Nous passons outre, elles commençaient à s’accrocher. La bouteille ne fait pas long feu, alors que nous grimpons toujours sans que rien ne nous permette de juger si nous sommes dans la bonne direction ou non.
Nous débouchons sur une grande artère où s’élève une mosquée assez imposante. Je propose à Sébastien de regarder sur son plan pour savoir si on ne la trouve pas. Mais il y a deux mille mosquées à Istanbul ! Comment savoir devant laquelle nous nous trouvons ? Nous traversons le boulevard, retournons dans un petit quartier délabré qui encercle la mosquée, afin de trouver le nom de celle-ci… Et nous nous retrouvons devant les remparts de la ville ! Jamais nous n’aurions cru avoir marché autant. Nous montons au sommet des remparts afin de nous repérer. La Corne d’Or est sur notre droite, la porte de Topkapi doit se trouver sur notre gauche. Mais laquelle est-ce, parmi celles que nous pouvons embrasser du regard, sur nos hauteurs ? Et à quelle distance sommes-nous de la Corne d’Or ? Et quelle est donc cette mosquée qui se trouve juste au-dessous de nous, maintenant ? Nous essayons d’évaluer tout ça : nous pensons être sur Ayvansaray Caddesi. Nous redescendons, consultons encore la carte en retournant sur le boulevard d’où nous venons. C’est alors qu’un homme très serviable, nous voyant perdus, nous apprend en anglais que nous sommes du côté d’Edirne, plus au sud que nous le pensions, et il nous indique la direction de l’église Saint-Sauveur-in-Chora (Kariye Camii Müzesi) toute proche. Nous ne sommes plus perdus ! Splendides mosaïques byzantines dans cette église transformée en mosquée sous le règne de Beyazit II. La Dormition de la Vierge est d’une effarante beauté, et Jésus ressuscitant les morts a ma préférence.
Nous reprenons la route des remparts, en ignorant toujours quelle est cette mosquée à leurs pieds – et sans chercher vraiment à se renseigner à son sujet, maintenant que nous savons où nous sommes… Nous les longeons, ces remparts, à l’ombre tout d’abord, traversant des quartiers d’une immense pauvreté où les gamins jouent dans les poubelles déversées sur le trottoir. Maintenant, je le sais : la misère pue.
Sur Vatan Caddesi, le trafic routier nous empêche de traverser. Nous devons donc revenir sur nos pas et emprunter le côté piétonnier du pont pour continuer notre chemin, en plein soleil cette fois-ci. Heureusement, nous ne sommes plus qu’à deux pas (façon de parler) de la Porte du Canon, la Porte de Topkapi. Une fois devant ces murailles gigantesques, notre but est atteint. Nous pouvons donc prendre un verre au pied des remparts. Jus de pêche pour tout le monde !
Bien reposés, nous entrons dans le quartier de Topkapi (rien à voir avec le palais). La faune que j’y découvre me paraît bien universitaire… Et nous trouvons en effet une université sur notre chemin. En bifurquant à gauche nous retombons sur Vatan Caddesi. Il est tard, nous n’en pouvons plus, nous décidons de rentrer en direction de l’hôtel. Quelques coups d’œil aux lignes de bus, nous ne trouvons rien d’intéressant, rien qui nous ramènerait à Eminönü. Nous passons devant une grande église que Sébastien identifiera plus tard comme étant celle de Constantin Lips. Nous marchons, nous marchons, nous nous liquéfions à vue d’œil et nous commençons à désespérer de voir jamais le bout du bout de ce boulevard… quand nous décidons, tout bêtement, de prendre le tramway. Il n’y a qu’une ligne, mais elle passe par Sultanahmet, à deux pas de chez nous. Nous achetons des jetons et entrons dans l’engin pas si brinquebalant, qui nous ramène chez nous. Un détour par le supermarché pour se procurer l’indispensable bouteille d’eau et nous nous écroulons, fourbus.
Nous ressortons un peu avant neuf heures pour aller manger au Doy-Doy, encore une adresse recommandée par le Guide du Routard. Les Turcs mangent au rez-de-chaussée, on nous propose la terrasse. Nous ne comprenons pas très bien, commençons à nous installer au premier, puis au second, destiné aux buveurs de thé ou aux fumeurs de narghilé qui consomment assis ou allongés sur des coussins… avant de nous retrouver, effectivement, en terrasse, dans la fraîcheur du soir, Sébastien ayant devant les yeux les minarets de la Mosquée Bleue et moi les bateaux amarrés sur le Bosphore. Je me régale : ayran et Bagdat kebap (boulettes de viande accompagnées d’une omelette). Un thé à déraciner les dents par là-dessus, et nous retournons à l’hôtel en achetant une nouvelle bouteille d’eau, que je termine en achevant ces lignes.
Et cette mosquée au pied des remparts ? Eh bien, en relisant mes guides et en regardant sur la carte, je peux affirmer avec certitude qu’il s’agit de la mosquée de Mihrimah, encore une consruite par Sinan et, semble-t-il, magnifique. Et nous n’y sommes pas entrés ! Nous avons manqué de curiosité ; dommage.
1 commentaire:
C'est bien joli cette photo mais ça manque de minarets ...
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